Compétitivité : les secrets de l’Allemagne pour parvenir à maîtriser ses prix <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Selon un panier moyen de produits comparables, les prix en Allemagne seraient inférieurs de 1,3% à la moyenne des 17 pays de la zone euro, alors que le PIB par habitant y est un des plus élevés.
Selon un panier moyen de produits comparables, les prix en Allemagne seraient inférieurs de 1,3% à la moyenne des 17 pays de la zone euro, alors que le PIB par habitant y est un des plus élevés.
©Reuters

Le juste prix

Selon Eurostat, la compétitivité allemande s’expliquerait par le faible niveau des prix outre-Rhin. Couplés avec un PIB par habitant relativement élevé, ils seraient aussi à l’origine d’une demande intérieure forte.

Manuel Maleki

Manuel Maleki

Manuel Maleki est Docteur en Sciences Economiques à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne.

Il est spécialiste des questions de réformes. Il a travaillé à Londres dans une grande institution financière avant de rejoindre les équipes de la recherche économique du groupe ING en tant que Senior Economiste.

Il s'exprime sur Atlantico à titre personnel.

 

Voir la bio »

Atlantico : Selon un panier moyen de produits comparables, les prix en Allemagne seraient inférieurs de 1,3% à la moyenne des 17 pays de la zone euro, alors que le PIB par habitant y est un des plus élevés. Comment l’Allemagne fait-elle pour maîtriser le niveau de ses prix ?

Manuel Maléki : Nous pouvons évoquer cinq raisons pour expliquer ce relatif bas niveau de prix : des salaires bas, une énergie relativement bon marché depuis la crise de 2008, un dialogue social efficace, des prix de l’immobilier modérés ainsi qu’une population vieillissante n’ayant pas intérêt à l’inflation.

L’Allemagne a donc d’abord maîtrisé le niveau de croissance des salaires, grâce à certains facteurs sur lesquels nous allons revenir.

Elle a ensuite réussi à limiter sa dépendance énergétique. Un des vecteurs les plus importants de l’augmentation des prix est l’énergie. Pendant longtemps l’Allemagne a développé d’autres sources énergétiques (nucléaire, charbon, énergie verte), le besoin en pétrole pour compléter ces ressources devenant plus modéré. Ils ont cependant décidé d’arrêter le nucléaire, la question est de savoir s’ils pourront se contenter encore longtemps de l’énergie verte et du charbon. L’économie allemande risque à ce titre de devenir davantage dépendante du pétrole. Les Allemands ont malgré tout profité d’une conjoncture assez favorable au niveau du prix de l’énergie depuis le début de la crise de 2008.

Les salaires bas (et donc des prix bas par ricochet) s’expliquent aussi par l’efficacité du dialogue social en Allemagne. Celui-ci permet aux acteurs de se mettre d’accord sur les augmentations de salaire, en ligne avec les intérêts des entreprises et de l’Etat. Cela est rendu possible car il n’y a pas de forte augmentation du prix de l’immobilier en Allemagne. Si l’on regarde depuis 15 ou 20 ans, les prix allemands ont beaucoup moins augmenté que ce que l’on a pu voir en France, sans parler de ce que l’on a pu observer en Irlande ou en Espagne. D’un point de vue culturel, les Allemands ne sont d’autre part pas des propriétaires-nés. Si l’on se penche sur le pourcentage de propriétaires en Allemagne, on remarque qu’il est beaucoup plus faible que dans des pays comme la France ou l’Espagne.  

Cela veut dire tout simplement que vous n’avezpas ce besoin d’avoir des salaires qui augmentent vite pour suivre les prix de l’immobilier ou acquérir une maison. Le fait également qu’il y ait plus de locataires limite la pression sur le prix des maisons, qui est donc beaucoup moins forte qu’en France. Chez nous, ces dernières années, l’augmentation des salaires n’a d’ailleurs pas été très marquée, alors que les augmentations des montants de crédits immobiliers et des prix de l’immobilier ont été plus fortes.

Le fait que le prix de l’immobilier n’augmente pas en Allemagne constitue donc une raison de moins pour augmenter les salaires.

Enfin, concernant la population allemande, celle-ci est connue pour être vieillissante. Qui dit population vieillissante, dit plus forte proportion de retraités et d'épargnants –touchant des intérêts grâce à des placements divers. C’est une population qui n’aime pas l’inflation (et donc la flambée des prix). Celle-ci est plutôt "favorable" aux actifs et non pas aux épargnants. Un autre point à signaler est cette culture historique allemande méfiante de l’inflation, sorte de traumatisme collectif né de l’hyperinflation des années 1920.

Quelles sont les principales difficultés à conserver des niveaux de prix bas ?

Pour conserver des prix bas, il faut d’abord maîtriser les prix de l’énergie et des matières premières importées comme nous l’avons vu. C’est ce que l’on appelle d’ailleurs l’inflation importée. Il est ainsi très difficile de lutter contre ces aléas, à moins de subventionner les matières premières ou les carburants pour les maintenir à des prix stables (comme cela se fait dans certains pays en développement), ce qui peut entraîner des coûts importants pour l’État.

Il y a aussi la question des tensions sociales. Des prix bas sont difficiles à envisager lorsque le niveau de revendications sociales est élevé et quand les gens exigent des hausses de salaire.

La question de l’immobilier que nous avons évoqué précédemment exerce également un impact très conséquent sur le niveau de richesse et donc sur les prix. Ensuite, nous avons cet arbitrage entre le taux d’actifs et d’inactifs qui peut également jouer, comme nous l’avons expliqué.

Pourquoi l’Allemagne a-t-elle intérêt à rester dans cette situation ?

En définitive, l’Allemagne a connu des augmentations de prix moins élevées que d’autres pays de la zone euro, et notamment par rapport à la France. Cela implique que le prix de ses produits augmente moins vite que celui des autres pays de la zone euro. C’est là où l’on peut dire que les Allemands ont réussi en termes de compétitivité intra-européenne. Ils ont misé sur la modération salariale au début des années 2000, tandis que leurs partenaires économiques européens ont augmenté les salaires. Cette modération salariale leur a permis d’accroître leur compétitivité, parce que la compétitivité c’est ici également votre capacité à vendre moins cher que vos partenaires européens. Ils ont aussi amélioré la compétitivité dite "hors-coûts", à savoir faire valoir la marque "made in Germany" à l’étranger : c’est l’effet de marque qui fera par exemple qu’un consommateur va acheter allemand jugeant que c’est solide. Ils savent donc vendre leurs produits à l’étranger et maîtrisent leur marketing, en jouant sur une stratégie de meute : pour vendre, c’est 20 ou 30 entreprises qui arrivent dans un pays.

Plus fondamentalement, en gardant des prix plus bas, les salaires n’ont pas besoin d’être augmentés pour suivre les prix puisque l’inflation n’augmente que légèrement. Autrement dit, les salariés allemands n’ont pas besoin de voir leurs salaires augmentés de façon conséquente pour conserver leur niveau de vie

Quelles sont les conséquences de ces prix bas pour les autres pays de la zone euro ? N’est-ce pas un finalement un jeu à somme nulle ?

En partie oui, dans le sens où les Allemands étant plus compétitifs parce qu’ils ont misé sur la modération salariale grâce à des prix bas, seront plus compétitifs que les autres et vont grignoter des parts de marché aux autres pays. En plus de cela, le fait d’avoir des prix bas et une modération salariale fait qu’ils consomment relativement peu par rapport à leur PIB par habitant, donc ils importent peu. Quand vous êtes Français et exportez en Allemagne, comme ils ne consomment pas beaucoup, ils ne consommeront pas beaucoup vos produits.

Enfin, l’Allemagne a fait depuis longtemps le choix d’un ajustement interne de ses prix pour faire en sorte que les prix des autres augmentent plus vite que les leurs. Cela peut cependant s’avérer socialement et politiquement très coûteux. La chance de l’Allemagne a été de faire cela dès le début des années 2000, au moment où les économies européennes se portaient relativement bien. Ils ont donc profité de la bonne santé des économies européennes pour rendre cet ajustement interne des prix supportable grâce à la compensation apportée par de fortes exportations. Aujourd’hui beaucoup d’autres pays essayent de faire de même, mais cela ne marche pas car la crise a déprimé la consommation de la zone euro. 

Propos recueillis par Benjamin Weil. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !