Les grands duels qui ont fait la France : Danton et Robespierre<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Un portrait de Robespierre.
Un portrait de Robespierre.
©

Bonnes feuilles

La France s’est construite par le conflit, qu’il soit extérieur (la guerre) ou intérieur. Notre histoire regorge de rivalités, célèbres ou oubliées, opposant jusqu’à la haine des individualités d’envergure souvent proches par leurs idées, mais antinomiques par leurs ambitions et leurs caractères. Ces grands duels sont non seulement passionnants – ils conjuguent complots, crises, affaires, coups bas et même assassinats –, mais aussi décisifs par leurs conséquences politiques. Extrait de "Les grands duels qui ont fait la France", édition Perrin (1/2).

Alexis Brézet

Alexis Brézet

Alexis Brézet est un journaliste et éditorialiste français spécialisé dans le domaine de la politique intérieure.

Voir la bio »

Cette fois, c’en était trop. Robespierre sortit de sa réserve. Il ne s’en prit pas à Danton, lui-même très prudent, effrayé même par l’audace de ses amis, mais à Camille, et à Fabre d’Églantine dont on venait de découvrir qu’il avait trempé dans l’affaire de la Compagnie des Indes6. Robespierre faisait le vide autour de Danton dont les amis avaient toujours été le point faible. Il ignorait l’art de rompre. Robespierre lui donna, de ce point de vue, une cruelle leçon en s’attaquant à Camille qui avait été son camarade à Louis-le-Grand, qu’il avait assisté comme témoin lors de son mariage avec Lucile, et qui croyait sans aucun doute que jamais Maximilien ne se retournerait contre lui. Scène tragique : sans doute Robespierre dénonça l’« étourderie » de Camille et le traita en enfant égaré par de mauvaises fréquentations, ce qui semble prouver qu’il ne voulait pas encore sa perte ; mais après qu’il eut évoqué la possibilité – même pour la rejeter – de demander à Camille de brûler son journal, celui-ci se leva et lança : « Brûler n’est pas répondre. » Cette fois, Robespierre ne répliqua pas d’un ton paternel : « Puisqu’il le veut, lança-t-il, qu’il soit couvert d’ignominie ! » Et si Camille était plus qu’égaré, s’il était l’« organe d’une faction scélérate » ? Desmoulins fut exclu des Jacobins, puis Robespierre se donna le beau rôle de le faire réintégrer. Fabre d’Églantine n’avait pas été le condisciple de Robespierre, aussi fut-il arrêté dès le 14 janvier. Danton, qui ne manquait pas de panache, demanda à la Convention d’entendre Fabre ; en vain. Personne, dans l’Assemblée, ne souhaitait se compromettre pour un « pourri ». Le 25 janvier parut le no 6 du Vieux Cordelier. Camille y reconnaissait l’échec de sa tentative pour renverser la faction d’Hébert. Celui-ci triomphait, ses partisans emprisonnés allaient bientôt être remis en liberté. Danton avait beau dire en privé qu’il était prêt à « manger la cervelle » de ses ennemis, il refusait de renverser le gouvernement, comme le lui conseillait Barras ; il semblait même ne plus vraiment croire au succès, et s’il monta une nouvelle fois à la tribune de la Convention pour réclamer la formation d’un « comité de justice », il n’y mit pas assez de conviction pour entraîner ses collègues, qui le regardaient peut-être déjà comme en sursis.

Billaud, au Comité, avait réclamé la tête de son ex-ami Danton. Collot et plusieurs autres appuyaient cette demande. Robespierre refusait encore de désigner des « coupables ». Hésitait-il ? Pressentait-il que la mort de Danton en entraînerait d’autres ? Répugnait-il à sacrifier cet homme qui ne lui inspirait pas de sympathie, mais qui était si étroitement lié à sa propre histoire ? Croyait-il le parti de Danton plus fort qu’il n’était ? Craignait-il une réaction de l’opinion ? Il accepta de rencontrer Danton. À la fin de janvier et au début de février, ils se virent plusieurs fois en tête à tête ou chez des relations communes. Chaque fois, l’entretien tourna à l’aigre. Ils ne pouvaient s’entendre. Ils s’efforçaient de rester courtois, mais la politesse même de Robespierre irritait Danton, tandis que la dénonciation par celui-ci des crimes de la Terreur exaspérait Robespierre, qui ne pouvait concevoir que des crimes eussent été commis au nom de la Révolution.

Il fallait en finir, il n’y aurait pas de réconciliation. Robespierre en était-il tourmenté au point qu’il tomba malade ? Du 11 février au 12 mars, on ne le vit nulle part. Il resta cloîtré dans sa chambre de la rue Saint-Honoré, jetant sur le papier l’ébauche d’un « discours sur les factions » qu’il laissa inachevé.

    Danton ne profita pas de l’absence de son ennemi. C’est comme si, à ses yeux, le combat avait déjà pris fin. Ce sont les hébertistes, redevenus maîtres du pavé parisien, qui se jetèrent eux-mêmes dans la gueule du loup en tentant de s’emparer du gouvernement. La méthode est classique : une campagne de presse contre les « nouveaux endormeurs » (Robespierre), lesquels, en épargnant les traîtres (Danton), mettaient la République en danger, suivie d’appels à une « sainte insurrection » et à de nouveaux massacres de Septembre pour en finir une fois pour toutes avec les traîtres et porter au pouvoir des révolutionnaires dignes de confiance. Mais Hébert n’était pas Danton. Celui-ci avait réussi le 10 Août, Hébert ne s’aperçut que trop tard que la Commune ne suivait pas. Il se rétracta, et s’il avait compté sur l’appui de ses alliés dans le Comité, Billaud-Varenne et Collot d’Herbois, il se trompait : ils l’abandonnèrent en échange de la tête de Danton.

On était le 12 mars, Robespierre venait de faire sa rentrée. Les hébertistes furent arrêtés le lendemain, jugés du 21 au 24, guillotinés dans la foulée. Les dantonistes se gardèrent de manifester trop bruyamment leur satisfaction, mais on ne voit pas non plus qu’ils s’attendaient à être arrêtés d’une minute à l’autre. Personne ne croyait Danton en danger et ses amis le pensaient si puissant qu’ils se sentaient en sécurité auprès de lui. Sans doute Fabre d’Églantine, Julien, Chabot et quelques autres avaient été arrêtés, mais pour des affaires d’argent où les Comités ne paraissaient pas vouloir compromettre leur mentor. Le 19 mars, le tribun fit sa dernière apparition à la Convention. Il fut très applaudi. C’était un peu ses adieux. Il ne pouvait le savoir. Au même moment, la police arrêtait l’imprimeur du Vieux Cordelier dont le septième numéro ne paraîtrait donc pas.

Extrait de "Les grands duels qui ont fait la France", édition Perrin, 2014, sous la direction de Alexis Brezet et Jean-Christophe Buisson. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !