Les cryptomonnaies, nouvelle source de financement des mouvements terroristes<!-- --> | Atlantico.fr
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Des manifestants brandissent des drapeaux palestiniens et un portrait de Mohammed Deif, chef des Brigades Al-Qassam, l'aile militaire du Hamas, lors d'un rassemblement à l'entrée du complexe de l'ambassade de France à Beyrouth, le 18 octobre 2023.
Des manifestants brandissent des drapeaux palestiniens et un portrait de Mohammed Deif, chef des Brigades Al-Qassam, l'aile militaire du Hamas, lors d'un rassemblement à l'entrée du complexe de l'ambassade de France à Beyrouth, le 18 octobre 2023.
©ANWAR AMRO / AFP

Sources de financement

Des recherches menées par la société d’analyse Elliptic en 2021 ont estimé que des portefeuilles liés à l’aile militaire du Hamas avaient reçu plus de 7,3 millions de dollars en cryptomonnaies.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Des recherches menées par la société d’analyse Elliptic en 2021 ont estimé que des portefeuilles liés à l’aile militaire du Hamas avaient reçu plus de 7,3 millions de dollars en cryptomonnaies, dont environ 40 000 dollars en Dogecoin, le memecoin à thème canin favori d'Elon Musk. A quel point les organisations terroristes se servent des cryptomonnaies ?

Michel Ruimy : Les organisations terroristes sont très diverses et peuvent revêtir la forme aussi bien de grandes organisations, semblables à des États, que de petits groupes décentralisés ou encore de réseaux autonomes. Les attentats terroristes peuvent aussi être commis par des individus qui puisent leur inspiration dans des environnements radicalisés, ou qui se sont eux-mêmes radicalisés. Ces « loups solitaires » doivent eux aussi financer leurs activités.

En matière de financement, les besoins et pratiques des terroristes varient d’une structure à l’autre et d’une région à l’autre. Afin de créer l’environnement propice à l’exercice de leurs activités, il s’agit non seulement de financer des opérations terroristes spécifiques (achat d’armes, de munitions et de fournitures, paiement des salaires aux combattants et aux recruteurs) mais aussi de couvrir les coûts opérationnels plus larges que représentent la mise sur pied et le maintien d’une organisation terroriste (alimentation, hébergement, frais de voyage, formation).

Traditionnellement, les fonds peuvent provenir de tiers (famille, amis, prestations publiques, associations caritatives…) ou des avoirs / revenus des terroristes eux-mêmes ayant une origine licite (salaires ou revenu, épargne, cartes de crédit…) ou illicite (blanchiment de capitaux provenant d’activités criminelles - trafic de drogue, prostitution, extorsion…).

En complément de ces financements traditionnels, les organisations terroristes continuent toutefois à rechercher des méthodes innovantes pour exploiter les failles des systèmes financiers et tenter de conserver une longueur d’avance sur les enquêteurs. En général, elles sont connues pour s’adapter et exploiter les technologies les plus récentes. Les cryptoactifs se sont ainsi imposées, dans un laps de temps relativement court, comme nouveau moyen de paiement.

Ces transactions, qui font appel à la technologie des chaînes de blocs, permettent notamment de contourner les intermédiaires bancaires qui sont de plus en plus surveillés. Elles promettent également une rapidité de circulation des opérations - le caractère transfrontière permet une collecte planétaire -, un moindre coût et un anonymat potentiellement élevé, ce qui rend difficile leur traçage par les autorités. Il s’agit donc d’un financement hors des contrôles traditionnels.

Comment ces cryptomonnaies fonctionnent-elles concrètement pour financer ces organisations ?

Les transactions accomplies avec des cryptoactifs ne sont pas totalement intraçables. A la différence du système bancaire traditionnel dont le contrôle est permanent, le suivi de ces transactions cryptées ne s’effectue qu’en cas d’enquêtes. Mais, les techniques de financement se perfectionnent.

Concernant la collecte de fonds, celle-ci peut se réaliser via des plateformes de dons en ligne ou des réseaux sociaux (crowdfunding). Prenons l’exemple des Brigades Izz al-Din al-Qassam. Au départ, afin de collecter des fonds de manière anonyme, elles ne mettaient, à la disposition des donateurs, qu’une seule adresse cryptée, facilitant la tâche aux autorités pour identifier la provenance des fonds et en geler l’utilisation. Par la suite, s’inspirant du groupe État islamique ISIS, le groupe palestinien a changé de stratégie : au lieu de passer par l’intermédiaire d’un portefeuille géré par une plateforme externe, il a créé des portefeuilles, via une plateforme sous son contrôle, et a attribué une adresse cryptée, via son site web et/ou via des forums en ligne, différente à chacun de leurs sympathisants, en particulier les plus jeunes, plus sensibilisés aux cryptoactifs et aux nouvelles technologies.

Pour ce qui concerne le blanchiment d’argent, ces organisations terroristes convertissent les fonds recueillis en 1 ou plusieurs cryptoactifs plus ou moins traçables comme Monero, Zcash… Le fait de combiner différentes cryptos rend la découverte de leur source plus ardue.

Par ailleurs, outre le « ransomware » (chiffrage des données d’une victime suivie d’une demande de rançon en cryptos pour les déchiffrer), elles peuvent utiliser les « marchés noirs » pour vendre en ligne des biens illicites (armes, drogues, documents volés…).

Toutes ces pratiques compliquent la tâche des autorités.

Cela correspond à une part importante de leurs financements ?

Si le blanchiment de capitaux est, par essence, une entreprise circulaire (Il s’agit de collecter les produits tirés d’activités criminelles, puis de les traiter avant de les restituer aux auteurs de ces activités), le financement du terrorisme est, en revanche, un processus essentiellement linéaire qui consiste à rassembler des fonds et des actifs, d’origine légitime ou illicite, à les stocker puis à les acheminer jusqu’au point où ils seront utilisés.

Certaines études concluent à l’utilisation limitée, mais croissante des cryptoactifs par les organisations terroristes c’est-à-dire que la plupart des transactions financières liées au terrorisme continuent, à ce jour, de se faire en utilisant des devises traditionnelles et des réseaux financiers établis. Mais, il est possible que l’utilisation des cryptoactifs à ces fins augmente à mesure que les groupes terroristes développent leurs compétences dans ce domaine.

Selon la société d’analyse blockchain Chainalysis, les groupes terroristes ont reçu environ 100 millions de dollars en cryptomonnaies en 2022 contre 50 millions de dollars en 2021.

Est-il possible d’empêcher le financement en cryptos de groupes terroristes ?

Le suivi et la prévention du financement de groupes terroristes via des cryptoactifs sont des questions complexes et en constante évolution. Les mesures de surveillance et de répression restent essentielles dans ce domaine. A ce jour, les autorités et les organismes de réglementation ont développé des technologies de traçage de ces transferts et on mis en place des mesures telles que la réglementation des plateformes d’échange (mise en œuvre de procédures « Know Your Customer »), la surveillance de la blockchain ainsi qu’au niveau international, une coopération dans l’analyse des données afin d’identifier les comptes d’utilisateurs considérés comme suspects et de détecter les transactions liées au terrorisme.

Ces mesures sont un pas dans la bonne direction, mais il convient de les compléter car, malgré les efforts, elles sont imparfaites. Il convient de les renforcer notamment, au plan international, en déployant une réglementation des échanges c’est à dire en allant à l’inverse de la philosophie « open-source » des cryptoactifs et de leur vision libertaire, et en lançant un programme de coopération visant le partage des informations et des meilleures pratiques.

Cependant, il est important de noter que, pour échapper à la détection, les pratiques des groupes terroristes sont de plus en plus sophistiquées et inventives dans l’utilisation des cryptoactifs. Il est donc probable que ces entités continueront à contourner les restrictions et à utiliser ces supports pour financer leurs activités en raison de leurs qualités (quasi-anonymat, flexibilité…).

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