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Les dessous du plan de la Chine pour dominer le monde : fusionner le civil et le militaire pour espionner le monde
©Patricia De Melo MOREIRA / AFP

Espionnage

Dernier volet d’une série en 5 articles. Pourquoi la Chine est un Etat-espion, où tous les citoyens sont appelés à collaborer.

Emmanuel Lincot

Emmanuel Lincot

Professeur à l'Institut Catholique de Paris, sinologue, Emmanuel Lincot est Chercheur-associé à l'Iris. Son dernier ouvrage « Le Très Grand Jeu : l’Asie centrale face à Pékin » est publié aux éditions du Cerf.

 

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Emmanuel Véron

Emmanuel Véron

Emmanuel Véron est géographe et spécialiste de la Chine contemporaine. Il a enseigné la géographie et la géopolitique de la Chine à l’INALCO de 2014 à 2018. Il est enseignant-chercheur associé à l'Ecole navale.

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Atlantico : "Toute organisation ou tout citoyen", lit-on à l'article 7 de la loi chinoise sur le renseignement national, "doit soutenir le travail de renseignement de l'État, l'aider et collaborer avec lui conformément à la loi, et garder les secrets du travail de renseignement national connus du public", qu'est-ce que cela dit d l'organisation de la société chinoise ? 

Emmanuel Lincot : c’est une société qui vit un complexe obsidional. Le discours du régime est fondé sur la rivalité entre « Eux » (les Occidentaux) et « Nous » (les Chinois). Définition schmittienne de l’ennemi s’il en est auquel une part croissante de la société adhère. C’est l’ennemi occidental bien sûr, celui à qui l’on veut faire payer les avanies passées. C’est aussi l’ennemi japonais contre lequel un collectif d’idéologues fait publier en 1996 un pamphlet, « La Chine peut aussi dire non ». J’y vois une radicalité naissante qui n’a déjà plus rien à voir avec le nationalisme du Mouvement du 4 mai 1919. C’est un nationalisme en effet revanchard et parfois racial. On le constatera au grand jour à partir de 2001 lorsqu’une partie de l’opinion se réjouira de l’interception d’un avion espion EP-3 américain ou, quelques mois plus tard, de la destruction des Twin Towers de New York. Dans ce cadre sémantique, l’ennemi peut être aussi un ennemi de l’intérieur : dissident ou considéré comme tel parce que journaliste opposé à la propagande du régime, Professeur d’université dénoncé par ses propres collègues ou étudiants, ouïghour, tibétain, soupçonnés de collusion avec les pouvoirs étrangers. La délation est un sport national dans ce pays.

Emmanuel Véron :  La Chine est un Etat-espion. L’article 7 de la loi chinoise sur le renseignement national de juin 2017 stipule que toutes les sociétés et les individus chinois doivent coopérer avec les services de renseignements chinois afin de protéger la « sécurité nationale ». Les termes sont à la fois clairs dans les structures (ou organes) désignées mais restent évolutifs et non définitifs, au contraire ceci est très mouvant, inclusif et large. Ceci apparaît au grand public en 2017, période du début des tensions accélérées entre la Chine et les Etats-Unis, notamment sur le débat des technologies Huawei, des réseaux 5G et de la compétition technologique et des marchés entre Chinois et Américains. Ce fameux article 7 ne fait qu'être le prolongement, la montée en puissance et la mobilisation des forces démographiques chinoises de Chine ou des diasporas dans une logique de puissance et d'intimidation. Un tel article permet de galvaniser les troupes tout en désignant l'étranger comme potentiel agent de subversion et d'ordonner un glissement stratégique sur le sentiment d'une Chine menacée pour justifier l'expansion de la puissance et de ses moyens. C'est enfin, un message des autorités envoyé aux populations chinoises de mobilisation générale pour opérer à la poursuite du rattrapage technologique dans tous les domaines et dans toutes les directions. De telles ambitions existaient à travers le programme 863 ou Etat plan de développement de haute technologie dans les années 1980 ou le programme 973 à la fin des années 1990. Ces programmes avaient comme objectif comme celui du plan Made in China 2025 un rattrapage technologique et sont basés sur le recueil d'informations via des universités (coopérations, échanges etc.), l'espionnage, la compromission et "l'achat" de savoir-faire. Il fallait recueillir des informations sensibles, protégées comme des informations ouvertes, non protégées. En cela la Chine a une longue histoire du renseignement, de l'espionnage. Ce dernier est bien ancré dans la culture chinoise. Le PCC a institutionnalisé cela d'abord pour chasser les ennemis du Parti, puis pour le développement militaire, technologique et aujourd'hui massivement sur des questions économiques et technologies à la fois dans le monde civil comme militaire, où le passage d'une technologie de l'un à l'autre sert la puissance chinoise. 

Cette philosophie exige-t-elle tous citoyens chinois, en position de le faire, de l'espionnage industriel ? 

Emmanuel Lincot : Oui et pas seulement industriel. Dans son livre « France-Chine, les liaisons dangereuses », le journaliste Antoine Izambard révèle que les services de renseignement ont alerté, dans la plus parfaite indifférence, sur les relations un peu étroites entre militaires bretons et Chinoises…On pourrait multiplier les exemples y compris dans nos grandes écoles, nos laboratoires de recherche et nos universités. Nous devons être beaucoup plus vigilants. De simples photographies, le recueillement de témoignages, une fois recoupés permettent de renseigner. C’est le degré le plus élémentaire de l’espionnage et de l’intelligence économique. Des étudiants hors de tout soupçon peuvent s’avérer aussi efficaces qu’un virus informatique. Soit, ils se rendent utiles par patriotisme soit ils n’ont d’autres choix que de renseigner sous peine de se voir suspendre leurs revenus ou parce que l’on exercera sur leur famille menaces et pressions. On reste parfois médusés de la naïveté avec laquelle nos chefs d’entreprises voire certains de nos militaires se laissent approchés de la sorte. Cette culture de l’espionnage martial est dans le cas de la Chine un héritage soviétique. 

Emmanuel Véron : Il ne faut tomber dans le piège du "tous". Justement c'est une réaction recherchée par les organes pour créer du ressentiment et de l'injustice. La culture de l'espionnage, de la paranoïa est bien ancrée en Chine, autant que de se créer une façade et de fausse vérité. La mobilisation de la population à travers les wumao dang (五毛党) ou Armée/Parti des 50 centimes sont des individus qui sur le web diffusent désinformation, rumeurs, complots, le tout pour manipuler l'opinion au service du PCC, sinon d'essayer de nettoyer/dénoncer sur le web de potentielles subversions. Chaque internaute gagne 50 centimes par publication. Une sorte de milice cyber, soldat d'une cyber-guérilla. Ceci s'est développé avec l'Internet. Ce dernier est vu comme une formidable plate-forme de contrôle de la population chinoise (en cela la collaboration du régime avec les BATX est décisive) d'une part et à l'étranger d'autre part, un vecteur de puissance et d'offensive cyber, plus précisément de cyber-espionnage et d'actions clandestines. Aussi, les structures d'espionnage de Pékin instrumentalisent les structures scientifiques, académiques, politiques, économiques etc pour agir de manière indirecte et laisser opérer tel ou tel acteurs : coopération scientifique, entreprises, diplomates etc. Les organes chinois ont pu cibler dès les années 1980 les diasporas établies dans des domaines technologiques et économiques utiles à la Chine. Enfin, la politique est nettement moins portée sur la sécurité des agents qu'en occident. Le poids du nombre est ici un atout décisif pour le Parti-Etat, surtout que si des agents sont pris la main dans le sac, bien souvent, ces agents héritent d'une peine symbolique, par manque de preuves ou d'arguments...

Assiste-t-on là à la création d'une nouvelle forme de totalitarisme ? Que faut-il craindre du développement d'un tel modèle du point de vue des démocraties occidentales ? 

 Emmanuel Lincot : Arendt et Aron ont été les premiers à définir les spécificités des totalitarismes nazi et soviétique. Des préjugés nés de la guerre froide nous interdisaient d’envisager une conciliation des idéologies de nature communiste et raciale. Le précédent Khmer Rouge nous a montré que cela était possible. Je m’explique : vous portiez des lunettes, vous étiez donc un bourgeois parce que corrompu par la culture des étrangers. Donc un ennemi de classe. Vous étiez Chinois, Vietnamien résidant au Cambodge, vous étiez un ennemi de race parce qu’étranger. Dans les deux cas, vous étiez éliminé d’une balle dans la nuque. Qui soutenait les Khmers Rouges ? La Chine communiste… Ce syncrétisme idéologique entre idéologies marxiste et délire ultranationaliste racial et fascisant est toujours possible. Toutefois à la différence des années soixante-dix, il ne s’arrêtera pas aux frontières d’un pays comme la Chine car les conditions d’asservissement se sont globalisées. La Chine, à mes yeux, doit être qualifiée de cybercratie autoritaire nationaliste. C’est en cela qu’elle peut être dangereuse pour ce que nous sommes.

Emmanuel Véron : Les démocraties occidentales sont une cible privilégiée de la RPC depuis le lancement des réformes fin 1978-1979. L'objectif d'intégration civilo-militaire mise en place dans les années 1990 s'est considérablement intensifié. C'est devenu une priorité nationale en 2015, Xi Jinping le rappelait en 2017 lors du 19e Congrès du PCC, où l'on parle alors de "fusion" civilo-militaire. L'objectif n'est pas tant d'importer des systèmes toujours plus sophistiqués que d'acquérir la capacité d'autonomie complète. Une dizaine de secteurs clés sont mis en avant par le plan Made in China 2025 (nanotechnologies, IA, satellites, cyber, turboréacteurs etc.). Aussi, le débat sur la 5G (technologie de rupture) est toujours en cours pour les démocraties occidentales. Si la Chine établit les standards de la 5G dans le monde, cela lui donnera un avantage stratégique considérable : pouvoir et influence déterminante. Il s'agit ici du contrôle des réseaux de communication mondiaux, le tri et la collecte de données et l'IA à grande échelle. Le débat porte ainsi sur le pouvoir considérable d'une puissance qui possède cette technologie de rupture et étendra ses standards au monde. Il existe une hybridité entre la diplomatie chinoise et l’outil militaire en matière de soutien à l’export, d’acquisition des matériels, de contournement des embargos et plus largement de l’intégration civile et militaire chinoise. Depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, les liens entre les universités, la communauté de défense (y compris toutes les composantes renseignements) et les organes du PCC se sont clairement intensifiées. Plusieurs domaines sont au cœur de ses priorités stratégiques : nucléaire, cyber, naval-maritime, spatial et les missiles, la dimension aérienne. Ces dernières structurelles en Chine, continuent de chercher des développements à l’étranger (en particulier au sein de l’UE et des 5 Eyes par exemple).

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