Les dangereux impensés du programme climatique européen<!-- --> | Atlantico.fr
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Le commissaire européen pour le Green Deal, Frans Timmermans.
Le commissaire européen pour le Green Deal, Frans Timmermans.
©Francisco Seco / POOL / AFP

Green Deal

La Commission européenne souhaite désormais réduire de 50 à 55 % les émissions de gaz à effet de serre de ses pays membres d’ici 10 ans, contre 40 % initialement.

Jean-François Moreau

Jean-François Moreau

Jean-François Moreau est un journaliste spécialisé dans les domaines de la transition énergétique et de l’efficacité énergétique des bâtiments. 

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C’est un objectif revu à la hausse. La Commission européenne souhaite désormais réduire de 50 à 55 % les émissions de gaz à effet de serre de ses pays membres d’ici 10 ans, contre 40 % initialement.

Pour y parvenir, la Commission européenne devrait déployer le Green Deal, son plan central, auquel s’ajoute un ensemble de programmes annexes, comme le plan d’action pour l’économie circulaire. Mais beaucoup d’impensés et d’imprécisions menacent les objectifs de l’Union européenne.

Rien n’est trop cher pour le climat

Si l’argent magique n’existe pas, la littérature scientifique s’accorde pour affirmer que le coût financier de l’action climatique resterait toujours inférieur à celui de l’inaction. Le GIEC prévoit ainsi une baisse du PIB mondial de 1 à 4 % en 2030, de 2 à 6 % en 2050 et de 3 à 12 %, en 2100 si rien n’est fait pour lutter contre le réchauffement climatique. Sans compter les conséquences irréparables sur la biodiversité, l’agriculture, l’immigration massive, la santé et les catastrophes naturelles.

En 2006, Nicholas Stern, ancien économiste en chef de la Banque mondiale, avait calculé que le coût de l’inaction pourrait représenter entre 5 % et 20 % du PIB mondial, tandis que celui de l’action volontariste se limiterait à 1 %. Si la croissance verte n’est pas certaine, la décroissance subie dans un monde qui se réchauffe est, quant à elle, très probable. Les 1 000 milliards d’euros mobilisés sur 10 ans sont finalement le minimum syndical pour l’Union européenne qui a prouvé, en ces temps de crise sanitaire, qu’elle était en capacité de trouver des fonds quand un cas de force majeure l’exigeait.

L’impensé du numérique

Une étude du think tank Shift Project indique que les émissions liées au secteur numérique ont doublé entre 2010 et 2020, atteignant des niveaux similaires à l’aviation civile, parfois démesurément la cible de toutes les critiques. Rien n’indique que l’empreinte carbone du secteur numérique puisse se réduire dans les prochaines années. Après Rakuten TV, Netflix prévoit de déployer des programmes 8K à destination de ses abonnés. L’année 2021 pourrait être celle du Cloud Gaming, secteur dans lequel le marché est désormais structuré et financièrement accessible au plus grand nombre.

La 5G, quant à elle, poursuit son déploiement dans les grandes villes européennes, alors que le Haut Conseil pour le climat a souligné que cette technologie pourrait causer « une augmentation significative » des émissions de gaz à effet de serre du fait de l’effet rebond que risque de créer sa démocratisation. La Commission européenne qui souhaite à la fois atteindre la neutralité carbone en 2050, tout en se positionnant comme l’un des futurs fers de lance du numérique se heurte à ses propres contradictions : le numérique n’est pas écologiquement neutre. Sans refuser les technologies de demain, il s’agirait de les encadrer, d’en réglementer les usages et de chercher, à tout prix, à en limiter l’empreinte carbone.

En finir avec les déchets plastiques et renouer avec les filières les plus vertueuses

Sur le sujet des déchets plastiques, l’Europe se présente comme un acteur écologique de référence avec sa « directive relative aux plastiques à usage unique » qui interdit une série de produits cloués au pilori pour leur rôle dans la hausse de la pollution marine, à laquelle s’ajoute l’arrêt – salutaire – des exportations de nos déchets vers les pays émergents. Mais ce texte de référence de la Commission européenne a, lui aussi, ses impensés, en amalgamant le plastique et d’autres produits pourtant largement plus durables.

De ce point de vue, l’Union européenne doit s’engager à valoriser ses élèves les plus vertueux. Une très récente étudedu cabinet Ramboll et commanditée par l’EPPA menée dans le secteur de la restauration rapide conclut ainsi que le recours à de la vaisselle en papiers à usage unique sera toujours moins énergivore que le recours à de la vaisselle multiusages, qu’elle soit en plastique ou « traditionnelle ». L’étude impute même aux vaisselles plastique multi-usages un impact 177 % plus élevé sur le changement climatique, 267 % plus élevé sur la consommation d’eau douce et 283 % plus élevé sur la consommation de matières fossiles. De quoi remettre en cause bien des idées reçues.

Encourager les secteurs les plus vertueux doit aussi permettre de structurer une puissante économie circulaire du recyclage à l’échelle européenne. Le taux de recyclage s’élève, pour la filière papier, à 86 %, là où il n’est que de 32,5 % pour le plastique et seulement 26% en France, selon les données de PlasticsEurope. Surtout, le papier est produit à partir des forêts européennes, dont les normes de gestion sont soumises à de stricts critères de durabilité. D’autres solutions, comme le verre, qui comporte malgré tout de sérieux défauts, peuvent aussi ponctuellement venir en soutien des alternatives au plastique.

Sortir enfin des fossiles, partout où cela est possible

L’un des principaux axes d’action est la sortie définitive du charbon, qui est l’un des principaux émetteurs de CO2 à l’échelle européenne. Pourtant, selon une note du think tank environnemental Ember et de l’ONG Climate Action Network Europe, sept pays de l’Union, dont l’Allemagne et la Pologne envisagent d’utiliser du charbon après 2030. L’Allemagne prévoit de fermer l’ensemble de ses centrales à houille et à lignite d’ici 2038, voire 2035. En 2030, la Pologne sera responsable de 45 % des émissions de charbon, contre 33 % pour l’Allemagne, loin devant la République tchèque (12 %) et la Bulgarie (5 %). Des perspectives trop tardives.

C’est sur ces pays que la pression doit être la plus forte. Plusieurs régions polonaise et allemande sont ainsi admissibles à recevoir le « Fonds pour une Transition Juste (FTJ) », destiné aux territoires les plus en retard sur la transition énergétique. L’Union européenne devrait a minima conditionner l’allocation de ces fonds à une politique plus volontariste de sortie des énergies fossiles. Incompréhensible aussi, l’ostracisation injuste du nucléaire et sa relégation comme énergie de transition au même rang que le gaz naturel dont les émissions de CO2 sont à peu près 35 fois supérieures.

Le choix risqué d’une mobilité centrée sur la voiture — même électrique ! —

Un règlement de l’ONU a autorisé, à partir du 1er janvier, le déploiement de véhicules de conduite autonome de niveau 3, domaine dans lequel s’engouffrent de longue date les constructeurs. Une étude de l’ONG Transport et Environnement affirme pourtant que la massification des véhicules autonomes pourrait entraîner une hausse des émissions de CO2 liés aux voitures de 40 % d’ici 2050, à cause de la hausse vertigineuse de données engendrées. Or, sans en définir les usages et privilégier une approche massivement partagée et collective de la mobilité, la Commission européenne a fait de la voiture autonome une priorité de son plan Transport là où le bon sens exigerait de la Commission européenne qu’elle concentre ses efforts sur le développement des modes de transport collectifs en ville et la relance du ferroviaire. Quitte à se mettre à dos le très puissant lobby industriel de la voiture…

Si la feuille de route globale est positive, trop d’impensés ruinent encore la cohérence de l’ensemble de programmes écologiques européen. Pourtant, l’Europe a la chance historique de « montrer l’exemple » aux plus gros émetteurs de gaz à effet de serre. Car si le Green Deal est européen, le réchauffement climatique est international.

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