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Les défauts de l’Europe ne sont pas une raison pour laisser les populistes dire tout et n’importe quoi
©DANIEL LEAL-OLIVAS / AFP

Entretien

Dans "Merci l'Europe!" publié aux éditions Grasset, Bernard Spitz aborde le sujet européen à travers le phénomène populiste et bat en brèche "sept grands mensonges des europhobes". Entretien exclusif.

Bernard Spitz

Bernard Spitz

Maître des requêtes au Conseil d’État, ancien conseiller du Premier ministre Michel Rocard, ancien membre de la direction générale de Canal+ et de Vivendi Universal, créateur d’entreprise, Bernard Spitz est depuis 2008 le président de la Fédération française des sociétés d’assurances (FFSA) ainsi que le président du pôle International et Europe du Medef. Animateur du think tank « Les Gracques » et ayant contribué au livre programme « Ce qui ne peut plus durer,… » (Albin Michel, 2011),  il compte parmi les voix réformistes qui poussent la gauche dans la voie de la modernisation.

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Dans votre livre "Merci l'Europe!" publié aux éditions Grasset, vous battez en brèche "sept grands mensonges des europhobes". De quels mensonges parlez-vous ?

Bernard SpitzJ'essaye d'aborder le sujet européen en analysant le phénomène populiste. On ne peut pas comprendre ce qu'il se passe en Europe en balayant d'un revers de main toutes les critiques qui sont adressées par les populistes. Si l'on se contente de dire que chaque fois que la critique n'est qu'une incompréhension, on donne le sentiment d'être dans le déni sur ce qui fonctionne mal. Mais en étant dans la critique permanente, on oublie de dire ce qui marche bien.

J'essaye de prendre les sujets les uns après les autres parce qu'ils sont tous différents et si ces sujets font l'objet d'offensives, c'est qu'il existe des failles qu'il faut reconnaitre. Derrière les outrances dans le discours, il faut tester ce que disent les populistes, voir si les réponses sont sérieuses par rapport aux problèmes identifiés et si ce n'est pas le cas, apporter des propositions sérieuses.

Le principe du livre est : "Merci l'Europe" pour ce qu'elle a fait mais aussi l'Europe doit changer dans tous les domaines. Je pars du cliché populiste pour identifier les potentiels problèmes.

1. Le sujet le plus sensible : la question de l'immigration. Le premier mensonge est de dire que l'Europe est une passoire.

2. Le deuxième est de dire que "c'est la faute de Bruxelles".

3. "L'Europe ne sert à rien", l'image que l'Europe n'est que de la bureaucratie. Mais l'on se rend bien compte que l'Europe ça sert, les Anglais sont en train de le découvrir.

4. Le quatrième concerne l'euro sur lequel on il existe beaucoup de désinformation

5. Le sujet des travailleurs détachés est aussi présent, avec l'image caricaturale du "on nous vole nos emplois".

6. "L'Europe est le pigeon de la mondialisation", avec l'image selon laquelle la mondialisation joue contre l'Europe.

7. "L'Europe est un tigre de papier", à savoir qu'elle ne sert à rien.

Ce sont les 7 procès faits à l'Europe. Les critiques faites par les populistes sont souvent outrées et fausses, mais pour autant ça ne va effectivement pas bien sur nombre de ces sujets, sans quoi la critique populiste n'aurait pas de prises. Sur chacun de ces sujets il y a de graves disfonctionnements avec une Europe qui ne répond pas aux aspirations des gens ou à leurs peurs, à commencer par les populations fragiles ou les classes moyennes.

Ca n'est pas par hasard que ces sujets sont au cœur des préoccupations. Mais il faut rétablir la vérité et faire de vraies propositions.

Si la mise en perspective des énormités populistes et le debunkage des fausses informations est évidemment louable et nécessaire, mettre la focale sur ce type de discours ne pourrait pas donner l'impression que l'on cherche à éviter les critiques réfléchies sur l'Europe ? Voire polariser la question européenne entre europhiles et europhobes ?

C'est précisément ce que j'aborde dans mon livre, qui représente ma critique.  J'essaye juste de faire en sorte qu'elle ne soit pas caricaturale, mais la critique est sévère. Un de mes livres s'appelle "Notre Etat", écrit avec Roger Fauroux. Dans ce livre, nous analysions de nombreux secteurs pour montrer que l'Etat devait se réformer dans chacun de ces secteurs. Là c'est la même chose pour l'Europe. La critique est sérieuse et je la prends à mon compte.

Je récuse l'approche consistant à caricaturer le discours en deux camps : celui du bien et du mal.

Ce plaidoyer pour une Europe forte est-il pour autant audible à l'heure où le discours populiste progresse et au vu du niveau d'abstention estimé pour les élections de mai ?

Ce qui fait la qualité d'une démocratie c'est celle de son débat public. Sur l'Europe, le débat n'est plus bon. Il y a 30 ou 40 ans, il y avait un vrai projet que les Européens portaient, ils en étaient fiers. L'Europe a apporté la paix, ce qui est immense pour une génération comme la mienne. Cet argument ne touche plus grand monde actuellement chez les jeunes.

Par contre, des arguments comme le roaming permettant de téléphoner dans le monde entier, le fait de pouvoir rouler à l'étranger sans changer d'assurances, le fait de pouvoir circuler d'un pays à l'autre avec peu de formalités sont plus concrets. Cela semble naturel pour nous mais ça ne l'est pas et les Anglais sont en train de le découvrir.

On parle de l'Europe de demain. C'est l'Europe qui devra affronter la Chine ou les Etats-Unis sur des secteurs technologiques comme l'IA. Quel pays d'Europe est capable de résister seul ? Aucun. C'est ça l'enjeu, pouvoir vivre dans un continent qui est aujourd'hui, on l'oublie trop souvent, la première puissance commerciale du monde et le plus protégé de par ses valeurs et son système social.

 Aujourd'hui l'Europe est un projet politique et, quelques soient les critiques, l'UE doit rester un projet politique, pas l'addition de réglementations juridique qui donnent le sentiment que l'on se fatigue pour des projets secondaires. D'ailleurs les problèmes viennent du politique, le Brexit est à la base un projet minoritaire au sein d'une nation qui se transforme en électrochoc.

Pour que l'Europe existe, il faut que l'Europe ait envie d'exister, et pour cela il faut qu'elle ait un projet qui parle à toutes les générations. Ce ne pas le cas de nos jours, l'UE s'est construite trop vite et a dilué les liens culturels et économiques entre les différents peuples. Son élargissement à des pays très différents (Roumanie, Bulgarie…) a créé un sentiment de dissociation. Le problème de l'identité ne doit pas être nié.

Beaucoup de choses inquiètent les gens : la mondialisation, le climat, le terrorisme, le numérique. Est-ce que l'Europe est là pour les protéger ou pas ? Si elle est trop abstraite et désincarnée, elle ne donne pas l'impression de protéger ses habitants, ceux-ci ont donc tendance à se replier sur eux-mêmes. Ce que je reproche à l'Europe actuelle c'est ce manque de projet politique, il n'y a ni incarnation ni expression de ce projet, demandez aux gens dans la rue les noms des trois derniers présidents de la commission européenne, personne ne saura ! Il y avait une plaisanterie de Kissinger à l'époque qui l'expliquait déjà : "L'Europe ? Quel numéro de téléphone ? Qui est-ce que je dois appeler ?". L'Europe n'est pas incarnée.

Les gouvernements nationaux ont jusqu’à présent refuser d'installer des gens qui auraient pu leur faire de l'ombre, il y a un choix de laisser l'Europe fonctionner comme une gigantesque machine administrative qui fonctionne sur certains points comme l'agriculture mais qui ne fait pas rêver. Mais pour les défis futurs, il y aura besoin de l'Europe. Si l'on veut avoir le niveau technologique, la capacité industrielle, se protéger de l'extraterritorialité, une bonne défense, un poids dans les négociations commerciales, tout cela ne peut se faire qu'à travers une union. C'est l'enjeu et la période actuelle va amener des dénouements.

Je disais il y a peu que le Brexit avait un avantage, c'est de démontrer la capacité de résilience de l'Union Européenne. Il y a eu une volonté forte de ne pas laisser le Royaume Uni rester à tout prix. L'Europe n'a pas reculé sur certains principes fondamentaux. Nous avons montré que nous étions capables de tenir sur cette base-là, ce qui est une force. Mais cette force, il faut en faire quelque chose.

Les élections européennes peuvent en être l'occasion. Mis si l'on ne change rien, et il faudra de la volonté politique, le projet Européen ne marchera pas. On continuera à mettre en place des procédures qui perdront de leur force avec le temps. Il faut des initiatives politiques, un nouveau projet commun, que l'UE prouve qu'elle est capable d'exister !

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