"Les enfants des riches" de Wu Xiaole : Les paillettes et falbalas ou la femme riche et celle qui ne l’était pas<!-- --> | Atlantico.fr
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Wu Xiaole publie « Les enfants des riches » aux éditions Rivages.
Wu Xiaole publie « Les enfants des riches » aux éditions Rivages.
©Mirror Fiction Inc / DR

Atlantico Litterati

Wu Xiaole vit et travaille à Taiwan où son premier roman connait un succès retentissant. Sorte de « thriller » social, « Les enfants de riches » fait penser à certaines nouvelles de Maupassant, en particulier « La parure ».

Annick Geille

Annick Geille

Annick GEILLE est écrivain, critique littéraire et journaliste. Auteure de onze romans, dont "Un amour de Sagan" -publié jusqu’en Chine- autofiction qui relate  sa vie entre Françoise Sagan et  Bernard Frank, elle publia un essai sur  les métamorphoses des hommes après  le féminisme : « Le Nouvel Homme » (Lattès). Sélectionnée Goncourt et distinguée par le prix du Premier Roman pour « Portrait d’un amour coupable » (Grasset), elle obtint ensuite le "Prix Alfred Née" de l'Académie française pour « Une femme amoureuse » (Grasset/Le Livre de Poche).

Elle fonda et dirigea  vingt années durant divers hebdomadaires et mensuels pour le groupe « Hachette- Filipacchi- Media » - tels le mensuel Playboy-France, l’hebdomadaire Pariscope  et «  F Magazine, »- mensuel féministe racheté au groupe Servan-Schreiber, qu’Annick Geille reformula et dirigea cinq ans, aux côtés  de Robert Doisneau, qui réalisait toutes les photos. Après avoir travaillé trois ans au Figaro- Littéraire aux côtés d’Angelo Rinaldi, de l’Académie Française, elle dirigea "La Sélection des meilleurs livres de la période" pour le « Magazine des Livres », qui devint  Le Salon Littéraire en ligne-, tout en rédigeant chaque mois une critique littéraire pour le mensuel -papier "Service Littéraire".

Annick Geille  remet  depuis quelques années à Atlantico -premier quotidien en ligne de France-une chronique vouée à  la littérature et à ceux qui la font : «  Litterati ».

Voir la bio »

A Taiwan comme ailleurs, la bourgeoisie impose sa mode, sa norme et ses lois sur tous ceux qui veulent appartenir à la bonne société. Chen Yunxian est une excellente mère. Voulant le meilleur pour son fils, elle souhaite devenir l’amie de la femme du patron de son mari. Seulement voilà : comment impressionner une femme riche quand, d’origine modeste, on n’a pas les codes ? « Acide, cruel et efficace « Les enfants des riches » est une plongée dans la psyché d’une femme piégée par son obsession de réussite… Wu Xiaole vit et travaille à Taiwan où son premier roman connait un succès retentissant. Sorte de « thriller » social, « Les enfants de riches » fait penser  à certaines nouvelles de Maupassant, en particulier « La parure » ( une femme  pauvre emprunte un collier de prix à sa riche amie…)

« Une femme a toujours, en vérité, la situation qu'elle impose par l'illusion qu'elle sait produire.» dit Guy de Maupassant (1850-1893).

A Taiwan, une admiratrice de la littérature française s’inspire de cette « illusion qu’elle sait produire ». Ce que veut nous dire Wu Xiaole c’est qu’il faut oser être soi. Ne pas suivre la mode des autres, ne pas adopter la panoplie intellectuelle des autres. Se trouver, rester soi, loin des faux-semblants. Sinon attention : le désir de paraître  risque d’abimer la vraie vie. Dommage que la traduction  ne soit pas toujours à la hauteur du propos. Parfois le mot est mal choisi, le rythme devient mauvais ( pas le texte, sa traduction). Y aurait-il deux traductrices ? Heureusement l’intrigue est bien ficelée et le roman possède ses personnages, sa mythologie. Le lecteur perçoit  la force du propos et le caractère de l’auteure. C’est rare.Annick GEILLE

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Copyright : Mirror Fiction Inc.

Extraits

« Sa tenue n’était clairement pas à la hauteur »

« À 11 h 50, Yunxian et Peichen, main dans la main, arrivèrent dans la cour de l’immeuble de leurs hôtes. Dès que Yunxian aperçut les autres mamans invitées, son cœur se serra : sa tenue n’était clairement pas à la hauteur.

Tout ce beau monde s’était mis sur son trente et un : manteau en laine chiné, haut blanc uni, short kaki, robe à imprimé floral, attaches en dentelle et, accrochées aux sandales, de grosses fleurs de camélia clinquantes. Il fallait avoir l’air négligé tout en ayant beaucoup travaillé son look. Un premier de la classe ouvrant des yeux stupéfaits et avouant d’un air difficilement condamnable qu’il n’avait jamais vraiment aimé lire n’aurait pas dépareillé.

Yunxian aperçut son reflet et celui des autres invitées dans d’immenses baies vitrées : la différence sautait aux yeux. Toutes paraissaient prêtes à embarquer pour une petite île d’Asie du Sud-Est – elles avaient déjà à la main un verre de jus de fruits dans lequel surnageait une ombrelle – ou en pleine visite d’un musée des Beaux-Arts à l’étranger. Elles semblaient à leur aise, chacune attirant l’attention par son style sans pour autant donner l’impression de s’être donné trop de mal.

Soudain triste, Yunxian resta à distance. Elle salua les autres femmes avec raideur et se contenta de contempler de loin toutes ces poupées parfaites. Elle baissa les yeux vers son fils, inquiète à l’idée qu’il se sente mal. L’enfant, les yeux brillants, observait les alentours avec intérêt, encore indifférent à leur inadéquation à tous les deux. Il n’avait qu’une chose en tête : son père lui avait affirmé que le fils de son patron avait dans sa chambre une vitrine contenant toutes sortes de figurines de superhéros.

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Yunxian poussa un soupir, ravie que Peichen ne soit pas sensible au décalage – elle n’aurait pas su comment lui remonter le moral alors que le sien était au plus bas. Elle en voulut à son mari, c’était de sa faute si elle n’avait pas choisi la bonne tenue. Elle aurait pu faire tellement mieux !

Leur hôtesse attendait que tout le monde soit arrivé pour les faire monter ; or il y avait des retardataires.

Aucune logique de groupe ne semblait présider aux interactions entre ces femmes. À l’exception de Yunxian, elles évoluaient librement, s’asseyant ou se levant quand elles en avaient envie. Mais, à y regarder de plus près, elles étaient surtout attentives à̀ leur hôte, Liang Jiaqi. Les carpes koi aussi donnent l’impression de nager dans leur bassin en toute insouciance ; et pourtant, au moindre mouvement, elles disparaissent.

Liang Jiaqi était cette ombre au bord du bassin. Les carpes réagissaient au plus infime de ses gestes. Parfaitement consciente de la situation, elle parlait avec toutes ses invitées et félicitait l’une ou l’autre pour la beauté de son teint, veillant à consacrer autant de temps à chacune, comme si son attention était un gâteau à découper en parts égales. À peine Yunxian eut-elle le temps de se dire que Liang Jiaqi ne pourrait pas l’aborder puisqu’elle ne l’avait jamais vue que leurs regards se croisèrent. La jeune femme lui adressa un sourire et vint la prendre chaleureusement sous son aile. Yunxian ne put que se ranger à l’opinion de son mari : son hôtesse jouait son rôle à la perfection et son sourire, le fruit d’un entraînement vraisemblablement rigoureux, aurait pu figurer dans un manuel, avec pour légende : « Le sourire à afficher lorsqu’un invité que vous ne connaissez pas se présente à votre fête. » Alors que Yunxian était encore aux prises avec ses émotions, Liang Jiaqi avança lestement dans sa direction. Les carpes, à qui rien n’échappait, levèrent le menton et s’intéressèrent au couple que formaient ces deux inconnues. Des messes basses et des chuchotements emplirent l’air. Yunxian, qui comprenait vaguement la situation mais ne maîtrisait pas les codes, sentit son cœur s’emballer.

« Yunxian, j’imagine ? Bonjour, je suis Jiaqi, la femme de Ted. Tu peux m’appeler Katherine, ou Kat. »

Un sourire crispé étira les lèvres de Yunxian malgré elle. « Ne me dis pas que ton mari ne t’a pas parlé de moi », reprit Jiaqi en clignant des yeux.

Elle jouait l’ingénue à merveille.

Intimidée, Yunxian ne sut comment commencer. Elle avait une boule dans le ventre. Elle avait déjà du mal avec les personnes qu’elle connaissait depuis des années, autant dire qu’il lui fallait un certain temps pour s’acclimater à une première rencontre. Tout était allé beaucoup trop vite. Elle décida donc d’imiter son interlocutrice. « Bonjour ! C’est ça, je suis Yunxian... Euh, j’ai aussi un prénom anglais, Evelyn, mais j’ai plus l’habitude qu’on m’appelle Yunxian. »

Jiaqi la dévisageait – calculait-elle quelque chose ou accueillait-elle ses paroles le cœur ouvert ? Yunxian serra un peu plus fort la main de son fils ; sans son mari, elle allait devoir s’en sortir toute seule. Quelle injustice ! Elle se sentit comme vidée de son énergie. Mais à l’instant où une corde allait se rompre en elle, son hôtesse sourit, s’approcha gentiment et lui saisit le bras. Une odeur de rose et de thé blanc l’enveloppa. Le contact était agréable.

« Yunxian, détends-toi. Tu as l’air crispée », souffla la voix de Jiaqi à son oreille.

Yunxian était désormais aux premières loges pour observer ses traits harmonieux et sa peau si soignée que même de près aucun pore n’était apparent – le résultat de crèmes hors de prix ou d’une opération esthétique réussie ? Sa beauté n’était pas de celles qui attiraient immédiatement les regards, mais se révélait progressivement. Afin de se faire bien voir, Yunxian s’efforça de prononcer quelques mots qu’elle oublia aussitôt. Jiaqi rit à plusieurs reprises en mettant sa main devant sa bouche. Sincères ou pas, ces rires suffisaient. Ils lui permettraient de prouver à son mari qu’elle avait fait de son mieux. Elle s’autorisa un petit soupir de satisfaction : elle ne s’en tirait pas si mal.

Les retardataires finirent par arriver, et avec elles, une deuxième ombre au bord du bassin. L’harmonie s’en trouva rompue, remplacée par une compétition acharnée.

Dès que la dernière invitée fit son apparition, une lueur d’hésitation brilla dans les yeux de Jiaqi. Le temps que Yunxian cligne des paupières, son hôtesse s’éloignait déjà, emportant avec elle son doux parfum.

La femme qui les avait fait attendre près de vingt minutes avançait en direction du hall. À mi-chemin, elle s’arrêta, comme si elle avait oublié quelque chose, et retourna à sa voiture. Le haut de son corps disparut à l’intérieur de l’habitacle tandis que le bas continuait à s’agiter. Elle était habillée à la dernière mode, épaules et jambes découvertes. Sur son corps svelte, pas la moindre trace de cellulite. Lorsqu’elle s’éloigna à nouveau de la voiture, une petite fille la suivait ; son visage était beaucoup moins agréable que celui de sa mère, au point que personne n’aurait vraiment pris la peine de l’étudier. Yunxian ressentit un élan de sympathie pour la petite qui n’avait visiblement aucune envie d’être là. Le pourquoi importait peu, les enfants de six ans ont toutes les raisons du monde d’être mécontents.

« Il n’y a que toi pour arriver en retard à un rendez-vous avec autant de monde, lança Jiaqi d’un air faussement énervé.

– Si ça ne tenait qu’à moi, on aurait été à l’heure. Mais après sa sieste, Xinyu ne voulait plus venir, répondit la femme en clignant des yeux et en montrant sa fille d’un air résigné.

– Ce n’est pas grave, c’est normal de faire des caprices à son âge, rien de bien méchant. Si on montait ? »

Jiaqi leva la main ; ses jolis doigts s’agitant au-dessus de sa tête appâtèrent les carpes qui, dans son sillage, filèrent vers l’ascenseur.

Extrait 2

C’était la première fois qu’elle était aussi satisfaite de sa vie

« Son fils étudiait à Songren et faisait partie des premiers de sa classe. Et elle, elle possédait un sac de marque.

Yunxian lâcha un soupir de contentement. C’était la première fois depuis des années qu’elle était aussi satisfaite de sa vie ».

Extrait 3

« Sa tirade terminée, Yunxian se leva sans plus accorder d’attention à son hôtesse. Wang Yifen et son employée la suivirent des yeux, abasourdies, alors qu’elle sortait de la pièce et gagnait le hall. Elle se retourna une dernière fois pour admirer le luxe de la résidence. Dire qu’elle avait été si fière de faire partie de ce monde ! Aujourd’hui, elle se rendait compte qu’elle n’était qu’une invitée temporaire. Elle avait pu s’asseoir à leurs côtés et prendre un café avec ces femmes, mais jamais on ne lui aurait accordé une vraie place.

Yunxian se dirigea vers le métro. Arrivée à un carrefour, elle s’arrêta devant le passage piéton. Le vent nocturne, chargé d’odeurs, lui fit tourner la tête. Elle enfouit ses mains dans ses poches et observa d’un air un peu perdu la foule à contresens. Comme ils marchaient vite ! Elle avait l’impression que tous avançaient vers leur destination d’un pas plein de confiance. Et elle, quel était son objectif ? Se pardonner ses erreurs passées ? À la manière d’une lanterne magique, sa mémoire lui rejoua soudain la fête d’anniversaire, où tout avait commencé.

Sans le drame du toboggan, ne serait-elle pas toujours aussi heureuse et proche de Jiaqi, sa confidente ?

Dans un battement de paupières, elle se rendit compte qu’elle avait le visage baigné de larmes. »

Copyright Wu Xiaole « Les enfants des riches » ( Rivages) 21 euros / toutes librairies

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A propos de « La Grande Épreuve » d ‘Etienne de Montety :

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