Les mille et une raisons pour lesquelles le monde moderne est mauvais pour le cerveau (et les ondes ne sont pas en cause)<!-- --> | Atlantico.fr
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A cause de nos habitudes, le cerveau est en danger
A cause de nos habitudes, le cerveau est en danger
©Flickr/IsaacMao

Multitasking

Mails, textos, Facebook, Twitter, téléphone : le monde moderne nous pousse à exécuter une multitude de tâches en même temps, notamment au travail, et ce au détriment de nos fonctions cognitives. Un certain nombre de travaux scientifiques sur la question tendent à prouver que notre cerveau, bon gré mal gré, n'a d'autre choix que "d'encaisser".

Philippe Vernier

Philippe Vernier

Philippe Vernier est Directeur de Recherche au Centre national de la recherche scientifique, et est le directeur de l’Institut des Neurosciences Paris-Saclay (CNRS Université Paris Sud).
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Atlantico : Lorsque nous effectuons beaucoup de tâches en même temps, passant de l'une à l'autre, pour finalement ne jamais vraiment mener chaque chose séparément à son terme, il y a un "coût cognitif" à payer, selon Earl Miller, neuroscientifique au MIT. Qu'est-ce qui se cache derrière cette idée de "coût" ?

Philippe Vernier :  Ce que l’on entend ici par « coût cognitif » est le fait que, contrairement à ce que pensent certains, le fait de faire plusieurs choses à la fois (multitasking) n’augmente pas l’efficacité des ces actions. En clair, si l’on fait 4 choses à la fois, le résultat de ces 4 actions prendra plus de temps que si elles avaient été réalisées successivement, chacune d’entre elles menées de bout en bout, avec attention. Il y a donc « un prix à payer » pour les actions simultanées qui de fait « coûtent » plus chères que des actions successives. Cependant, ce « coût » varie selon la nature des tâches qui sont accomplies en même temps. Certaines sont relativement compatibles et « coûtent » peu en terme d’efficacité, comme par exemple le fait d’effectuer un calcul mental en même temps que l’on doit atteindre un objet avec la main, alors que l’efficacité de ce même calcul sera très réduit si l’on doit en même temps reconnaître une musique, ou une chaîne de mots par exemple. Dans ce dernier cas, notre cerveau utilise en partie les mêmes modalités de fonctionnement du cerveau, qui ne peuvent donc pas fonctionner en même temps.

Selon Russ Poldrack, chercheur à l'Université de Stanford, le fait d'assimiler une information en même temps que l'on fait autre chose, comme regarder la télévision, a pour conséquence de "dévier" ladite information vers une zone du cerveau spécialisée dans le stockage des compétences, au lieu de l'envoyer vers l'hippocampe, où elle est censée être traitée pour être catégorisée. Quelle est la conséquence de ces changements de destination ?

Faire plusieurs choses à la fois semble, effectivement, modifier le mode de traitement de l’information dans le cerveau ainsi que l’apprentissage. Ce que le groupe de Russ Poldrack, et bien d’autres, ont montré, c’est que lorsque l’on fait apprendre des tâches complexes à des sujets témoins (comme de reconnaître des catégories d’objets ou de symboles inconnus), le fait d’être très attentif et concentré exclusivement sur cette tâche rend son apprentissage plus efficace que si l’on doit effectuer une autre tâche en même temps (comme lire des messages sur son téléphone portable par exemple). Dans le premier cas (concentration sur une tâche unique), l’apprentissage mobilise les réseaux de neurones de l’hippocampe, une région du cerveau qui est nécessaire à l’acquisition d’une mémoire à long terme, capable de généraliser à plusieurs situations ce qui a été appris dans une situation donnée. Dans le second cas (faire plusieurs choses à la fois), l’apprentissage utilise surtout les réseaux du striatum, qui facilitent la passage d’une tâche à une autre mais ne permettent pas d’obtenir une mémoire aussi approfondie, et capable d’être généralisée.

Mieux segmenter les activités, cela permet-il de réaliser des économies d'énergie au niveau du cerveau ?

Non, que l’on fasse une seule chose à la fois ou plusieurs ne change rien à l’énergie consommée par le cerveau (qui est l’organe du corps qui consomme de loin le plus d’énergie par rapport à sa masse). Le cerveau travaille tout le temps, les messages et informations y circulent en permanence, que l’on réfléchisse ou que l’on se repose, même si l’on ne s’en rend pas compte.

Faut-il répondre à ce mail tout de suite ? Dois-je prendre à cet appel ? Dois-je faire une pause maintenant ou plus tard… ? Le fait d’avoir à choisir entre plusieurs actions possibles en même temps, affecte-il la qualité, l’efficacité de la prise de décision ?

Effectivement, les spécialistes des sciences cognitives on montré que, d’une manière générale, lorsque l’on fait plusieurs choses à la fois, l’appréciation du risque est moins bonne que lorsque l’on est concentré sur une seule. Les personnes qui font plusieurs choses à la fois, tendent donc à prendre des décisions plus risquées (moins sages…). C’est pourquoi, par exemple, il est interdit de téléphoner quand on conduit une voiture, parce que d’une part l’attention à la conduite et la capacité de réaction est diminuée (coût cognitif), mais aussi parce les décisions prises apprécient moins bien le risque. 

Chaque fois que nous envoyons un mail, nous éprouvons un sentiment de devoir accompli, et c'est alors que notre "système de récompense" s'active, créant au fur et à mesure une forme de dépendance. A terme, notre cerveau devient-il "addict" au maniement de ces outils que sont les mails, Facebook, Twitter, etc., censés rendre notre vie plus pratique ?

Effectivement, chez certaines personnes, le « plaisir » de répondre aux messages reçus sur nos divers appareils électroniques peut entraîner une forme de dépendance à ces appareils. Elle s’apparente à la dépendance aux drogues d’abus (alcool, héroïne, cocaïne, cannabis, tabac…), à la dépendance aux jeux, aux aliments sucrés…etc. Ce sont effectivement en partie les mêmes « systèmes de récompenses » qui sont mis en jeu dans le cerveau. Cependant, il est en général plus facile de ce débarrasser de cette « addiction électronique » que de celle produite par des drogues comme l’alcool ou l’héroïne. Il suffit de fermer son ordinateur ou sont smartphone pendant quelques jours, en vacances par exemple, pour que cette dépendance cesse. Même si le retour sur le lieu de travail refait souvent basculer à nouveau dans cette dépendance, ce qui est un autre point commun avec les drogues d’abus, pour lesquelles les conditions, les lieux, dans lesquels elles sont prises contribuent fortement à favoriser la dépendance psychologique à la drogue (« craving »).

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