Les NFT ne sont que le début de la cascade de milliards issus des cryptos qui va envahir l’économie <!-- --> | Atlantico.fr
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Une photo d'illustration prise à Londres le 30 décembre 2021 montre des pièces de crypto-monnaie devant un écran affichant un logo NFT (Non-Fungible Token).
Une photo d'illustration prise à Londres le 30 décembre 2021 montre des pièces de crypto-monnaie devant un écran affichant un logo NFT (Non-Fungible Token).
©JUSTIN TALLIS / AFP

Cryptomonnaies

Les détenteurs de cryptomonnaies pourraient dépenser une partie de leur fortune et impacter l'économie réelle.

Sébastien Laye

Sébastien Laye

Sebastien Laye est chef d'entreprise et économiste (Fondation Concorde).

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Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : On parle de plus en plus des cryptomonnaies et les sommes engagées sont toujours plus élevées. Et les données indiquent que la possession de crypto est concentrée dans une petite quantité de portefeuille. Faut-il s’attendre à voir les milliards liés au cryptomonnaies pénétrer dans l’économie réelle ? De quelle quantité parle-t-on ?

Sébastien Laye : La valeur totale des cryptomonnaies ou cryptoactifs s’est stabilisée aux alentours de 2 trillions (2000 milliards de dollars), dont la moitié sont des bitcoins, et en dépit d’un pic à presque 3 trillions il y a quelques semaines. Ces sommes sont certes considérables, mais inférieures par exemple à la capitalisation boursière d’Apple, ce qui laisse augurer d’un bon potentiel futur. Par ailleurs, nombre d’actionnaires se sont enrichis aussi par leur détention d’actions du secteur (Coinbase, Binance, FTX…), ce qui veut dire que la richesse nette totale créée par le secteur est supérieur à cette seule capitalisation boursière des cryptomonnaies ou cryptoactifs (je préfère ce second terme) elle-même. La détention de cryptoactifs est assez populaire. En France, un rapport récent de KPMG montre que 8% des français ont détenu ou détiennent des cryptos, et que 26% d’entre eux pourraient voter en fonction des positionnements des candidats sur le sujet. Malgré cet engouement populaire, qui concerne beaucoup les jeunes, les positions en cryptos sont concentrées, avec 70% des bitcoins détenus par des gros investisseurs (qu’on qualifie dans le jardon du trading de whales ou baleines). Le phénomène est encore plus flagrant pour les plus petites cryptomonnaies, liées à un projet blockchain ou une ICO. J’y vois deux raisons. Dans le cas du bitcoin, de gros investisseurs spécifiques -depuis longtemps- et plus récemment des institutionnels classiques, ont accumulé d’importantes positions, parfois issue aussi de l’activité des mineurs, les acteurs qui « créent » régulièrement cette monnaie. Il y a aussi le phénomène du sponsoring lié au lancement d’un nouveau projet crypto ou blockchain. Au lieu de créer une société qui capte toute la valeur d’un secteur et de s’enrichir par exemple avec des commissions, les entrepreneurs du secteur lancent des monnaies ou jetons lié au projet. Ils sont rémunérés par une importante distribution initiale de ce jeton : ainsi par construction, les crypto monnaies ont toujours quelque part quelques fondateurs détenant un pourcentage important de la cryptomonnaie. C’est aussi le cas du Bitcoin et de son mystérieux créateur, dont les cryptos initiales doivent valoir au moins 100 milliards aujourd’hui.

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Cette valeur est finalement plus liquide que des parts par exemple dans une société non cotée en Bourse. Si 5% seulement de la valeur des actifs étaient dépensés dans l’économie réelle, cela représenterait une injection de 100 milliards. Il y a en particulier de nombreuses fortunes cachées qui pourraient financer d’autres secteurs : infrastructures, immobilier, industrie, luxe, biens de consommation.

Michel Ruimy : Sur les quelque 16 000 cryptoactifs déjà créés, il n’en reste plus aujourd’hui qu’environ 10 000 et les disparitions n’ont pas été toujours expliquées. Jusqu’à présent, les incidents n’ont pas eu d’effet notable sur la stabilité du système financier.

Pour peser sur l’économie réelle, ces supports doivent notamment être utilisés comme moyen de paiement. Or, ceci nécessite notamment une plus grande stabilisation des cours afin de consolider la confiance des détenteurs, aussi bien acheteur que vendeur, un encadrement juridique engageant et clair dans son utilisation, son investissement et son cours, une évangélisation toujours croissante de la part d’acteurs traditionnels (banques) et des nouveaux entrants… Ainsi, l’investissement dans ces supports doit se faire davantage pour son utilisation que pour son cours et sa spéculation.

Or, la démocratisation des cryptoactifs comme moyen de paiement n’est pas aujourd’hui, encore chose faite : très faible pourcentage des transactions effectuées dans l’e-commerce, frais de retrait élevés à partir des distributeurs physiques (7-8% du montant retiré), moins de 1% des détenteurs de cryptomonnaies utilisent leur portefeuille comme moyen de paiement… Dès lors, la capitalisation boursière globale des cryptoactifs, tirée par celle du Bitcoin et de l’ether, s’élève actuellement à environ 1 700 milliards USD, après un pic de 3 000 milliards en novembre 2021. Montant important certes mais à relativiser. Le volume quotidien échangé sur le marché des changes, par exemple, atteint 6,6 billions USD !

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Pour toutes ces raisons, la conversion des cryptoactifs et leur pénétration dans la sphère réelle ne semblent pas d’actualité.

Pour autant, il conviendrait de renforcer la coopération entre les pays afin de mieux surveiller les évolutions de cet écosystème et de renforcer leurs réglementations pour limiter le risque. L’idée serait aussi que la puissance publique adopte, elle-même, la monnaie numérique. Déjà, de nombreuses banques centrales (Banque de France, Banque centrale européenne) travaillent à la mise en place de monnaies numériques en utilisant la technologie de la blockchain. Il ne s’agirait pas, pour elles, de se positionner sur le marché des cryptoactifs, mais de fluidifier les échanges de monnaies nationales, avec des dispositifs numériques plus rapides et plus fiables

Quelles pourraient être les conséquences positives ou négatives de cet afflux massif d’argent de l’économie réelle ?

Sébastien Laye : Il y a encore des obstacles fiscaux et règlementaires à la pleine utilisation concrète de ces fortunes. Il y a eu quelques transactions en cryptos sur l’immobilier ou des produits de luxe, mais la plupart du temps, la conversion en dollar est un passage obligé. Ainsi, les fortunes du secteur ont eu tendance à réinvestir dans d’autres actifs numériques, tels les NFT : l’engouement pour ces derniers provient de ce qu’ils constituaient un débouché pour les fortunes bitcoin. L’impact concret ne peut donc être que progressif au gré des évolutions réglementaires, et des usages. L’Etat du Colorado vient d’annoncer par exemple un projet pour permettre le paiement d’impôts locaux en cryptomonnaies. On ne doit pas s’attendre à une vague de consommation subite due au réinvestissement de ces fortunes. Par ailleurs, les grosses fortunes du secteur tendent à rester dans le secteur et non à liquider leurs cryptos. Ils savent que cela provoquerait un krach sur leur secteur. Finalement, une fortune dans les cryptos est dans la même situation qu’une fortune classique avec des actions ; son objectif est de vendre 1 ou 2% de son patrimoine chaque année pour diversifier ou financer son train de vie. L’argent des cryptomonnaies restera essentiellement dans l’écosystème des cryptos.

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Michel Ruimy : Si les cryptoactifs se démocratisent, les répercussions potentielles sur l’économie pourraient s’accroître car de plus en plus d’institutions financières traditionnelles s’impliqueraient dans ce compartiment. Ainsi, une crise de confiance dans le secteur pourrait se transmettre à l’économie réelle et la déstabiliser. Les courroies de transmission entre ces supports et le monde réel se trouvent, en particulier, au niveau des banques centrales, qui régulent la quantité de monnaie en circulation afin de garantir la stabilité des prix, le niveau de l’inflation ou encore celui des taux d’intérêt. La généralisation des cryptoactifs pourrait, de ce fait, limiter la capacité d’action des banques centrales et engendrer de sérieux risques pour l’économie, particulièrement dans les pays émergents où ils se sont fortement développés.

Il n’en demeure pas moins qu’à terme, la monnaie devrait entrer pleinement dans l’ère digitale. La digitalisation monétaire, aussi bien publique que privée, redéfinira le rôle des banques et pourrait ouvrir la voie à une « finance technologique » plus réactive et productive que la « finance bureaucratique » actuelle. Elle est ainsi porteuse d’espoir en termes de simplification des processus économiques.

Le défi est colossal car la réalité à laquelle nous serons confrontés les prochaines années sera notamment celle d’une montagne de dettes (insurmontable ?) qui menacera de s’effondrer à défaut d’implication massive des autorités politiques et monétaires. Ceci doit être l’occasion de redéfinir un nouveau modèle de système financier, incluant la digitalisation de la monnaie, avec un impératif de stabilité et de promotion de l’activité réelle. C’est en ce sens que les monnaies digitales des banques centrales peuvent jouer un rôle considérable.

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Qu’est-ce qui pourrait motiver les détenteurs de crypto à dépenser une partie de leur fortune et donc à entraîner cet afflux d’argent ? 

Sébastien Laye : L’évolution des usages (des commerçants en ligne acceptant de plus en plus directement des cryptos) et des réglementations (possibilité de payer les impôts ou un service administratif, simplification de la fiscalité). En France, pour l’instant, les fortunes en cryptos se sont souvent exilées dans d’autres pays du fait d’une fiscalité ubuesque. Le sujet va bien au-delà du trader en bitcoin. Un entrepreneur dans le metaverse par exemple, a un business model fondé sur l’émission d’un cryptoactif. Si l’administration le traite comme un détenteur de bitcoin, l’équation économique aura du mal à fonctionner sur le long terme. La fiscalité française est en train de détruire le potentiel de différents secteurs : univers virtuels, metaverse, IA. Au-delà du cas français, je crois que la question de la diversification est clef dans le réinvestissement des sommes : les grandes fortunes du secteur, les entrepreneurs, une fois passé le stade de la création, chercheront fortement à cristalliser une partie de leurs gains et à diversifier. C’est un principe de saine gestion. A cet égard, devraient se développer aussi des plate formes de crédit ou de réinvestissement permettant de convertir plus facilement cette richesse en actifs réels. Le secteur de l’immobilier par exemple pourrait profiter de cette manne au cours des prochaines années.

Michel Ruimy : La valorisation des titres financiers est souvent l’expression d’une réalité comptable, physique et palpable. Toutefois, l’évolution de la finance de marché a pu aboutir progressivement à une décorrélation entre la valeur d’un actif et ses fondamentaux économiques (Cf. GAFAM, Amazon, Tesla…). Elle valorise ainsi non plus l’économie du « cash-flow » mais une confiance invisible, une survaleur (goodwill) immatérielle, dont les cotations de certains cryptoactifs peuvent en être l’expression ultime. La confiance, ingrédient essentiel de tout système macroéconomique inflationniste, est désormais cotée et sujette au jeu de l’offre et la demande de confiance.

Qu’en est-il des cryptoactifs qui reposent sur la technologie décentralisée de la blockchain dont la promesse est de reconstruire la confiance ? Les institutions soulignent souvent leurs faiblesses au niveau de leurs pratiques opérationnelles, de gouvernance et de risque. Ces derniers mois, les plateformes de cryptoactifs ont connu d’importantes perturbations au cours d’épisodes de turbulences sans compter les affaires retentissantes de piratage informatique qui ont abouti au vol des fonds placés par les usagers. La confiance n’est pas encore totalement instaurée.

Est-ce grave ? Non tant que la spéculation ne ruine que les spéculateurs car certains sondages relatifs au profil des investisseurs montrent qu’il s’agit, en général, d’une population jeune (moins de 35 ans) et hétérogène : dirigeants d’entreprise, chômeurs, ouvriers, ceux qui ont l’expérience des jeux d’argent… mais aussi des investisseurs en capital (La sensibilité politique y est déterminante aussi !) en quête notamment de rendement, de placements à long terme, de protection contre l’inflation voire un manque de confiance vis-à-vis des banques.

Dès lors que ces dernières conditions ne seront pas réunies, il se pourrait qu’un mouvement inverse puisse s’observer.

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