Les Emirats arabes unis à la conquête du monde : de l'Israélisation aux Emirate leaks<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président Emmanuel Macron accueille le prince héritier d'Abou Dhabi, Mohammed ben Zayed, à son arrivée au château de Fontainebleau, le 15 septembre 2021, avant leur déjeuner de travail.
Le président Emmanuel Macron accueille le prince héritier d'Abou Dhabi, Mohammed ben Zayed, à son arrivée au château de Fontainebleau, le 15 septembre 2021, avant leur déjeuner de travail.
©STEFANO RELLANDINI / AFP

Bonnes feuilles

Sébastien Boussois publie « Les Emirats arabes unis à la conquête du monde » aux éditions Max Milo. Les Emirats arabes unis ont surgi en quelques décennies, pour se présenter comme un phare éclairé, moderne, libéral. Quand ils ne font pas la guerre, les Emirats arabes unis s'ingèrent dans les affaires d'autres nations comme la Tunisie, le Yémen ou le Soudan et probablement dans d'autres pays à l'avenir. Extrait 1/2.

Sébastien  Boussois

Sébastien Boussois

Sébastien Boussois est Docteur en sciences politiques, chercheur Moyen-Docteur en sciences politiques, chercheur Moyen-Orient relations euro-arabes/ terrorisme et radicalisation, enseignant en relations internationales, collaborateur scientifique du CECID (Université Libre de Bruxelles), de l'OMAN (UQAM Montréal) et consultant de SAVE BELGIUM (Society Against Violent Extremism). Il est l'auteur de Pays du Golfe les dessous d’une crise mondiale (Armand Colin, 2019), de Sauver la mer Morte, un enjeu pour la paix au Proche-Orient ? (Armand Colin) et Daech, la suite (éditions de l'Aube).

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Dans sa lutte pour sa survie et son épanouissement, Abu Dhabi a un modèle : Israël. Surprenant ? Point tant que ça, car l’État hébreu ressuscite chez MBZ le fantasme de l’État-bastion luttant pour la liberté envers et contre le reste de la région. Oui, le rapprochement peut paraître incongru ; absurde, non. En effet, comment préserver son intégrité dans un contexte géopolitique agressif et défavorable, et poursuivre un développement économique et social inégalé face à de puissants ennemis ? L’un et l’autre partagent la vision de l’Iran en ennemi ultime, ce que les Israéliens appellent amalek.

Micro-État dans la région, tourné vers la mer et la terre, Tel Aviv-Jaffa s’est hissé politiquement comme une puissance économique, scientifique et militaire critiquable, certes, mais incontestable. Le 28 mars 2019, lors d’un discours au Congrès juif américain, Anwar Gargash, ministre d’État des Affaires étrangères des ÉAU, faisait amende honorable pour le passé, en regrettant le boycott injuste d’Israël depuis des décennies. Pour lui, c’était une erreur gravissime, et pour cause : il y a aujourd’hui bien plus à partager qu’à perdre, notamment en prenant exemple sur Israël pour sa propre survie. Au point que, dans un entretien que nous avons eu avec lui en octobre 2019, Bassar Taham, islamologue et politologue franco-syrien, n’hésitait pas à parler d’israélisation d’Abu Dhabi…

Les Émirats ne sont qu’un exemple parmi tant d’autres de l’israélisation des petits États arabes, de tout petits États, qui ont des rêves de grandeur. Or, les Émirats, c’est un pays minuscule. À la lumière de ce qui s’est passé au Moyen-Orient, ses responsables ont compris qu’il fallait employer l’argent pour devenir un État fort dans tous les sens du terme : scientifique, militaire (achat d’armes, fabrication, politique extérieure) et économique (investissements étrangers). Israël devient indirectement un idéal pour ces gens-là. C’est la réussite d’Israël qui va faire évoluer certaines minorités du pays vers la notion d’un petit État puissant et expansionniste.

Au fond, Abu Dhabi a compris qu’il n’y aurait point de salut sans l’émergence d’un émirat surpuissant, armé et diversifié. Surprise : personne n’avait rien vu venir, même au sein des cercles occidentaux les plus avisés qui travaillaient non loin d’Abu Dhabi. La ville est devenue une forteresse, en gagnant avec Dubaï de nouvelles batailles pour le contrôle croissant de ports dans le monde, formant des commandos de mercenaires en Afrique pour sécuriser les voies maritimes face aux pirates, notamment dans la corne du continent.

Du Liban, cette « Suisse de l’Orient » perdue par ses élites, le pouvoir financier – le pouvoir, en somme – a glissé vers les ÉAU. Et l’irrésistible ascension de la puissance régionale émiratie au Moyen-Orient a franchi une nouvelle étape en août 2020, avec la normalisation de se ses relations avec l’État hébreu, sous le nom d’Accords d’Abraham. Il s’agit essentiellement de constituer un front commun uni contre l’Iran avec l’Arabie Saoudite ; mais c’est aussi la réalisation d’un vieux fantasme émirati qui voit aussi en Israël un modèle de développement exceptionnel. En échange de cette amitié, un vague moratoire sur l’annexion des territoires palestiniens et le mirage gentillet d’un État palestinien renvoyé aux calendes grecques.

Cependant, rien de hasardeux dans ce lien avec Israël. Si les Émirats Arabes Unis se sont hissés parmi les leaders régionaux sans que les experts l’aient anticipé, c’est en partie grâce à la capacité exceptionnelle d’Abu Dhabi de contracter des alliances qui paraissent de prime abord contre-nature. S’allier à Israël, sera-ce pas choquant pour un pays arabe ? MBZ n’y voit aucun problème puisque le but serait d’unir des forces contre l’ennemi numéro un pour la région : l’Iran. En contrepartie, Abu Dhabi profite du génie israélien en matière de nouvelles technologies de l’information, d’armement, et d’outils de sécurité notamment cybernétiques pour assurer sa survie et se hisser toujours plus haut, mais cela n’est que justice !

L’israélisation des ÉAU se fonde sur le modèle de start up nation, qui a fait fantasmer Emmanuel Macron en personne mais qui a surtout inspiré MBZ pour le développement de son pays via le soutien apporté

• aux industries de pointe,

• aux industries de l’armement et de la sécurité,

• à la cyberprotection,

• à la diversification économique et

• aux investissements worldwide.

L’entreprise de séduction est asymétrique mais réciproque. Pour preuve, en juillet 2019, l’ancien ministre des Affaires étrangères israélien, Yisraël Katz s’est fait prendre en photo sur l’esplanade de la mosquée du cheikh Zayed, Katz, affirmant l’intérêt de Tel Aviv pour la politique émiratie et pas qu’en matière sécuritaire. Le 1er novembre 2019, les Emirate Leaks évoquent un désir de normalisation faisant feu de tout bois officieux.

Une délégation de lycéens israéliens a participé lundi au concours FIRST de Dubaï dédié à la robotique, et dans lequel les représentants de l’État hébreu ont remporté quatre médailles. La délégation israélienne a remporté des médailles d’or et d’argent, et s’est qualifiée pour l’étape finale qui aura lieu aux États-Unis, où se retrouveront également l’Italie, l’Ouganda et l’Australie. Le ministre des Sciences et de la Technologie Ofir Akunis a déclaré « qu’ils avaient obtenu des résultats sans précédent » et qu’il « n’avait jamais douté en leur capacité à obtenir d’excellents résultats ».

Pour comprendre ce qui se joue dans cette alliance a priori surprenante, il faut refaire appel aux Panama Papers. On y apprend qu’un certain Mati Kochavi, homme d’affaires israélien ayant fait fortune dans l’immobilier, est devenu un vendeur d’armes hors pair, jouant les intermédiaires entre les pays intéressés. C’est dans le contexte post 11 septembre 2001 qu’il a créé un empire de la cybersurveillance avec des solutions associant caméras et barrières de sécurité à la pointe de la technologie. Craignant une agression iranienne, les Émirats Arabes Unis ont fait appel à Kochavi pour s’équiper et se défendre moyennant des sommes, disons, considérables.

Les documents obtenus par Haaretz en 2017 révèlent une transaction d’un montant de trois milliards de shekels (plus de 760 millions d’euros) dont une partie aurait été versée en espèces. Cette somme implique une des filiales du groupe et des personnalités émiraties. Un examen approfondi des correspondances divulguées de la firme juridico-financière Appleby révèle que l’armée des Émirats Arabes Unis, très impressionnée par les performances des avions de renseignement électroniques israéliens et britanniques, a voulu se doter de ce type de capacités aériennes en prévision d’une guerre contre l’Iran.

L’intérêt de Mohamed ben Zayed pour la technologie israélienne remonte à 2008 et aux premières tensions majeures avec l’Iran. Son objectif était d’entamer la coopération entre les deux pays par la modernisation de deux anciens avions civils afin de les transformer en appareils espions suréquipés en matériel de surveillance. Mais comment s’opère concrètement le lien entre les deux pays pour ces deux avions ? Par une série « d’arrangements » financiers qui transitent par des sociétés écrans. Les Emirate Leaks que nous venons de citer n’en cachent rien.

Dans le cas des avions espions, l’armée choisit une entreprise d’Abu Dhabi, créée en 2006 et détenue par Abdullah Ahmed Al Balooshi, un proche des services de renseignements. Son nom : Advanced Integrated Systems (AIS). Sa spécialité : la fourniture des systèmes de sécurité et de surveillance. D’emblée, la vérification des documents fait ressortir une facture datée de 2015, d’un montant de 629 millions d’euros pour les deux avions équipés et leur maintenance, soit 80 millions de plus que l’arrangement initial entre l’armée émiratie et AIS datant de 2010. Des capteurs et leurs logiciels dédiés à l’interception de signaux électroniques (ELINT) pour 65 millions d’euros, des antennes à longue portée et des logiciels de décryptage pour l’écoute et l’interception de communications pour 80 millions d’euros, un système d’autoprotection des avions pour 42 millions d’euros, deux caméras obliques à longue portée LOROP pour plus de 40 millions d’euros, et la bagatelle de 35 millions d’euros pour le support et la maintenance.

AIS confie le projet d’intégration à l’entreprise suisse AGT International, qui appartient à Mati Koshavi. L’entreprise de Koshavi achète les équipements puis confie le marché de leur intégration à la firme britannique Marshall pour 100 millions de dollars.

En plus de cette transaction, on retrouve l’entreprise de Koshavi dans un domaine des plus sensibles aux ÉAU. C’est AGT International qui a fourni des milliers de caméras, de lecteurs de plaques d’immatriculation et toute l’infrastructure informatique pour la gestion de la sécurité urbaine à Abu Dhabi et sur l’ensemble des frontières et postes d’entrée aux Émirats. Toute cette infrastructure est gérée par un système d’intelligence artificielle livré par Wisdom, entreprise israélienne chargée de brasser en temps réel des millions de vidéos et d’images prises sur l’ensemble du territoire, sans aucune garantie que ces données ne soient pas aussi sous contrôle d’autres entités que l’État émirati. Les dérives israéliennes en la matière sont inquiétantes et laissent redouter celles de leur nouvel allié :

• guerres offensives à Gaza faisant des milliers de morts,

• interventions militaires ciblées contre ses ennemis,

• utilisation d’armes non conventionnelles,

• cyberattaques d’État, etc.

Les Émiratis semblent suivre le même chemin tout en espérant un statut de grand stratège politique régional, capable de discuter et négocier avec tout le monde. La réalité est plus complexe, ainsi que le dévoileraient au sceptique les relations avec l’Iran.

À l’été 2021, le scandale autour du logiciel Pegasus, commercialisé par la société israélienne NSO, a renforcé les soupçons pesant sur les fondements du lien étrange entre l’État hébreu et les ÉAU. Damien Leloup et Martin Untersinger l’écrivent noir sur blanc :

Israël protège et choie NSO, un outil de son soft power, dont la fourniture à des gouvernements a pu contribuer à la restauration de relations diplomatiques. Les activités de NSO éclairent en partie les rapprochements récents de l’État hébreu avec l’Arabie saoudite, la Hongrie ou le Maroc (…).

En clair, le rapprochement entre certains États et Israël semble lié à la commercialisation de cet outil d’espionnage dont les rets sont immenses : 50 000 numéros de téléphone sont susceptibles d’avoir pu être infectés, dont ceux de chefs d’État, d’opposants, de militants, d’avocats et de journalistes.

Or, Abu Dhabi fait partie des États particulièrement friands du redoutable mouchard.

Extrait du livre de Sébastien Boussois, « Les Emirats arabes unis à la conquête du monde », publié aux éditions Max Milo

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