Les Européens n’ont jamais eu une aussi bonne opinion de l’Union européenne (mais les Français sont quasiment les plus sceptiques)<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron, Ursula von der Leyen et Charles Michel lors d'une conférence de presse commune à l'occasion d'un sommet européen.
Emmanuel Macron, Ursula von der Leyen et Charles Michel lors d'une conférence de presse commune à l'occasion d'un sommet européen.
©OLIVIER HOSLET / POOL / AFP

Raisons objectives

La France a pourtant un président qui ne menace pas ses efforts pour vanter les mérites de l’Union. Comment expliquer cette relative désaffection française ?

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Jérôme Quéré

Jérôme Quéré

Jérôme Quéré est Délégué général du think tank Confrontations Europe. 

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Atlantico : Selon un sondage du Pew research center, les Européens n’ont jamais eu une aussi bonne opinion de l’Union européenne, mais les Français sont les plus sceptiques - Grèce exclue -. Comment expliquer cette relative désaffection française ?

Christophe Bouillaud : Cette enquête, effectuée au printemps 2022, montre effectivement que les enquêtés français sont 32% à avoir une mauvaise opinion de l’UE pour une moyenne européenne de 26%, contre 66% qui en ont une bonne opinion pour une moyenne européenne de 72%. De manière surprenante, il y avait en proportion alors moins d’enquêtés hongrois (28%) ou même britanniques (29%) à déclarer avoir une mauvaise opinion de l’UE que d’enquêtés français.

Cette relative désaffection tient à de multiples motifs qui se cumulent : la performance très médiocre de l’économie française sur la dernière décennie ; la forte présence dans notre vie politique de forces politiques guère favorable à l’UE(Rassemblement national, France insoumise) ; et surtout, absence d’une perception nette de l’UE comme défendant la France d’un danger existentiel. Dans ce même sondage, ce sont en effet, au printemps 2022, les Polonais qui ont la meilleure opinion de l’UE : 89% de bonnes opinions, et seulement 8% de mauvaises. On les comprend : sansl’intégration de la Pologne à l’UE et les prises de position de cette dernière en faveur de l’Ukraine attaquée par la Russie de Poutine, les forces russes auraient déjà été installées à ce moment-là aux frontières de la Pologne.

Jérôme Quéré : Alors ce n’est pas une nouveauté, ce n'est pas une information qui nous a étonné puisque la Commission européenne lance des eurobaromètres régulièrement pour sonder les Européens de manière générale. Notamment sur la confiance dans les institutions, dans la politique menée plus spécifiquement entre le COVID, la crise ukrainienne etc. Les Français arrivent souvent dans les derniers dans la confiance donc ça c'est une constante. Pour autant les Français en majorité ne souhaitent pas partir de l'Union européenne et ne souhaitent pas abandonner l'euro. Il n'y a pas de remise en cause de l'appartenance à l'Union européenne mais il y a une méfiance. Là c'est intéressant de comprendre pourquoi. Il est très difficile à travers un sondage de savoir spécifiquement pourquoi ils ont cette méfiance. 

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Mais quand on regarde la méfiance que les Français ont envers les partis politiques, les médias et les institutions françaises, on se rend compte qu'en fait le peuple français est un peuple très méfiant de manière générale. Si on compare avec les derniers chiffres de juin 2022, la confiance envers le président de la République est seulement 43% alors qu'elle est de 51% pour l'Union européenne. Il y a seulement 34% de confiance dans les médias et 19% -encore pire- pour les partis politiques français. On voit bien que Les Français ont une méfiance envers la politique de manière générale, les responsables politiques mais aussi les institutions. C’est le cas aussi pour les médias et c'est intéressant de montrer cela puisqu’ils commentent la politique aussi. 

La méfiance des Français est plutôt généralisée et c'est intéressant de toujours rapprocher les deux même si bien sûr l'Union européenne n'est pas exempte de défauts et cela doit jouer. C'est intéressant par rapport à d'autres pays qui ont plus souffert dans la crise économique et de certaines décisions de l'Union européenne et pourtant, ils ont plus confiance dans l'Union européenne que les Français qui n'ont pas particulièrement souffert de la politique de l'Union européenne dans la crise de 2008. Quand on voit les Irlandais et les Portugais qui ont plus confiance dans l'Union européenne alors que l'Union européenne leur a demandé de faire plus d'efforts après 2008, cela peut paraître étonnant. 

Ce n'est pas forcément quelque chose d’instinctif. En tout cas, il y a plusieurs sondages et baromètres qui vont dans le même sens. Il faut essayer de savoir pourquoi le peuple français est plus méfiant. Les sondages montrent que les Français se sentent mal informés sur les questions européennes et donc forcément il est difficile d'avoir confiance quand on se sent mal informés. Plus de 70% des Français sont mal informés sur les questions européennes. Cela contribue à un manque de visibilité dans les médias -audiovisuels surtout- et au sein des partis politiques aussi.

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Il faut qu'il y ait une crise pour que l'on parle de l'Union européenne mais l'action quotidienne de l'UE, on en parle relativement peu.

La France a pourtant un président qui ne ménage pas ses efforts pour vanter les mérites de l’Union. N‘y a-t-il pas une forme de paradoxe ?

Christophe Bouillaud : En démocratie, ce n’est parce que le pouvoir en place vante à longueur de temps les mérites de quelque chose, que toute la population s’extasie devant cette même chose. Cela peut même être l’inverse : en démocratie, le pouvoir vante quelque chose qu’il sait être apprécié de la population. On peut tout de même constater que la majorité des Français ont une bonne opinion de l’UE, et que selon ce sondage, il y a plutôt une amélioration de cette perception (+5% depuis 2021). Celle-ci dépend en réalité de bien d’autres facteurs que des propos présidentiels. Les médias jouent par exemple leur rôle, tout comme les réactions de tous les autres acteurs de notre vie politique.

De fait, les facteurs de popularité ou d’impopularité de l’UE tiennent sur la longue durée à des considérations liées à la situation économique perçue de chacun.

Jérôme Quéré : Il y a cette méfiance envers le président de la République et pas uniquement lui -il ne s’en sort pas forcément si mal par rapport à ses prédécesseurs- donc c'est vraiment quelque chose qui est inhérent aux Français. Ce n'est pas une question juste liée à Emmanuel Macron. Si on pense à François Hollande ou à Nicolas Sarkozy, il n’y avait pas une confiance absolue non plus. Je pense que cela vient de loin et qu’il faut plus prendre en compte de manière générale ce sentiment d'être mal informés. 

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Je ne sais pas si cela joue mais nous avons vu aussi qu’il y a une conscience plus accrue aussi de la désinformation et des fake news qui se sont déployées plus rapidement et de façon ostensible sur les réseaux sociaux. Les citoyens en ont conscience et donc sont plus méfiants. Il y a aussi eu la propagande ou encore la gestion du COVID avec des informations parfois contradictoires qui n’ont pas aidé. C'est tout cela qui doit être mis sur la table pour essayer de comprendre la situation actuelle. 

Au sein du mouvement européen, nous estimons que l’UE n’appartient pas à un parti politique. C'est important que chacun se saisisse de la question européenne parce que cela a une incidence et un impact sur notre vie, pour tous les concitoyens européens. Donc oui le président Emmanuel Macron s'exprime beaucoup sur les questions européennes mais avant lui il y a eu d'autres personnes qui l’ont fait. Mitterrand où Chirac n’ont pas démérité non plus sur les questions européennes. Cette méfiance était globalement la même à l'époque. On voit que cela n'est pas une haine parce que si tel était le cas les Français voudraient sortir de l'Union européenne alors que là, à une écrasante majorité, les Français veulent rester dans l’UE. 

Quasiment aucun candidat à l'élection présidentielle cette année ne voulait sortir de l'Union européenne ni de l'euro - pour Marine Le Pen, ce n'était pas du tout dans son programme alors que cela avait pu être le cas cinq ans auparavant et même chose pour Jean-Luc Mélenchon. Il y a cinq ans, les candidats prenaient clairement position pour la sortie soit de l'euro soit même de l'Union Européenne donc il est intéressant de voir cette évolution. Les candidats et les partis politiques ont pris conscience que les Français sont attachés à l'UE. Cependant les Français ont beaucoup d'attentes envers l'Union européenne et je pense que c'est peut-être cela qui est la clé de ces chiffres. Les Français ont beaucoup d'attentes envers leurs institutions françaises mais celles-ci ne sont pas comblées. Lors de la crise Covid, Sanofi n’a pas fait de vaccin donc les Français se sont tournés vers l’UE. Pour ce qui est de la crise énergétique, les attentes se tournent aussi vers l’UE.  

Les Français ont-ils des raisons objectives d’être moins enthousiastes que leurs voisins européens à l’égard de l’Union européenne ?

Christophe Bouillaud : Comme on l’a vu en 2005, lors du vote référendaire sur le Traité constitutionnel européen (TCE), au-delà de considérations strictement politiques, l’appréciation des Français vis-à-vis de l’Europe dépend beaucoup de leur perception de l’état de l’économie et de son avenir. La France qui voit l’avenir en rose est plutôt pro-européenne, celle qui le voit en noir est plutôt hostile à l’UE. Si on disposait dans ce sondage de données sur une base géographique, on trouverait sans doute le grand clivage de 2005 toujours ouvert, voire approfondi.

Il est difficile de fait de ne pas admettre que les habitants de certaines régions, départements, lieux, sont légitimes à craindre pour l’avenir de ces derniers. Ces 32% de personnes ayant une mauvaise opinion de l’Union européenne s’ancrent dans l’existence de situations objectivement difficiles du point de vue économique.En métropole, cela correspond au fait bien connu de la désindustrialisation de certains territoires. Cela correspond aussi au fait que, pour tenir les finances publiques, l’Etat a décidé de supprimer à marche forcée dans de nombreux lieux en déclin démographique le maillage des services publics, ce qui a constitué en quelque sorte une double peine pour ces territoires : à la fois plus d’usines, et plus de bureaux de Poste, de maternités ou d’écoles primaires. Cette double peine leur a été infligé « au nom de l’Europe ». Il ne faut pas s’étonner ensuite du résultat de ce sondage.

Moins qu’à l’UE d’ailleurs, cette double peine tient largement, au moins pour tout ce qui concerne les services publics, à une incapacité de nos élites politiques nationales à produire un partage centralisation/décentralisation efficace, démocratique, et lisible. Ce n’est vraiment pas l’UE qui a obligé la France àaboutir à ce galimatias institutionnel actuel, qui me fait de plus en plus penser quand je dois l’expliquer, non sans mal, à mes étudiants à l’Ancien Régime finissant, c’est là du 100% Made in France, dans une belle co-construction gauche/droite/centre au fil des décennies.

Jérôme Quéré : On devrait être plus enthousiaste parce que la France a assez peu de politiques européennes qui vont à l'encontre des positions des responsables politiques français. On est un pays avec une forte population, la seconde après l’Allemagne donc forcément c'est difficile de faire sans l’accord des Français. En matière de politique agricole commune ou de politique des transports c'est quasiment impossible de se passer des voix des Français et de leurs représentants, tant au Conseil des ministres qu’au Parlement européen. Ensuite s’ils ne sont pas contents de la façon dont les représentants expriment l’intérêt des Français, là c'est un autre débat et il faut renvoyer aux élections nationales et européennes. La France peut être mise dans une minorité sur certains sujets mais c'est assez rare sachant que la France est très investie sur les questions européennes. On a une représentation très forte de la France et des régions françaises à Bruxelles. Les Français n'ont pas forcément conscience de cela parce qu'on ne leur apprend pas à l'école. L'Education nationale ne met pas assez l'accent sur la question européenne et c'est aussi ce qui est demandé par les Français. Il y a eu plusieurs consultations citoyennes sur l'Europe voulues par Emmanuel Macron et la Commission européenne. Les Français demandent plus d’Europe. La France pourrait légiférer toute seule mais ne l'a pas fait. Cela ne veut pas dire que l'Union européenne est parfaite ou que l'Union européenne correspond parfaitement aux positions françaises -l'Europe n'est pas la France en plus grand- en revanche l'Europe ressemble plus à la France qu’au Luxembourg ou à Malte qui sont les deux plus petits pays en termes de population. Je pense que les Français n'en ont pas suffisamment conscience et c'est tout le travail du mouvement européen d'essayer de faire de la pédagogie sur le long terme et pas uniquement lors des élections européennes.

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