Les Français "shootés au sarkozysme" et à "l'agitation perpétuelle" ou simplement plus clairvoyants que leurs élites sur les élans du quinquennat précédent ? <!-- --> | Atlantico.fr
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"Le retour à l’antisarkozisme est la marque d’un profond désarroi du pouvoir socialiste."
"Le retour à l’antisarkozisme est la marque d’un profond désarroi du pouvoir socialiste."
©Reuters

Addiction

Interrogé hier jeudi par Radio Classique et LCI, Michel Sapin a récusé tout manque d'autorité du président sur ses ministres, estimant que la France était encore "shootée au sarkozysme" et qu'il fallait qu'elle se "désintoxique de l'agitation perpétuelle".

Atlantico : Pour Michel Sapin, la France serait encore "shootée au sarkozysme". S'il a souvent été taxé de "zappeur politique" Nicolas Sarkozy n'en a-t-il pas moins laissé une véritable empreinte sur la société française ? Laquelle ?

Maxime Tandonnet : Le retour aux "fondamentaux", "l’antisarkozisme", est la marque d’un profond désarroi du pouvoir socialiste au moment où le chef de l’Etat atteint un nouveau record d’impopularité avec une cote de confiance de 23% selon la Sofres, soit 10 points de moins que Nicolas Sarkozy à la même époque. Cette déclaration de M. Sapin est révélatrice de ce qui déplaît aux Français dans l’équipe au pouvoir. Elle donne l’impression d’une fuite en avant dans le sectarisme et de dérobade face aux responsabilités : c’est la faute des autres, encore et toujours. Il est incompréhensible que l’équipe au pouvoir ne sente pas à quel point elle se discrédite par ce genre de propos. Nicolas Sarkozy a été élu en 2007 avec un programme de réformes extrêmement ambitieux destiné au redressement du pays et pendant 5 ans il s’est démené pour le mettre en œuvre : défiscalisation des heures supplémentaires, réforme de l’impôt sur l’héritage, autonomie des universités, service minimum, rétention de sureté, peines planchers, retraite à 62 ans. Sa politique a bouleversé le paysage social français en démontrant qu’il était possible d’accomplir des réformes extrêmement difficiles et indispensables pour le pays sans céder à la rue et aux pressions conservatrices, ce qui n’était pas arrivé depuis le début des années 1980.

Yves-Marie Cann : Le dynamisme revendiqué et affiché constitue à n’en pas douter un marqueur fort du "sarkozysme". Les plus fidèles soutiens de l’ancien chef de l’Etat vous parleront d’activisme, ses principaux détracteurs d’agitation. Quoiqu’il en soit il est en effet possible que son style présidentiel ait laissé des traces et suscite aujourd’hui une certaine nostalgie, notamment auprès des sympathisants UMP. Toutefois, s’il a pu être apprécié des Français, notamment au déclenchement de la crise financière en 2008 ou lors de la crise géorgienne de 2009, ce style s’est souvent heurté à la réalité et aux jugements négatifs portés sur l’efficacité de son action.

Au-delà de Nicolas Sarkozy et des reproches qui ont pu lui être faits, à tort ou raison, il est un point difficilement contestable : plus que jamais, le locataire de l’Élysée se doit d’occuper l’espace. Et ce pour au moins deux raisons : l’adoption du quinquennat qui conduit à une accélération du temps politique, et les transformations du paysage médiatique qui accélèrent quant à elles le temps médiatique.

Enguerrand Delannoy & Maël de Calan : Que les socialistes soient obligés 18 mois après l’élection présidentielle de ressortir la ficelle de l’anti-sarkozysme pour remobiliser leur camp en dit vraiment très long sur leur état de décomposition politique. Cette décomposition a trois causes : le président et son Premier ministre n’ont aucune autorité,  les principales composantes de la majorité ne sont pas d’accord entre elles, et la situation du pays est dramatique. Les socialistes qui ont gagné les élections sur la base d’un gigantesque mensonge semblent complètement perdus, c’est un peu pathétique.

Ensuite, s’il est vrai que la parole publique aurait pu être plus rare et les lois moins nombreuses entre 2007 et 2012, l’énergie de Nicolas Sarkozy a aussi permis d’éviter un séisme financier en Europe – pour ne prendre qu’un seul exemple. Et sa détermination, d’engager un grand nombre de réformes structurelles essentielles au redressement du pays, de la réforme des universités à la réforme de la fonction publique, en passant par la réforme des retraites. En somme s’il a laissé une empreinte, c’est probablement en rappelant aux Français que leur destin était entre leurs mains, qu’il n’y avait pas de fatalité au blocage ou au déclin.

Dans les sondages, l'ancien président de la République reste le candidat préféré des sympathisants de droite pour la prochaine élection présidentielle et il continue à être à la une des médias. Comment expliquez-vous cette attente autour de Nicolas Sarkozy malgré son retrait de la vie politique ?

Maxime Tandonnet : Les déboires du pouvoir socialiste, qui a fondé sa légitimité sur l’antisarkozisme, jouent par ricochet en faveur de l’ex président. L’usure du pouvoir accélérée des dirigeants actuels suscite, chez les sympathisants de Nicolas Sarkozy et sans doute au-delà, des regrets et une nostalgie. Les meilleurs aspects de sa personnalité restent ou reviennent dans les esprits : un côté humain qui le poussait à s’adresser personnellement, en permanence, aux victimes et à ses compatriotes dans la détresse ; un dynamisme et une volonté hors du commun qui l’incitaient à exercer un rôle de médiateur dans les conflits internationaux et à préserver la paix par exemple dans la crise entre la Russie et la Géorgie ; sa créativité et son implication personnelle dans le travail de modernisation du pays. Les internats d’excellence, les peines planchers, les jurys populaires, toutes ses réformes sont issues de ses idées et de sa volonté personnelle. Elles font aujourd’hui l’objet d’un travail de destruction systématique mais leur mise en œuvre sous le quinquennat Sarkozy montre que le pouvoir ne se réduit pas forcément à l’impuissance et qu’il est possible de  gouverner malgré les obstacles. Par ailleurs, le souvenir du lynchage médiatique dont le président Sarkozy a fait l’objet, "président des riches", "voyou de la République", etc. a laissé un goût amer d’injustice aux Français qui lui ont fait confiance. 

Yves-Marie Cann : J’identifie plusieurs éléments. Le premier, c’est la nostalgie de nombreux sympathisants de l’UMP à l’égard de l’ancien chef de l’Etat, nous l’observons régulièrement dans nos enquêtes. D’ailleurs, dans notre Observatoire politique d’octobre avec Les Echos, 76% des sympathisants de droite déclarent en avoir une image positive. Cette nostalgie est d’autant plus forte que le processus de désignation du président de l’UMP en novembre 2012 n’a pas permis l’émergence d’un leadership incontesté à droite. La nature ayant horreur du vide, ceci ménage un espace pour Nicolas Sarkozy. Enfin, si Nicolas Sarkozy a perdu l’élection présidentielle, sa défaite n’a pas été vécue comme humiliante par ses soutiens. Au contraire, beaucoup ont interprété son score de second tour comme un exploit, tant il revenait de loin dans les enquêtes d’intentions de vote.

Enguerrand Delannoy & Maël de Calan : L’empreinte laissée par la campagne présidentielle de 2012 est toujours très forte : pas seulement parce que son intensité a été extraordinaire et son résultat très serré, mais parce que deux choix très clairs se sont alors dégagés. Le choix porté par Nicolas Sarkozy du redressement par l’effort, qui s’inscrivait dans la continuité du quinquennat, et le choix porté par François Hollande de l’apaisement et de la facilité, qui mène selon nous au déclin.

La figure de Nicolas Sarkozy continue ainsi à être associée dans l’esprit de nombreux Français à cette conviction selon laquelle la France, si elle le souhaite, pourra rester l’une des premières nations du monde. Qu’elle pourra financer sa protection sociale si elle est prête à travailler plus. Que ses usines reviendront si elle restaure sa compétitivité. Qu’elle pèsera du même poids que les Etats-Unis ou la Chine si elle va plus loin dans l’intégration européenne. En somme, il s’agit d’une sorte de réaction d’autodéfense des Français qui se souviennent, en pensant à lui, que le déclin français n’est pas une fatalité.

S'il ne l'a pas forcément mise en pratique durant son mandat, le candidat Nicolas Sarkozy avait théorisé la "rupture" et conditionné la société à cette idée. Il est également l'un de premiers hommes politiques français majeurs à avoir totalement assumé ses valeurs de droite. A-t-il ainsi contribué à décomplexer une partie de la société française, notamment celle qui était encore inhibée par un certain politiquement correct ?  

Maxime Tandonnet : Personnellement, je n’ai jamais ressenti les choses de cette manière. La question n’est pas d’opposer des "valeurs de droite" au "politiquement correct". Il existe des préoccupations et des attentes profondes qui concernent 60 à 80% des Français, sur la place de la France dans le monde, la puissance économique, la situation de l’emploi, la réorientation de la construction européenne, l’autorité à l’école, la sécurité des biens et des personnes, la maîtrise de l’immigration. Cependant, ces sujets exaspèrent les élites françaises issues de mai 68 et d’un climat imprégné des valeurs libertaires : "Il est interdit d’interdire". Nicolas Sarkozy a essayé de prendre le contrepied de ce dogme, pas seulement au niveau du discours, mais aussi dans les actes. C’est pourquoi, en voulant répondre aux attentes du pays, il s’est heurté à une intelligentzia majoritairement hostile, déchaînant un climat de violence politique sans précédent qui est en partie à l’origine de sa non réélection.

Enguerrand Delannoy & Maël de Calan. Le succès de la « rupture » de 2007 a tenu à deux choses. D’abord, ce discours collait parfaitement à l’état du pays : Nicolas Sarkozy était parvenu à convaincre les Français que pour redresser l’économie française, vaincre le chômage ou rétablir la sécurité, il faudrait mettre en œuvre des solutions inédites. Et que ces solutions découlaient clairement des valeurs portées par la droite (le travail, l’ordre, l’égalité des chances, le refus de l’assistanat etc.) Mais le discours de la « rupture » était surtout accompagné par un programme de réforme extrêmement précis, cohérent, pertinent. Sans la crédibilité du programme, la rupture aurait sonné creux et aurait été vaine.

C’est une leçon pour ceux qui pensent aujourd’hui que la dénonciation du « politiquement correct » ou les transgressions peuvent tenir lieu de programme. La rupture, à laquelle la France est prête, doit prendre la forme d’un contrat avec les Français ; et l’élaboration de ce contrat implique un travail de préparation colossal. Les Français ne veulent plus de discours politiques, même en « rupture » : ils veulent que la situation du pays s’améliore rapidement et concrètement.

Contrairement à Nicolas Sarkozy, François Hollande est davantage critiqué pour son action politique que pour son style. D'une certaine manière, est-il l'exacte antithèse de son prédécesseur ?

Maxime Tandonnet : L’effondrement de la cote de popularité du président actuel n’est pas seulement du à la situation du pays et aux échecs sur le front de l’emploi. Il correspond aussi à un problème d’image, de courant qui ne passe pas avec les Français. Cette  impression mélangée de dureté idéologique, partisane, derrière l’apparence débonnaire ne sied pas au mandat de chef de l’Etat, en principe président de tous les Français et incarnation de l’unité nationale. S’y ajoute le sentiment d’un caractère peu enclin à arbitrer et accomplir des choix difficiles. La succession de contradictions et de  couacs sur la fiscalité, les chiffres de l’emploi du mois d’août, les Roms, favorisant une impression d’incohérence et de dissimulation, n’a pu qu’aggraver dangereusement  la crise de confiance entre le pouvoir et les Français. Nicolas Sarkozy a certes commis des erreurs de style sous son quinquennat, qui pourrait prétendre le contraire ? Mais il est déconcertant de voir l’actuel chef de l’Etat les reproduire après les avoir tant fustigées : surexposition médiatique - l’hyper présidence -, personnalisation excessive du pouvoir et effacement de son Premier ministre quand les sujets d’actualité sont traités à l’Élysée, réception au Palais des  parlementaires de son parti. Cette tournure inattendue de la "présidence normale" n’a pu que brouiller encore plus son image. Cette dernière peut-elle être corrigée, inversée en 3 ans et demi ? L’expérience montre que c’est extrêmement difficile, sauf en cas de séisme politique qui le verrait changer complètement de rôle, par exemple à l’occasion d’une cohabitation avec une majorité et un Premier ministre d’un bord opposé.

Yves-Marie Cann : Au contraire ! La critique de l’action relève du jeu politique partisan traditionnel. François Hollande comme Nicolas Sarkozy et leurs prédécesseurs n’y ont jamais échappé. Ce qui suscite  de la critique pour François Hollande comme ce fut le cas pour Nicolas Sarkozy,  c’est l’absence de résultats sur les enjeux économiques et sociaux dans un contexte de chômage élevé, de pouvoir d’achat en berne et de pression fiscale accrue. Indépendamment de cela les polémiques gouvernementales peuvent entretenir au sein de l’opinion publique l’idée d’un Président indécis ou manquant parfois d’autorité.

Enguerrand Delannoy & Maël de Calan : Certains ont pu croire en 2012 que François Hollande serait en effet l’exacte antithèse de Nicolas Sarkozy : un style « sympa » malgré une politique inadaptée. Ils doivent se rendre compte aujourd’hui qu’il n’en est rien : sa politique est bien catastrophique, comme on pouvait s’y attendre, mais on découvre également les joies de la « synthèse molle » si chère à François Hollande !

Les Français qui voient bien que la politique portée par Nicolas Sarkozy était celle dont le pays avait besoin, commencent également à être nostalgiques d’un style qui, malgré quelques excès, était celui d’un président. 

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

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