Les Etats-Unis face à une crise bien plus grave que celle du 6 janvier ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le républicain Kevin McCarthy a été écarté le 3 octobre du poste de speaker de la Chambre des représentants après le vote d’une motion de censure historique.
Le républicain Kevin McCarthy a été écarté le 3 octobre du poste de speaker de la Chambre des représentants après le vote d’une motion de censure historique.
©CHIP SOMODEVILLA / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Crise

Le mois d’octobre est tombé très brutalement sur les institutions américaines au moment où Kevin McCarthy, qui était alors président de la Chambre des représentants, a été éjecté de son siège.

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa est spécialiste des Etats-Unis et maître de conférences à l’université Assas-Paris II. Il est chercheur au centre Thucydide. Son dernier livre s'intitule Géopolitique des Etats-Unis (Puf, 2022).

Il est également l'auteur de Hillary, une présidente des Etats-Unis (Eyrolles, 2015), Qui veut la peau du Parti républicain ? L’incroyable Donald Trump (Passy, 2016), Trumpland, portrait d'une Amérique divisée (Privat, 2017),  1968: Quand l'Amérique gronde (Privat, 2018), Et s’il gagnait encore ? (VA éditions, 2018), Joe Biden : le 3e mandat de Barack Obama (VA éditions, 2019) et la biographie de Joe Biden (Nouveau Monde, 2020). 

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Le mois d’octobre est tombé très brutalement sur les institutions américaines au moment où Kevin McCarthy, qui était alors président de la Chambre des représentants, a été éjecté de son siège. Cela ne semble pas bien méchant, a priori. Et pourtant, tout l’édifice institutionnel semble vaciller et personne n’ose affronter cette question : va-t-il tenir debout ? L’événement est si incroyable et d’une telle soudaineté que la plupart des observateurs semblent, eux-aussi, KO debout. Qui ose encore regarder la réalité en face alors que le monde politico-médiatique s’est mis en pilotage automatique, dans l’attente de la nomination d’un nouveau Speaker ?

Car les questions affluent et bien malin qui peut apporter les réponses :

L’ordre de succession à la présidence est-il bousculé ?

La première question à résoudre est loin d’être simple. On vient de découvrir qu’il y a un président pro tempore. Voilà bien un rôle qui n’avait jamais été évoqué nulle part pour les non-initiés et pour cause : jamais dans l’histoire des États-Unis, depuis l’adoption de la Constitution, un président de la Chambre n’avait été renvoyé ! En conséquence, jamais encore un « président Pro temp » n’avait accédé au pouvoir à la Chambre. Et Patrick McHenry lui-même, député de Caroline du Nord, n’imaginait certainement pas que cette charge lui tomberait sur les épaules.

La difficulté majeure qui se pose est dans l’ordre de succession à la présidence. Le Speaker est normalement le 3e personnage de l’État, après le président et la vice-présidente. Kevin McCarthy, parce qu’il avait été élu par la majorité des représentants avait obtenu cette légitimité de pouvoir accéder à la Maison-Blanche, en cas de disparition ou empêchement des deux premiers membres de l’exécutif. Mais quid de McHenry, qui n’a gagné ce titre que parce que le précédent président de la Chambre a écrit son nom sur une liste de pro temps possible ? Pour compliquer l’équation, cette liste n’existe que depuis le 11 septembre 2001, quand il a été imaginé que plusieurs membres du gouvernement et des assemblées pouvaient être atteints par une fin tragique commune. Elle ne repose donc même pas sur une tradition historique et une volonté des Pères fondateurs. Par ailleurs, personne n’a discuté, débattu ni voté sur le choix proposé : McCarthy a décidé seul, et la liste est restée secrète jusqu’à ce que The Parlementarian (officier de la Chambre) ne révèle à tous qui devenait le nouveau leader. On comprend que la légitimité de McHenry peut être discutable, et qu’elle serait certainement discutée dans le cas tragique où il devrait prendre la présidence du pays. On est à peu de choses près dans le cas du Survivant Désigné, nom porté par un ministre qui est mis à l’écart lors d’une manifestation qui doit réunir à la fois le président, le vice-président et tous les autres ministres, au cas où… Sauf que dans la situation qui nous occupe aujourd’hui, il y a aussi un président pro temp (qui est une présidente actuellement) au Sénat qui est, en revanche, connue de tous, puisqu’il s’agit par tradition du doyen des sénateurs de la majorité et qui a été élue pour cela. Il y a aussi un ordre de succession qui donne à chaque ministre une place pour continuer à guider le pays, toujours au cas où.

Le président pro temp a-t-il du pouvoir ?

La deuxième question est toute aussi compliquée : en 234 ans d’histoire du Congrès il n’y a jamais eu de vide de leadership. Personne n’a donc jamais pensé à débattre des multiples questions liées aux affaires législatives où à les codifier : c’est le grand vide.

La réalité est plutôt que personne ne sait ce qu’il faut faire. Les spécialistes de droits constitutionnels ne vont pas manquer de se disputer sur cette question, certains s’appuyant sur la réalité du fonctionnement de cette assemblée qui s’appuie sur la notion de « précédent » et qui défendront le droit de McHenry d’écrire les nouvelles règles dans chacun de ses actes. Mais d’autres seront davantage préoccupés par une dimension plus politique et défendront leur droit à être associés à toute décision : il faut donc que la Chambre vote de nouvelles règles, et cela ne peut se faire qu’à la majorité.

On peut donc s’interroger sur chacune des fonctions du Speaker, qui peuvent toutes faire se dresser la contestation, à commencer par les affectations dans les commissions des différents membres qui n’ont peut-être plus le droit de siéger, l’envoi d’un projet de loi dans ces mêmes commissions, ou l’inscription d’un projet pour le vote en séance plénière en vue de l’adoption. Bien entendu, il faut aussi oublier les poursuites contre Biden et sa destitution : plus personne ne peut envoyer d’assignations. Enfin, il y a la question particulière des dépenses, qui va devenir critique.

Y aura-t-il blocage ?

La majorité très étriquée a terriblement compliqué le travail de la Chambre. Elle l’a rendue tellement instable que huit députés ont suffi à renverser le Speaker. La radicalisation de certains s’est trouvée amplifiée par le pouvoir qu’ils ont tiré de cette situation, obtenant des sièges dans des commissions prestigieuses ou faisant avancer leurs idées dans les textes proposés. Car il suffit de cinq voix seulement pour que tout s’arrête.

Il est clair aussi que la chute de McCarthy est exemplaire du climat de tension qui précède une élection majeure. À 100 jours du début des primaires et à quelques mois des élections générales (tant à la présidentielle qu’au niveau législatif), il est difficile de voir émerger une issue heureuse pour tous, faite de compromis et de bonne volonté. Le blocage semble d’autant plus inévitable que face à Steve Scalise, héritier naturel de McCarthy à ce poste, c’est un poids-lourd de la droite dure qui se présente : Jim Jordan est fondateur du groupe de la droite radicale Freedom Caucus et il a obtenu le soutien de Donald Trump. La lutte sera donc serrée : les modérés ne voudront pas de Jordan et les radicaux ne le lâcheront pas.

La règle de la Chambre reste pourtant claire : il faut obtenir la majorité des voix (217 voix car 2 postes sont vacants) pour être élu. Mais cinq membres peuvent tout bloquer et ils peuvent le faire indéfiniment. On se dit qu’ils sont trop raisonnables pour en arriver là. On se disait aussi qu’ils l’étaient tout autant il y a une semaine et ne voteraient pas contre Kevin McCarthy.

Il ne faut donc pas exclure que la Chambre ne se choisira peut-être pas un nouveau président avant très longtemps, pourquoi pas même jusqu’aux prochaines élections et que plus rien ne pourra être voté, à commencer pour la loi de finance qui a été reportée de seulement 45 jours. Sans un accord dans un mois et demi, tout le pays sera en arrêt technique pour défaut de financement.

On se rend compte aussi que la guerre en Ukraine pourrait basculer dans un cauchemar alors que 322 députés sur 433 et 88 sénateurs sur 10 sont fermement favorables à un financement actif par les Etats-Unis. Mais sans un projet de loi qui viendra jusqu’à eux, ils ne pourront rien faire.

On a beaucoup parlé du 6 janvier 2021 en imaginant qu’on avait vu le pire. Mais le pire est peut-être juste à venir.

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