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Les médias sont-ils le pire ennemi de l'intervention française en Centrafrique ?
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Chut !

L'arrivée de François Hollande en Centrafrique, un voyage éclair sous haute surveillance militaire, a été annoncée sur tous les médias français et était donc connue de tous, y compris éventuellement des milices armées contre lesquelles luttent les forces françaises. "Un très mauvais signal" selon l'ancienne ministre de la Défense Michèle Alliot-Marie.

Jean-Marie Charon

Jean-Marie Charon

Jean-Marie Charon est sociologue, spécialiste des médias et chercheur au CNRS. Il a notamment co-dirigé avec Arnaud Mercier l'ouvrage collectif Armes de communication massives : Informations de guerre en Irak 1991-2003  chez CNRS Éditions

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Atlantico : Michèle Alliot-Marie, ancienne ministre de la Défense, a critiqué l'annonce faite par les médias de la visite de François Hollande en Centrafrique en déclarant "C'est un très mauvais signal, on ne doit jamais donner d'indication à des adversaires. Honnêtement, ça fait très amateur". Les médias auraient-ils dû retarder la publication de cette information comme elle le suggère ? Est-ce une faute ou au contraire une démarche légitime, même si elle ne va pas dans le sens des forces militaires ?

Jean-Marie Charon : Les politiques ont une étonnante capacité d’oubli, concernant leurs actions passées. Nous n’aurons pas la cruauté de rappeler à Madame Alliot-Marie son "professionnalisme" dans ses analyses concernant la Tunisie. Plus sérieusement, son propos rappelle la contradiction inévitable entre le travail des médias et les exigences de toute action militaire sur le terrain. Dans ce domaine chacun a à faire son travail, sachant qu’il n’y a pas de solutions satisfaisantes comme le rappellent les exemples de l’intervention américaine à la Grenade ou de la guerre des Malouines, où les médias furent tenus dans l’ignorance, ou à distance, avec un tel fiasco, que lors de la guerre du Golfe ou d’Irak, il fallut réinventer la formule des "embbeded", elle-même, immédiatement débordée. L’impression est que dans les propos de la ministre il y a une sous-estimation complète de ce qu’est devenu le système d’information, beaucoup plus déconcentré. Il suffit désormais d’un portable pour fissurer la cloche de silence que d’aucuns espèreraient placer sur une action militaire, un déplacement d’officiel, etc.

Est-il crédible de penser que les informations sur l'opération militaire Sangaris diffusées dans les médias français servent aux membres de la Séléka et aux autres groupes armés pour mieux répondre aux manœuvres militaires françaises ? Les informations diffusées sont-elles à ce point sensible qu'elles font du tort au bon déroulement des opérations ?

Dans chaque intervention militaire la problématique est la même en matière de relation des armées aux médias : d’abord protéger l’opération en cours et les hommes qui l’accomplissent. Ensuite valoriser le sens de cette opération aux yeux de l’opinion, mais aussi des autres pays. Puis soutenir le moral de la population, même si il y a un prix à payer en vies humaines. Enfin, bien souvent, tromper l’adversaire, le distraire, l’enfumer… Il n’empêche que combiner ces différentes dimensions devient complexe à l’heure des réseaux sociaux ou des blogs. Rappelons que les premiers "war blogs", souvent très critiques, émanaient de militaires américains, lors de la guerre d’Irak.

Il est donc plus nécessaire que jamais que les journalistes fassent l’exercice de leur mission d’information du public, y compris en se portant sur place. Leur regard sera toujours plus précieux pour la démocratie que la profusion de messages circulant sur les réseaux émanant des combattants eux-mêmes ou de leurs inspirateurs.

Plusieurs opérations militaires perdent le soutien de l'opinion publique du fait de leur perception médiatique négative. L'opération Sangaris – comme d'autres avant elle – peut-elle se heurter à l'obstacle de ce que les médias sur place laisseront transparaître d'elle ?

La question de la responsabilité des médias dans la perte de soutien de l’opinion, est un vieux refrain des États-majors, à commencer par celui de l’armée américaine, convaincu de la responsabilité des médias dans le fiasco vietnamien. Les travaux d’historiens ont pourtant souvent démontré, notamment à propos de la guerre du Vietnam, que les facteurs intervenants dans l’attitude de la population à l’égard d’actions de guerre sont plus nombreux et surtout plus complexes.

Dans quelle mesure un média, en principe indépendant du pouvoir et donc de l'armée, mais qui ne peut souvent effectuer son travail que sous la protection des militaires, peut-il se permettre de diffuser les informations qu'il souhaite ? Où est la ligne de fracture selon vous entre l'information légitime et la faute morale ?

La priorité pour les rédactions est de pouvoir bénéficier de toutes formes d’observations directes possibles, y compris "embedded", et à chaque fois que c’est possible indépendantes. Et l’on connaît le prix payé par les journalistes à cette conquête de l’indépendance, que soit en Syrie ou encore très récemment au Mali (je vous revoie au bilan annuel publié par RSF).

Ensuite, bien sûr chaque journaliste, chaque hiérarchie rédactionnelle, a la responsabilité de choisir, filtrer, hiérarchiser les contenus produits en se préoccupant d’abord de la vie de ceux qui sont exposés sur le terrain. Aux tenants de l’autocensure extensive dans ce domaine, il faut cependant rappeler qu’aucune rédaction n’a plus aujourd’hui l’exclusivité du témoignage, face à la multiplicité des "amateurs", parfois très partisans qui ont accès aux mêmes moyens de faire savoir.

Propos recueillis par Damien Durand

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