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Les péages urbains, dernier exemple en date de la ségrégation territoriale grandissante entre France des riches et France des pauvres
©PHILIPPE LOPEZ / AFP

Inégalités

Tout d’abord, il convient de rappeler que cette ségrégation socio-spatiale n’est pas nouvelle mais la tendance s'est indéniablement accentuée.

Atlantico : Alors que la question du péage urbain est aujourd’hui posée en France, quel bilan plus global peut-on réaliser de la réalité de la ségrégation sociale existante sur le territoire français ? Comment dresser un portrait comparatif entre France des riches et France des pauvres ?

Laurent Chalard : Si la France se caractérise au sein des pays développés par son système de redistribution sociale particulièrement efficient, permettant aux plus pauvres de nos concitoyens de se voir protéger de la pauvreté absolue ce qui n’est pas toujours le cas aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, il n’en demeure pas moins que les dynamiques économiques consécutives de la mondialisation et de l’adoption d’un libéralisme économique mal encadré depuis 1983 produisent les mêmes résultats qu’ailleurs, c’est à dire une augmentation des inégalités, comme l’a montré l’économiste Thomas Piketty. En effet, au sommet de la pyramide sociale, plusieurs catégories ont pleinement bénéficié de la nouvelle donne économique internationale, voyant leurs revenus s’accroître considérablement, que ce soient les actionnaires ou les patrons des multinationales, une partie des « créatifs », c’est-à-dire des populations dont le niveau de compétences dans un domaine leur assure des revenus appréciables, ou les employés des secteurs de haute-technologie, très recherchés et pour cela bien rémunérés. A contrario, à la basse de la pyramide sociale, s’est développée une véritable armada de chômeurs, le chômage de masse s’étant imposé du fait du processus de désindustrialisation, qui, par définition, survivent plus qu’ils ne vivent, alors que parallèlement les emplois précaires, comme dans le domaine des services à la personne, se sont largement développés. 

Ces deux catégories de population se répartissant inégalement sur le territoire, il s’en suit qu’il s’est produit une évolution de la géographie sociale française. Dans les grandes métropoles, suivant le schéma général mise en avant par la sociologue Saskia Sassen, se produit un processus de dualisation, entre d’un côté les « créatifs », qui travaillent dans le tertiaire supérieur, et de l’autre des populations qui assurent les emplois bas de gamme, nécessaires à leur bon fonctionnement. Elles concentrent consécutivement de plus en plus les cadres. A contrario, l’industrie étant désormais localisée plutôt dans des villes petites et moyennes, ces territoires ont été le plus touchés par la montée du chômage, puis de la paupérisation. Les cadres y sont sous-représentés alors que les employés et les ouvriers y demeurent largement majoritaires.

« La France des riches » se présentent donc aujourd’hui essentiellement comme une France vivant dans les métropoles, que ce soit dans leur centre, dans des banlieues chics ou dans l’espace périurbain choisi, même s’il faut garder en tête que les « riches » ne représentent qu’une partie de la population de ces mêmes métropoles, auxquelles s’ajoutent quelques territoires ruraux privilégiés comme les vignobles de Champagne ou de Côte d’Or. Il existe une réelle concentration des populations riches dans le territoire hexagonal. A contrario, la « France des pauvres » présente une géographie beaucoup plus dispersée, étant présente tout aussi bien dans les grandes métropoles, dont dans les grands ensembles, que dans les villes petites ou moyennes, en particulier dans celles touchées par la désindustrialisation, et les espaces ruraux peu productifs (le Massif Central par exemple). La ségrégation socio-spatiale se fait donc avant tout par le haut de la pyramide sociale !

Des prix de l'immobilier aux prix du transports, par exemple, quels sont les mécanismes qui participent à la formation de cette ségrégation sociale ? 

Tout d’abord, il convient de rappeler que cette ségrégation socio-spatiale n’est pas nouvelle, les grandes métropoles concentrant déjà plus de cadres et chefs d’entreprise que le reste du territoire auparavant. La nouveauté tient juste au fait que la tendance s’est accentuée. En effet, les évolutions économiques des trente dernières années ont été néfastes pour les territoires non métropolisés et les populations les plus pauvres. 

Le premier élément primordial à l’échelle nationale est la localisation des emplois. Par définition, les populations aisées se retrouvent dans des territoires, qui leur proposent des emplois adaptés. En conséquence, il y a une migration importante des diplômés, quelle que soit leur région de naissance, vers les territoires qui proposent des emplois de cadres, donc les grandes métropoles. A contrario, les populations peu diplômées auront tendance à rester dans leur région d’origine.

Un deuxième élément, qui joue aussi un rôle non négligeable, est le prix de l’immobilier. Les territoires où l’emploi se crée, c’est-à-dire essentiellement les grandes métropoles, sont consécutivement les plus recherchés et donc les plus chers. Il s’en suit que la migration vers ces métropoles pour des populations peu argentées est compliquée sans l’obtention au préalable d’un emploi, d’autant que la vente du logement à prix cassé dans la région d’origine ne permet pas de se loger pareillement dans le nouveau lieu d’habitat.

Un troisième élément concerne le coût des trajets. En effet, s’il est de bon ton d’inciter à la mobilité les pauvres, nos dirigeants politiques oublient que les déplacements ont un coût, qui devient assez rapidement exorbitant pour des populations au budget limité. Cet élément contraint souvent les populations les moins argentées à rechercher prioritairement un emploi dans leur environnement proche, qui n’en offre pas forcément…

Ces différents éléments contribuent donc à accentuer la concentration des cadres dans les grandes métropoles.

Quels sont les risques politiques de voir cette tendance se poursuivre dans le temps ?

Il existe deux principaux risques politiques majeurs, qui pourraient remettre en cause les fondements de la V° République, si l’accentuation du fossé entre les minorités aisées de quelques grandes métropoles et le reste du territoire venait à se poursuivre. 

Avant même la question des choix politiques partisans, le principal risque porte sur une division de la France entre des populations et des territoires aux intérêts tellement divergents, qu’ils finissent par ne plus se comprendre et donc ne plus dialoguer. Ce serait une menace importante pour la cohésion nationale, avec des tentations de sécession des territoires les plus riches, comme on l’a déjà vu avec la municipalité de Paris qui affichait avec celle de Londres ses velléités d’indépendance au moment du Brexit. La solidarité nationale en prendrait un coup, conduisant à la remise en cause du processus de redistribution financière des territoires les plus riches vers ceux les plus pauvres, alors que ces derniers en ont réellement besoin. L’égoïsme territorial et l’hyper-individualisme de l’élite mènerait à la fin de l’Etat-Nation français. 

Sur le plan politique, la poursuite de prises de décision s’adressant uniquement à une minorité de la population et des territoires hexagonaux pourrait conduire la majorité à adopter des comportements de plus en plus radicaux. Cela peut évidemment se traduire dans les urnes par une accentuation des votes, déjà très élevés dans certains territoires, pour l’extrême-droite, mais cela pourrait aussi prendre une autre forme, beaucoup plus déstabilisante pour le pouvoir central, si ces populations venaient à mener des actions « coup de poing » symboliques, la majorité silencieuse finissant par se manifester bruyamment. En effet, pour l’instant, cette France des invisibles étant dans l’incapacité de se mobiliser, elle n’est pas perçue comme dangereuse par le pouvoir, mais si elle venait à organiser de grandes manifestations, à bloquer des routes, à lancer des grèves sectorielles, voire générales, pour faire avancer ses idées, comme ce fut le cas à l’apogée du parti communiste, la situation changerait du tout au tout. Le pouvoir parisien vacillerait et rien n’assurerait du bon déroulement de la suite sur le plan politique.

Etant donné ces risques, qu’il ne faut pas prendre à la légère, il est temps que les élites hexagonales modifient leurs politiques territoriales et s’occupent prioritairement des territoires non métropolisés qui vont le plus mal, au travers, entre autres, d’un plan Marshall.

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