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France Télévisions : les premiers mois de Delphine Ernotte vus de l'intérieur
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Le feuilleton continue

Parachutée à la tête de France Télévisions en août 2015, Delphine Ernotte enchaine depuis maladresses et décisions controversées. En interne, après le licenciement sans ménagement de Julien Lepers, on redoute la cabale anti-seniors, et on s’interroge sur la validité du processus de nomination de la nouvelle présidente par le CSA. Les audiences ne dévissent pas, le moral des troupes en revanche…

Francis Tellé

Francis Tellé

Francis Tellé écrit sous pseudonyme et travaille dans les médias depuis une dizaine d'années. Bien informé sur les coulisses de la nomination du futur Président de France Télévisions, il détricote les stratégies d'influence mises en place en coulisse par les nombreux impétrants.

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Les seniors sur la sellette

« C’est de la dictature ! » Le mot est lâché. Le 8 janvier dernier, au Blanc-Mesnil, lors d’une séance de dédicaces de son dernier ouvrage, Les mauvaises manières, ça suffit !, Julien Lepers est revenu sur la façon dont il a appris son éviction de France 3. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’animateur de 66 ans a peu apprécié la méthode. Recommandant à la patronne de France Télévisions la lecture de son livre au titre évocateur, le présentateur superstar de Questions pour un Champion n’a pas mâché ses mots : « Viré du jour au lendemain, d’une heure à l’autre, genre la sortie, c’est là-bas ! »

Julien Lepers a en effet appris son licenciement après l’enregistrement de sa dernière émission, dont la diffusion est prévue le 20 février, et n’a donc pas pu dire au revoir à son public. Il n’est pas le seul choqué. Les équipes de France 3 sont sidérées qu’après plus de 27 ans de bons et loyaux services, Lepers puisse être débarqué de la sorte, sans préavis ni pot de départ. Si l’on ne remet par forcément le bien-fondé de la décision en cause - la longévité de Lepers est déjà remarquable en l’état - on se demande comment une femme arrivée il y a à peine six mois peut se comporter avec une telle froideur envers un présentateur ayant connu quatre décennies chez France Télévisions. Elle a également fusillé "30 millions d'amis" et regarde de près les audiences de Georges Pernoud, le présentateur de Thalassa, de Stéphane Bern l'après-midi, ainsi que celle de Patrick Sébastien, autre dinosaure du PAF qui irait contre l'idée de la rénovation de France Télévisions dont rêve Delphine Ernotte. 

Delphine Ernotte passerait-elle à l’acte, après avoir déclaré fin septembre que la télévision était monopolisée par des « hommes blancs de plus de 50 ans », et qu’il fallait « que cela change » ? Michel Drucker, autre institution de France Télévisions, s’en inquiète. L’animateur dénonce le « racisme de l’âge » qui sévit chez France Télévisions, et a la courtoisie de ne pas souligner le racisme tout court de la sortie d’Ernotte (qu’aurait-on dit, fait remarquer l’éditorialiste Ivan Rioufol, « si madame Ernotte avait déclaré qu’il y avait trop de Noirs à la télé et qu’il fallait que ça change » ?)

Le jeunisme d’Ernotte n’est pas quelque chose de nouveau à la télévision. En 1989, le patron de France Télévisions d’alors annonçait déjà à Drucker qu’il était fini pour le petit écran, has-been. L’histoire l’aura fait mentir. Ce qui serait un peu plus insolite en revanche, c’est qu’Ernotte s’en prenne également à Drucker, alors que son émission Vivement dimanche prochain cartonne, se hissant régulièrement en tête des access prime-time en termes de parts d’audience. Drucker est également connu pour dénicher et s’entourer de nombreuses jeunes pousses : Nicolas Canteloup, Eric Antoine, Olivier de Benoist, etc. Difficile de dire que son émission sent le formol. Dernièrement, Drucker aurait reçu l'assurance que son contrat allait pouvoir être renouvelé pour un an, voire même, que son émission pourrait être rallongée. Affaire à suivre. 

Delphine Ernotte se défend… alors que personne ne l’attaque

Au siège de France Télévisions, depuis quelques semaines, une lettre circule, écrite par un mystérieux corbeau apparemment bien informé. Ce courrier prétend que Delphine Ernotte, au moment de son départ de France Telecom (où elle était directrice exécutive), était engagée dans une procédure de licenciement. Pourquoi c’est crédible ? Parce que son départ faciliterait les discussions avec Bouygues Telecom, que Stéphane Richard, patron d’Orange, souhaite racheter. Une opération qu’elle ne voyait semble-t-il pas d’un bon œil, craignant de perdre son job au profit d’Olivier Roussat, actuel PDG de Bouygues Telecom.

Bref, Ernotte exfiltrée, les affaires peuvent reprendre… D’ailleurs Stéphane Richard s'est livré à un véritable plaidoyer défendant l’intérêt de ce rachat, à l’occasion de ses vœux mi-janvier. 

Question courrier, il en est un autre que Delphine Ernotte aurait préféré ne jamais voir écrit : celui qu’ont envoyé les représentants syndicaux CFDT et CGC de France Télévisions au Conseil d’Etat pour contester les conditions de sa nomination par le CSA. Les centrales syndicales évoquent notamment de possibles liens entre la présidente de France Télévisions et Sylvie Pierre-Brossolette, ancienne journaliste du Point et actuelle membre du CSA.

Du coup, pour contrattaquer, Ernotte s’est fendue d’un « mémoire en défense » de 31 pages (cas inédit dans l’histoire de France TV et du CSA), reprenant dans le détail tout le processus l’ayant hissé à la tête du groupe. Problème, on ne se défend que si l’on est attaqué, or les syndicats ne mettent absolument pas son intégrité en cause, mais s’en prennent au CSA. Pourquoi dans ce cas faire appel à un cabinet d’avocats (la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano) pour rédiger un document fleuve ? S’il semble un peu hâtif d’y voir un aveu de culpabilité, impossible en tout cas de ne pas y discerner le gage d’une certaine fébrilité. Ernotte se sentirait-elle un peu nerveuse, aurait-elle peur qu'on lui reproche de nouveau son manque d'expérience dans les médias ?

Le feuilleton de la nomination d'Ernotte à la tête de France Télévisions continue

En parallèle de cette guerre juridique, la guerre politique continue à faire couler de l'encre dans la presse. Le 26 janvier, sur LCP, Olivier Schrameck redisait haut et fort que le CSA avait agit en toute indépendance au moment de désigner le remplaçant de Rémy Pflimlin. Et le lendemain, invité de Cyril Viguier sur la même chaîne, David Assouline, Sénateur socialiste et Vice-président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat, réclamait des auditions publiques des candidats, pour juger certes de manière indépendante, mais aussi de manière transparente. "C'est le fait que ce soit opaque qui crée le doute". Schrameck a dû apprécier. 

Ernotte-Bolloré, deux poids, deux mesures

Qu’elle se rassure. Si l’ensemble de la profession tombe à bras raccourcis sur Vincent Bolloré depuis sa reprise en main en juin 2015 de Canal+, chacune de ses décisions faisant l’objet de commentaires à charge dans les médias, Ernotte jouit d’une relative tranquillité. En lui offrant ce job, il semble qu’on lui ait donné blanc-seing pour faire à peu près ce qu’elle veut. C'est un peu le monde à l'envers, si l'on y pense bien, qu'un patron de chaînes privées passe son temps à rendre des comptes, quand la dirigeante d'un groupe public fait ce que bon lui semble avec l'argent du contribuable.

Delphine Ernotte ne jouit cependant pas de la même tranquillité en interne. Son projet de chaîne d’information destinée aux 15-25 ans, s’il peut sembler séduisant sur le papier dans l’optique de rajeunir l’audience de France Télévisions, laisse le staff perplexe. Quel budget, quelles équipes, quelle ligne éditoriale, quelle valeur ajoutée ? Les réponses apportées à ces questions lors du dernier comité d’entreprise n’ont pas satisfait. Les journalistes du groupe ne cachent pas qu’ils les ont trouvées brouillonnes, et craignent la mise en place d’une usine à gaz coûteuse et mal positionnée, alors que France Télévisions est déjà déficitaire. 

Delphine Ernotte est donc allée chercher des alliés extérieurs. D'abord en la personne de Mathieu Gallet... si, si. En effet, Radio France devrait être très engagée sur ce projet de chaîne d'info. Chez Radio France, on se demande maintenant avec quels journalistes participer à cette aventure. Les derniers plans d'économie ont ramené les rédactions à leur plus simple appareil. 

Autre allié, le Président de la République lui-même. L'Express révèle qu'après l'avoir accompagné aux voeux du CESE de manière relativement ostentatoire, elle sera dans l'avion du Président le 22 février pour aller avec lui en Polynésie. Et elle suit de très près la préparation du "face aux Français" spécial dont l'invité sera le chef de l’État.

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