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Les douanes bretonnes, un bel exemple de gaspillage public
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On marche sur la tête

Le député Jean-Jacques Urvoas entame une campagne d'influence pour sauver la douane de Quimper. Un bel exemple de la sclérose propre à la démocratie représentative.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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C’est en lisant le blog du président de la commission des Lois à l’Assemblée nationale, Jean-Jacques Urvoas, que j’ai pris conscience d’un gaspillage tout à fait plaisant à pointer du doigt, mais qui prouve une fois de plus que, sans une rupture majeure avec notre démocratie représentative finissante, nous ne pourrons pas réformer utilement ce pays, ni épargner aux générations futures le poids d’une dette gonflée par l’égoïsme des aînés.

Notre bon représentant du peuple souverain Urvoas a en effet inauguré son année éditoriale en émettant un vœu, celui de développer le service public. Et il adresse une pensée toute particulière à… la brigade des Douanes de Quimper, dont la fermeture est programmée depuis des années, mais qui survit notamment grâce au lobbying de ses élus locaux. Surtout lorsque ceux-ci accèdent à des mandats nationaux pour porter à Paris la parole des intérêts particuliers de leur région.

Que de jolis propos! c’est vrai que le service public, en France, n’est guère développé… disons même qu’il est atrophié ! C’est vrai que les dépenses publiques ne représentent que 57 % du PIB, qu’elles sont tout à fait maîtrisées, et qu’une politique nouvelle dans ce pays consiste à prôner le développement d’une administration des Douanes. C’est vrai que la Bretagne est quotidiennement battue par des flots d’immigrés clandestins venus d’Afrique en pirogue, et qu’elle est une grande zone de transit pour les étrangers. Il est également vrai qu’avec une dette publique qui s’approche de 100 % du PIB, la France dispose de marges de manœuvre budgétaires qui lui permettent de maintenir une douane pléthorique en Bretagne.

Car de pléthore, Jean-Jacques Urvoas lui-même s’en indigne :

"alors que les autres unités sont dotées de 15 à 20 agents, elle refuse avec constance toute l’augmentation de l’effectif actuel de 7 agents !"

Eh oui ! vous avez bien lu ! la Bretagne plusieurs unités de douanes, chacune composée de 20 agents.

Le dernier décompte officiel a été donné en 2011 au Sénat, en réponse à une question d’un parlementaire breton. Voici la réponse :

"La direction interrégionale des douanes et droits indirects de Nantes, qui regroupe les circonscriptions régionales de Bretagne, des Pays de la Loire, de Poitiers et des garde-côtes pour cette partie du littoral, redéploie actuellement ses moyens de surveillance terrestre afin de les positionner au plus près des flux de personnes et de marchandises et d’intensifier ainsi ses interventions contre les trafics frauduleux. Cette démarche se traduit par la fermeture des brigades de Lannion et de Vannes, dont les résultats contentieux n’étaient pas satisfaisants et par l’amélioration concomitante de la capacité opérationnelle d’autres unités. Ainsi, les contrôles dynamiques sur les grands axes routiers s’effectuent au moyen d’un plateau technique renforcé avec notamment l’élément motocycliste de la brigade de Rennes qui passe de sept à dix agents et l’implantation prochaine d’une seconde équipe de maître de chien à Brest. Ces mesures s’accompagnent, à partir d’avril 2011, de l’instauration d’un dispositif de contrôles embarqués sur l’axe ferroviaire Rennes-Lorient-Quimper. Ce nouveau schéma participe donc bien d’une stratégie globale de renforcement de l’efficacité de la douane dans ses missions de protection du territoire et des citoyens. À ce jour, aucune autre fermeture de brigade des douanes n’est envisagée en Bretagne. Le devenir de la brigade de Quimper sera, comme annoncé, examiné en 2012 à la lumière de l’étude menée par la direction interrégionale de Nantes, qui prendra notamment en compte sa contribution à la lutte contre la fraude, tout particulièrement en matière de produits stupéfiants. Dans le secteur de la surveillance maritime, le dispositif en place reste également inchangé. Quatre unités garde-côtes, fortes d’une centaine d’agents, sont ainsi localisées en Bretagne dont un patrouilleur de 43 mètres à Brest, chargé de surveiller l’entrée de la Manche et de la façade Atlantique. Enfin, en ce qui concerne les services des opérations commerciales, le dispositif actuel repose sur six bureaux, à Brest, Lorient, Quimper, Rennes, Saint-Brieuc et Saint-Malo, dont l’implantation a récemment été confirmée dans le cadre de la réforme du dédouanement."

Malgré la fermeture des bureaux de Lannion et de Vannes, il reste encore des services de douane "terrestre" dans six villes de Bretagne, plus une centaine de douaniers chargés de surveiller les côtes et dotés d’un patrouilleur de 43 mètres, plus la brigade motocycliste de Rennes, plus les deux unités cynophiles. Abondance de bien ne nuit pas. Rappelons au passage que la région Nord-Pas-de-Calais, qui est frontalière de la Belgique et de l’Angleterre, et qui est donc quotidiennement confrontée aux trafics de tous poils, comptent seulement 7 implantations...

Mon propos n’est pas "d’épingler" Jean-Jacques Urvoas, qui est un élu de terrain plutôt non dogmatique et qui réalise un travail apprécié localement (on comprend pourquoi). Disons même qu’il est un "bon élu", qui sait appréhender l’intérêt de sa circonscription au-delà des courants partisans. Et cette seule qualité est appréciable et mérite d’être dite.

Et c’est précisément parce qu’il est un bon élu que le sujet mérite d’être relevé.

Jean-Jacques Urvoas n’a rien à se reprocher à titre personnel. Il est simplement l’une des incarnations (vertueuse, sympathique, compétente) d’un système qui étouffe peu à peu les forces vives de ce pays, et que nous connaissons par cœur : la France est dirigée par une Cour de plus en plus déconnectée des réalités, et exister auprès de la Cour, que dis-je ? intégrer la Cour ! est l’œuvre d’une vie. Il faut, comme Jean-Jacques Urvoas, commencer dès l’université à militer. Il faut passer par la MNEF. Il faut être collaborateur parlementaire, ou faire une grande école, de préférence l’ENA. Il faut se mettre dans le sillage d’un parrain qui a droit de vie et de mort sur vous (celui d’Urvoas s’appelle Bernard Poignant, devenu conseiller à l’Élysée). Il faut faire son cursus honorum : élu local, puis élu national, puis monter en grade à l’Assemblée nationale. Et enfin, enfin, un jour, quand on commence à peser dans son parti, à force de labeur, de week-ends sacrifiés, d’enfants qu’on ne voit jamais ou presque, enfin, on peut commencer à donner son avis.

Dans un univers numérisé, où l’accès à la connaissance se fait très vite, où les échanges sont instantanés, cette course à la délégation de pouvoir, cette course au mandat, cette hyper-centralisation des décisions, en même temps que leur dilution dans un océan de lâcheté et de conformisme aristocratique, tout cela a une traduction simple : on dit n’importe quoi pour être élu, et le pays s’enfonce dans le marasme.

Cet article a initialement été publié sur le blog d'Eric Verhaeghe.

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