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Les États-Unis franchissent un pas dans l’agressivité à l’étranger
©Eric BARADAT / AFP

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Le 6 mars 2019, le général Curtis Scaparrotti, commandant suprême de l’Otan, brandissait devant le Congrès une "menace d’agression russe" pour obtenir des crédits supplémentaires.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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De son côté, le secrétaire général de l’Alliance, Jens Stoltenberg, avait précisé en février que les alliés disposaient "d’un large éventail d’options, conventionnelles et autres" pour faire face à la Russie. La question qui peut se poser est qu’est-ce qu’il entend par " … et autres " : la cyberguerre, la politique d’influence, la guerre par procuration, etc. ?

C’est dans ce cadre que le 14 mars, six bombardiers Stratofortress B-52H du 2nd Bomb Wing basé à Barksale en Louisiane ont été déployés à Fairford au Royaume-Uni. Cette base généralement inactive avait déjà accueilli ces bombardiers US lourds en 2003 lors de l’invasion de l’Irak. Dès leur installation, les appareils se sont livrés à des exercices ininterrompus avec leurs alliés de l’Otan. Ainsi, le 26 mars, deux B-52H ont effectué des vols au dessus de l’espace aérien islandais escortés par des Eurofighter Typhoon italiens qui assurent actuellement la couverture aérienne de ce pays (qui n’a pas d’armée) dans le cadre de l’Otan. Le 28 mars, cinq B-52H se sont entraînés avec des F-16 norvégiens au dessus de la mer de Norvège. Le 29 mars, un B-52H a effectué une mission au dessus des Pays-Bas puis de l’Islande. Pour Washington, ces entraînements améliorent les capacités et la préparation de l’Otan et "familiarise [ses équipages] avec le théâtre des opérations [européen]". Il n’y a aucun doute, l’ennemi est parfaitement désigné : la Russie. Il est difficile de prétendre que c’est comme durant la Guerre froide puisqu’à l’époque, lors des exercices militaires, il était interdit d’attribuer la couleur "rouge" à l’adversaire conventionnel pour ne pas choquer l’URSS communiste. Il était alors question de l’"ennemi carmin" !

Le fait même d’entraîner des bombardiers lourds à évoluer sur le territoire européen (en outre de la capacité d’emport d’armes nucléaires pour 38 avions sur les 89 actuellement en service, ces appareils peuvent mettre en œuvre différents missiles de croisière et autres bombes volantes) n’est pas un signal particulièrement pacifique car il s’agit bien pour les USA de se préparer en grandeur nature à frapper des objectifs à l’intérieur du territoire russe. Ce ne sont plus des plans de guerre comme en font régulièrement tous les états-majors mais bien d'une préparation opérationnelle à la guerre même s'il y a aussi des "effets de manches" destinés aux opinions publiques occidentales. Résultat de la propagande américaine relayée largement par les Européens, une majorité de Français croit aujourd'hui que la Russie représente la première "menace militaire" pour le pays.  Il fut un temps où une majorité de Français ne croyait pas dans la menace représentée par le Pacte de Varsovie, idéologie marxiste-léniniste alors très prisée chez les intellectuels oblige!  

Moscou a officiellement réagi à l’arrivée des B-52 en Europe en affirmant que cela apportait une tension supplémentaire en affaiblissant le "climat de sécurité et de stabilité dans une zone qui jouxte directement les frontières russes."

Réponse du berger à la bergère, le 21 mars, deux bombardiers Tu-160 Blackjack escortés par des MiG-31 ont effectué un vol au-dessus des mers de Barents, de Norvège et du Nord. Ils ont été interceptés puis "accompagnés" par des F-16 danois puis par des Eurofighter Typhoon de la RAF britannique. Il est effectivement devenu commun que des bombardiers stratégiques russes effectuent des vols à la limite des espaces aériens européens. Ces missions semblent avoir un double objectif pour Moscou : démontrer sa puissance et surtout, tester les systèmes de détection et d’alerte de l’Otan. Les états-majors russes étudient aussi des "plans de guerre".

Si la tension continue à monter, les Russes pourraient éventuellement renvoyer la pareille aux Américains en basant des bombardiers stratégiques au Venezuela. Le risque est que cela ne devienne alors une nouvelle crise de Cuba (1962). Déjà, le commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD) intercepte de plus en plus d’aéronefs russes (Tu-160, Tu-95 Bear parfois escortés de Su-35) dans la zone d’identification de la défense aérienne (ADIZ) dans la région de l'Alaska. Toutefois, les avions russes se gardent bien de pénétrer dans les espaces aériens canadien et américain.

Des budgets de la défense qui en disent long

Mais qui est vraiment le plus agressif ? Le côté financier est très significatif. En 2018, les États-Unis ont consacré 646,3 milliards de dollars à la défense, la Chine venant en seconde position - mais loin derrière - avec 168,2 milliards de dollars. Ensuite vient l’Arabie saoudite avec 82,9 milliards de dollars comme quoi d’argent ne fait pas la valeur d’une armée (ensablée au Yémen). Enfin la Russie arrive en quatrième place avec 63,1 milliards de dollars. Ainsi dans la lignée des années précédentes, Washington a dépensé en 2018 dix fois plus pour sa défense que Moscou même si ces chiffres sont à relativiser puisque le soldat et les matériels russes sont bien moins coûteux que leurs homologues occidentaux. En dépit de ces chiffres, Washington continue de clamer que Moscou est une menace pour la sécurité internationale en présentant la récupération de la Crimée comme contraire au Droit international ce qui est parfaitement exact. Mais tous les observateurs avertis savaient que la Moscou n’abandonnerait jamais la base navale de Sébastopol que Washington voulait faire récupérer par le régime "ami" ukrainien pour affaiblir un peu plus l’ours russe.

Quant au Droit international, les Américains le respectent quand cela les arrange. Cela n’a officiellement pas été le cas en Irak en 2003, en Syrie en 2014 sans parler de la reconnaissance de la souveraineté de l’État d’Israël sur le plateau du Golan en mars de cette année sans bien sûr compter les "opérations clandestines" (covert operations) menées de par le monde, en particulier en Amérique latine. Pour l'instant, il n'est pas prouvé que les pannes d'électricité géantes survenues au Venezuela soient le résultat de sabotages intérieurs ou extérieurs. En effet, l'industrie vénézuélienne est en état de décrépitude avancée depuis les "glorieuses années" du président Hugo Chavez. Il est tout à fait possible que ce soit la raison première de ces incidents calamiteux. 

Sur le plan des intentions, depuis que Donald Trump est aux manettes, la situation est beaucoup plus claire car la Maison Blanche a cessé d’adopter un ton diplomatique apaisant - même si sa politique étrangère avait sur le fond toujours été très agressive -. Il dit ouvertement ce qu’il pense de ses ennemis et ses alliés même si la différence semble parfois très difficile à faire sans compter ses fréquents changements d’avis (destinés à surprendre ses ennemi... et ses alliés) comme sur la Corée du Nord. Les responsables politiques européens n’auront plus l’excuse de dire qu’ils ne savaient pas !

Quant à la morale avancée comme valeur centrale de la politique étrangère des États-Unis, il s’assoit dessus comme le faisaient plus discrètement ses prédécesseurs. À savoir qu’elle peut être mise à mal quand Washington décide par exemple d’affamer les populations d’un pays étranger dans l’espoir qu’elles renversent, pour son compte, ses dirigeants (qui sont effectivement souvent des dictateurs sans foi ni loi). C’est aujourd’hui le cas du peuple syrien qui ne peut plus être ravitaillé en pétrole, les tankers iraniens étant bloqués sur ordre du Département d’État (les Russes parviennent encore à faire passer du gaz en bombonnes), du peuple iranien indirectement touché par l’embargo US qui oblige les sociétés occidentales (les fameux "alliés" des USA) à rompre tous liens commerciaux avec Téhéran sous peine de sanctions et, dans une moindre mesure, des Russes qui parviennent tant bien que mal à trouver d’autres partenaires. Les observateurs avertis qui ont de la mémoire se rappellent de ce qui était arrivé en Irak avant l’invasion de 2003. Washington avait pensé pousser les Irakiens à renverser Saddam Hussein en coupant l’arrivée des vivres et des médicaments. Cela n’a pas suffi d’où le déclenchement de l’opération militaire "liberté irakienne" qui a apporté, comme chacun le sait, la "démocratie" au Proche-Orient…

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