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Les enfants et adolescents dont les parents font des stars de leurs réseaux sociaux ont un avis sur le sujet. Et ils ne sont souvent pas contents !
©Reuters

Données personnelles

Un nouveau "conflit" familial intergénérationnel émerge sur la gestion des images : il arrive que les enfants et les adolescents n'autorisent pas leurs parents à partager leur image sur les réseaux sociaux.

Nathalie Nadaud-Albertini

Nathalie Nadaud-Albertini

Nathalie Nadaud-Albertini est docteure en sociologie de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) et et actuellement chercheuse invitée permanente au CREM de l'université de Lorraine.

 

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Atlantico.fr : Comment et à quel âge se manifeste concrètement ce conflit ?

Nathalie Nadaud-Albertini : Ce conflit autour du partage sur les réseaux sociaux par les parents de certaines images de leurs enfants se manifeste par le fait que ces derniers ne sont pas d’accord ou pas à l’aise avec les images d’eux qui sont postés. Va alors s’engager une négociation entre les parents et les enfants pour savoir ce qui peut être ou non posté. Parfois, ils aboutissent à un compromis (par exemple, la photo est prise et publiée mais l’enfant cache son visage), parfois il est décidé que la photo ne sera pas partagée ou parfois les parents passent outre le consentement des enfants.

Ce conflit se manifeste au moment où l’enfant prend pleinement conscience d’être une personne indépendante de ses parents. Cela peut varier selon les enfants, mais disons environ 7 ans, ce que l’on a coutume d’appeler « l’âge de raison ».

En quoi ce conflit de droit à l'image révèle-t-il les évolutions autour de l'identité personnelle ? Ne peut-on pas voir dans ce phénomène un rejet individualiste de la construction de l'image publique via la famille ?

Ce conflit montre qu’à un moment donné les enfants se vivent et se revendiquent comme des êtres avec une identité indépendante de l’identité collectivisée qu’ils ont à travers l’image familiale publiée sur les réseaux. Cela existait déjà avant les réseaux mais se manifestait dans des proportions moindres, car la portée de diffusion des images était limitée au cercle de proches. Par exemple, les enfants refusaient de se mettre en scène dans telle ou telle image (en train de faire des gâteaux en se maculant le visage de chocolat par exemple), refusant ainsi d’être un vecteur permettant aux parents de donner une image idéale de leur quotidien familial en envoyant par courrier postal des doubles de la photo en question. Les enfants refusaient parce qu’ils ne voulaient pas être perçus uniquement comme les enfants de telle et telle personne. Ils voulaient qu’on les considère pour eux-mêmes. Avec les photos partagées sur les réseaux, seule l’échelle de diffusion change, mais l’enjeu est toujours le même pour les enfants : se présenter comme des personnes à part entière et pas uniquement comme des membres du collectif familial dans une version souvent idéalisée.

Adolescents et parents n'ont pas la même sensibilité à la publication de leur vie intime, par définition privée. En quoi la recherche de contrôle de leur image par les adolescents manifeste-t-elle une modification plus générale de la manière dont les nouvelles générations vont mettre en œuvre cette séparation public/privé ?

Les parents ont tendance à partager des photos de leur vie privée dans une version idéalisée, c’est-à-dire qu’ils se mettent en scène comme famille harmonieuse. Cela ne veut pas dire que c’est un mensonge, simplement une exagération de ce qu’est leur quotidien familial. Ils vont garder pour eux ou pour leur cercle très proche les moments moins idéaux ou les moments plus intimes qu’ils ne savent pas exprimer sur une image.

Pour les enfants, le partage public/privé n’existe pas de façon aussi nette, car leur vie privée s’élabore également en ligne. Pour eux, les interactions numériques ne sont pas nécessairement publiques, elles font partie de leurs relations quotidiennes. C’est pourquoi ils expriment sur les réseaux des éléments privés, comme l’expression de l’amitié, de conflit, de relations amoureuses. Je veux dire par là que le dire en ligne c’est le vivre pleinement, au même titre que dans la vie IRL. Il n’est pas question d’image figée mettant en scène ou fixant des souvenirs dans le temps comme pour les parents. On publie telle photo avec telle personne parce qu’on vit une histoire spécifique avec elle, et le publier est une façon intégrante du fait de vivre la relation. Autrement dit, les parents connaissent mal la grammaire de l’intime en ligne, les enfants si.

Le fait que les enfants et les adolescents soient très tôt présents sur les réseaux sociaux relègue-t-il plus généralement la famille à une fonction de socialisation secondaire ? 

La famille est une instance de socialisation tellement fondamentale qu’il me semble difficile d’envisager qu’elle perde un jour sa fonction de socialisation primaire. En effet, la présence précoce des enfants sur les réseaux ne change pas le fait que c’est dans le cadre du milieu familial que se constitue le système de dispositions à partir duquel toutes les autres expériences de la vie sociale seront filtrées. Cette action prépondérante s’explique :

1) par le fait qu’elle intervient dès le premier âge de la vie, au moment où la personnalité de l’enfant est encore malléable

2) par le fait qu’elle est particulièrement intense à cause des contacts quotidiens entre parents et enfants

3) par le fait qu’elle a lieu dans un climat affectif fort qui rend les enfants tout particulièrement réceptifs aux apprentissages nouveaux.

Par conséquent, exposition sur les réseaux ou non, la famille conserve toujours un rôle central dans la socialisation. En revanche, la socialisation par la famille comprend dorénavant un apprentissage de l’exposition de soi sur les réseaux. L’enfant apprend en effet au sein de sa famille le rapport à l’image publique via les réseaux, en acceptant la publication de certaines images et en en refusant d’autres. Les parents vont accepter les refus dans certains cas comme étant une marque de leur prise d’autonomie et ne pas en accepter d’autres, parce qu’il leur semble également important d’apprendre à leurs enfants à ne pas être prisonniers de leur image. C’est par exemple le cas de parents postant des images de leurs adolescents qui, comme beaucoup d’adolescents, trouvent que leur apparence ne convient jamais à l’exposition en images. C’est pour les parents une façon de montrer à leurs enfants qu’ils n’ont pas à se cacher ou  à être invisibles, même si leur apparence n’est pas parfaite. Ils leur apprennent ainsi qu’ils ont le droit d’exister dans l’espace public avec leurs imperfections, et ils les aident à y prendre leur place en dépassant leurs complexes. Autrement dit, ils les aident à grandir et à se socialiser via les réseaux.

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