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Les génies de l'arnaque : cet héritier ruiné d'une vieille famille bretonne qui devint roi de Port-Praslin
©REUTERS/Jack Hill/Pool

Bonnes feuilles

Génies ? Le mot n'est pas trop fort pour qualifier tous ces personnages habiles à détourner les lois, à dépouiller les naïfs, à imaginer - souvent à prix d'or - des monts et merveilles de pacotille en pratiquant un art vieux comme le monde : celui de l'arnaque. Extrait de "Les génies de l'arnaque", de Pierre Bellemare, publié chez Albin Michel (2/2).

Pierre Bellemare

Pierre Bellemare

Pierre Bellemare est un écrivain, homme de radio, animateur et producteur de télévision français.
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La vieille noblesse bretonne, cela évoque tout un univers : la chevalerie, Merlin, la Table ronde, du Guesclin et aussi l’attachement au terroir, le respect farouche des traditions. Bien sûr, ce ne sont que des images et, le plus souvent, les choses sont bien différentes. Mais dans le cas présent, l’image est vraie, elle est même au-dessous de la réalité.

Charles-Marie Bonaventure du Breil, marquis de Rays, est né en 1832 dans l’antique château de ses ancêtres, à Quimerch, Finistère.

Son enfance est à la fois oisive et sévère, comme il est de règle dans ce genre de famille. Alors, le jeune Charles-Marie en profite pour rêver. Il se plonge avec passion dans les livres de voyages et d’exploration qui font fureur en ce milieu du xixe siècle. Il fait quotidiennement plusieurs fois le tour du monde entre les murs épais du château.

Mais le futur marquis de Rays n’est pas seulement un rêveur. Dès que son âge le lui permet, il passe à l’action. À vingt ans, il s’embarque sur le premier bateau en partance pour les Amériques. Une fois arrivé, il ne s’arrête pas en si bon chemin, il va jusqu’au Far West voir à quoi ressemblent les sauvages de la côte Pacifique.

Ensuite, il revient, mais en passant par le Sénégal où il fonde des comptoirs, monte des affaires qui échouent, puis, de là, se rend à Madagascar, toujours avec la même idée : faire fortune. Il n’a pas plus de succès, tente un dernier crochet par Saigon et, devant l’échec persistant de ses entreprises, rentre enfin dans son château du Finistère.

Il a trente-huit ans, il n’est pas loin d’être ruiné, mais il a acquis là-bas quelques idées qui ne demandent qu’à se méta- morphoser en une seule grande idée. Et celle-ci ne tarde pas à jaillir...

Nous sommes en 1870. Charles-Marie Bonaventure du Breil, marquis de Rays, est ulcéré par les nouvelles qui parviennent de Paris. Sans cesse il arpente les larges couloirs, les immenses pièces vides.

Qu’est-ce qu’il apprend ? Qu’est-ce qu’il entend ? Le 4 sep- tembre une bande d’émeutiers a rétabli la république ! Mais c’est la fin de tout ! Car le marquis de Rays a, en matière politique, des opinions bien précises : c’est le type même de ce qu’on appelle à l’époque un « ultra ». Pour lui, les choses sont simples : tout allait bien jusqu’en 1789 et puis, à partir de là, c’est le désastre, la catastrophe, le diable en personne qui est venu sur la terre pour ruiner les deux seules choses auxquelles il croit : la monarchie et la religion. Si Napoléon III a perdu la guerre, rien d’étonnant : il s’était entouré, dans les dernières années, de toute une cohorte de libéraux. Pas la peine de chercher plus loin.

Voilà des idées qui, à défaut d’être nuancées, ont le mérite d’être claires et monsieur le marquis de Rays s’empresse de les mettre noir sur blanc dans un splendide mémoire à l’attention de M. Thiers, l’homme politique le plus en vue du moment, qui ne manquera pas d’en faire son profit et de l’appeler à ses côtés.

Mais une année, plusieurs années passent et M. Thiers ne se manifeste pas. En 1877, le marquis comprend enfin que son splendide mémoire n’aura jamais de réponse. Alors, il se fâche tout rouge, si l’on peut employer cette expression à son sujet. – Ah, décidément, il faut tout faire soi-même, dans ce pays !

Et le marquis, à partir de ce jour, va effectivement tout faire lui-même. Il va réaliser cette vieille idée qui lui vient de son enfance, qui est née pendant ses années d’oisiveté au château et qui a mûri pendant ses interminables voyages :fonder un royaume, une monarchie digne de ce nom, dont il sera le roi.

Son nom de souverain va de soi : Charles Ier. Il a déjà son programme depuis longtemps : l’absolutisme. Son drapeau sera blanc, évidemment, avec un grand « C » bleu entouré de fleurs de lys et il aura pour devise « Dieu, Patrie, Liberté », ce qui sonne au moins aussi bien que l’horrible « Liberté, Égalité, Fraternité ». Il ne lui manque plus que le royaume et les sujets, mais, se dit-il, cela ne doit pas être impossible à trouver.

Charles-Marie de Rays, qui est un homme décidé et même têtu – il n’est pas breton pour rien –, entreprend donc de cher- cher son royaume et ses sujets. Pour cela, il compte beaucoup sur l’un de ses amis, un avocat de Quimper, Me du Gois, qui est un royaliste tout aussi acharné que lui. Et, effectivement, Me du Gois n’est pas du tout surpris quand le marquis vient lui faire part de son incroyable projet. Au contraire, il est séduit, il est enthousiaste.

– Mon cher marquis, c’est une idée excellente ! Ce drapeau, quel symbole ! Et cette devise, elle résume parfaitement tout ce à quoi nous croyons.

– Merci, mon cher maître. Mais il reste le royaume. Vous qui êtes juriste, dites-moi comment faire.

– Eh bien, il n’y a qu’à prendre une carte. Nous allons en trouver un.

Me du Gois déplie un grand planisphère et le voilà qui cherche avec le futur Charles Ier...

Ça n’est tout de même pas si simple. La majeure partie des terres de notre globe offrent le gros inconvénient d’être peuplées et administrées par des régimes qui se prétendent légitimes. Comme le marquis ne songe pas à employer la force et n’en a d’ailleurs pas les moyens, il faut donc chercher plus loin, là où il n’y a encore personne, mais où l’on peut tout de même vivre.

Et les deux hommes finissent par trouver. On ne peut pas dire que ce soit ni tout près ni très grand, mais l’en- droit existe. À l’est de l’Australie, dans la mer de Corail, c’est-à-dire exactement aux antipodes, il y a un groupe d’îles que Bougainville avait découvert au xviiie siècle, sur lequel la France a donc une autorité de principe, mais qu’elle n’a jamais voulu exercer.

Au hasard, Me du Gois désigne une des îles, celle que Bou- gainville avait appelée Port-Praslin.

– Voilà, monsieur le marquis. C’est là que vous allez fonder la première monarchie absolue de notre siècle !

Charles-Marie Bonaventure du Breil est transporté d’émotion.

– Magnifique, mon cher du Gois, magnifique ! Cette île, je la nomme aujourd’hui Port-Breton. Ce sera bientôt le point de mire du monde entier.

Mais tout aussitôt, il redevient perplexe.

– Et les sujets ? Comment pensez-vous que je vais trouver mes sujets ?

– C’est tout simple : passez des petites annonces.

Aussitôt dit, aussitôt fait ! Le marquis passe des annonces dans les journaux parisiens et les plus grands journaux de province. Elles visent à trouver d’abord des souscripteurs et éventuellement des volontaires.Le texte est tout ce qu’il y a de plus alléchant : « Colonie libre de Port-Breton – Terres à 5 francs l’hectare. Fortune rapide et assurée sans quitter son pays. Pour tous renseignements, s’adresser à M. du Breil de Rays, château de Quimerch (Finistère). »

L’annonce est peut-être un peu trop alléchante, car au début le public se méfie. Toute l’année 1877 se passe sans résultat. Le marquis est obligé de répéter ses appels pendant l’année suivante et une partie de l’année 1879. Mais son obstination finit par être récompensée. L’argent commence à arriver au château et, avec lui, les premières demandes de renseignements pour faire partie des colons. (...)

Extrait de "Les génies de l'arnaque", de Pierre Bellemare, publié chez Albin Michel, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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