Les crèches contre les inégalités sociales : l'idée de Martine Aubry peut-elle marcher ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L'une des promesses électorales faite par Martine Aubry dans le cadre des élections municipales de Lille concerne l'expérimentation de la méthode "Carolina Abecedarian" dans les crèches.
L'une des promesses électorales faite par Martine Aubry dans le cadre des élections municipales de Lille concerne l'expérimentation de la méthode "Carolina Abecedarian" dans les crèches.
©Reuters

Uniformité

Martine Aubry veut expérimenter dans les crèches lilloises une pédagogie particulière : la méthode "Carolina Abecedarian". L'objectif est d'accroître la capacité de l'enfant à apprendre en réduisant les inégalités sociales à l'entrée et en favorisant exclusivement les enfants issus de milieux modestes.

Stéphane Clerget

Stéphane Clerget

Stéphane Clerget est médecin pédopsychiatre. Il partage son activité entre les consultations et la recherche clinique. Ses champs d’étude concernent notamment l’adolescence, les troubles émotionnels et les questions d’identité. Il a mis en place à l’hôpital l’une des premières consultations d’aide à la parentalité. Il est l'auteur de Nos garçons en danger (Flammarion) et Les vampires psychiques (Fayard).

Les vampires psychiques de Stéphane Clerget

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Atlantico : L'une des promesses électorales faite par Martine Aubry dans le cadre des élections municipales de Lille concerne l'expérimentation de la méthode "Carolina Abecedarian" dans les crèches afin de lutter contre les inégalités scolaires et sociales.

Stéphane Clerget : Une méthode très simple serait d’arrêter la sélection par les revenus. Aujourd’hui, la sélection s’opère principalement en fonction des revenus : plus l’on a des revenus élevés, moins on a de chance d’avoir une place en crèche. L’opinion publique a tendance a trouver ça normal du fait que des personnes à revenus élevés peuvent se permettre de louer les services d’une nounou. Mais en réalité, on leur impose cette nounou et aucune prise en charge collective n’est possible. Je crois qu’il suffirait de mettre fin à cette ségrégation sur les revenus et de permettre aux enfants de tous milieux de bénéficier d’une place en crèche ainsi que d’une aide de l’Education nationale pour que les inégalités entre chacun des enfants cessent. Inversement, si certains parents n’ont pas assez de revenus ou ne trouvent pas de place en crèche, ils devraient pouvoir bénéficier d’une aide pour une nounou. Il faut qu’on puisse retrouver dans chaque crèche des enfants de tous milieux sociaux avec des niveaux de langue différents et des cultures différentes. Parce qu’on sait que les enfants apprennent beaucoup entre eux. Ce serait donc à la fois une mesure de justice sociale et ce serait tout bénéfice pour les enfants. Il faut mettre en place dans les crèches une vraie mixité sociale.

Selon une étude, un enfant de 4 ans issu d’une famille aisée a entendu 30 millions de mots de plus que s’il était né dans une famille pauvre. Quelle part des inégalités sociales les carences dans l'apprentissage du langage permettent-elles d'expliquer ? 

Il ne faut pas oublier qu’il s’agit de chiffres qui sortent d’études. Au cas par cas, ce n’est pas toujours vrai. Un enfant populaire peut très bien avoir une expression très riche et s’exprimer plus facilement et mieux que certains enfants de famille aisée. A l’inverse, certains parents rentrent tard le soir et leur enfant est finalement élevé par une nounou qui ne maîtrise pas toujours très bien le français. Ensuite, ce qui favorise la richesse langagière, c’est la qualité du langage. Plus il est important, plus il est riche et diversifié, nourri de grammaire, de syntaxe, de vocabulaire, plus l’enfant en profite et ce, très tôt. Mais encore une fois, les enfants, surtout les jeunes enfants, apprennent beaucoup entre eux. Une mixité sociale dans les crèches ne peut être qu’un bon moyen de pallier ces carences d’apprentissage.

Donc les crèches peuvent être un outil de rattrapage des inégalités scolaires ?

A la fois des inégalités scolaires et sociales. Mais ce n’est pas ce que Carolina propose (ségrégation des revenus en crèches) Ce n’est pas vrai que le langage soit la seule explication des inégalités scolaires. Le langage c’est le reflet d’une stimulation intellectuelle moindre. Aussi un ensemble de mode éducatif.

Jusqu'où les crèches peuvent-elles pallier les insuffisances familiales en termes d'apprentissage du langage ? Jouent-elles un rôle aussi important que les parents dans le processus d'apprentissage de l'enfant ?

Elles peuvent pallier car la crèche a lieu d’échange langagier, d’actes ludiques et pédagogiques amenant l’enfant à être stimulés par d’autres personnes que ses parents. La crèche joue un rôle peut-être pas aussi important que les parents, mais ce rôle est bien réel. La crèche comme la nounou d’ailleurs.

Selon Anne Masson, orthophoniste, "le langage ne s'apprend pas mais il se construit, il se tisse dans une relation avec l'autre". Insister sur l'apprentissage du langage dans les crèches peut-il modifier le comportement social de l'enfant avec les autres ?

J’approuve totalement ce que dit Anne Masson. Bien sur que le langage s’apprend dans le cadre d’activités communes,d’échange affectif. c’est ce qui peut se passer dans les crèches. Enfin ça dépend des crèches, parce que si c’est des crèches ou le personnel change en permanence, ça ne sert à rien. Bien entendu cela repose sur un lien affectif un peu privilégié. je parle de crèche où l’enfant à des puéricultrices référentes qu’il voit et revoit.

Bien sur que cela peut modifier le comportement social de l’enfant. La maturité langagière favorise d’abord l’échange et la compréhension mutuelle entre l’adulte et l’enfant, favorise donc le respect des consignes. De plus une meilleure verbalisation permet justement moins de passages à l’acte. Les enfants qui ont des retards du langage vont davantage s’exprimer dans l’avenir et par exemple à l’occasion d’une frustration, davantage réagir dans l’agressivité civique ou dans le bris d’objet, alors que le langage permet également de formuler des frustrations mais de manière plus adaptées socialement. Tout cela n’est que positif. Mais si l’enfant après est avec une nounou qui s’exprime bien et avec qui il s’entend bien, c’est encore mieux.

Cela peut-il créer un conflit, un décalage avec le milieu social de l'enfant ?

L’enfant a envie d’apprendre, de savoir, d’être le plus performant possible, donc il ne va pas s’en plaindre. Les parents sont ravis de voir que leur enfant s’exprime bien, surtout à cet age. C’est d’autant plus intéressant que l’enfant a évolué dans un milieu ou l’on parle peu, ou l’on parle une languie étrangère ou l’on ne maîtrise pas bien le français.Les parents sont ravis que leur enfant progresse dans les milieux populaires. Après plusieurs années, lorsque l’enfant est adolescent, s’il est en bonne voie pour changer de milieu social, en général c’est plutôt apprécié par les parents. En général les parents souhaitent que leur enfant évolue. L’enfant est sensible au regard des parents, donc si l’enfant perçoit dans le regard des parents qu’on perçoit son évolution favorablement, il sera à l’aise avec ça. Et même si a l’adolescence il se rend compte des différences avec ses parents, trop tard il sera ce qu’il est. L’enfant peut autant avoir honte que d’être fier et reconnaissant vis-à-vis de ses parents.

Est-ce qu'au contraire des parents actifs venant d'un milieu aisé tous les deux, et qui passent donc moins de temps avec leur enfant, peuvent limiter l'apprentissage du langage de leur enfant ?

C'est en effet ce qui se passe. C’est pour cela que cette histoire concerne tous les milieux. je vois souvent des parents cadres supérieurs qui voient très peu leur enfant, les voit à la limite vers 20 h au moment ou il est couché. Il y a certes le weekend mais les parents sont tellement fatigués qu’ils dorment et qui confient leur enfant à une nounou. Les enfants sont donc très peu stimulés sur le plan langagier et accusent du retard. C’est pour ça que je défends la mixité sociale dans les crèches et c’est pour cela qu’il faut commencer par arrêter la ségrégation d’entrée dans les crèches par les revenus. Y a d’autres moyens d’aider les parents qui n’ont pas de place dans les crèches ne serait-ce qu’en augmentant le nombre de place dans les crèches. Pour moi ce qui est important au-delà de la méthode c’est que les enfants puissent bénéficier d’une prise en charge de qualité avec des échanges parmi lesquelles les échanges langagiers (pas des cours d’orthophonie) mais surtout – ce dont ne semble pas parler cette méthode – grâce a une vraie mixité sociale car encore une fois, les enfants apprennent encore plus entre eux. Le problème de cette méthode est le manque de spontanéité de l’utilisation du langage (entretiens individuels, etc). Le langage au sein d’activités plurielles est évidemment fondamental dans la relation à l’enfant, mais autant que des échanges psychomoteurs ou ludiques. Le problème de cette méthode est qu’elle est trop scolaire. On doit parler dans un cadre ludique. On est avec lui, on échange on joue on parle. C’est comme ça que le langage s’intègre. Cette méthode ne tient pas compte de la part des autres enfants.Prenez un enfant, mettez le dans un jardin d’enfant italien, a la fin de la semaine il connait déjà tout un vocabulaire en italien. Ce qu’il faut c’est favoriser pour tous les enfants d’être avec des adultes compétents bienveillants et s’exprimant bien et d’avoir des échanges avec eux. La priorité c’est que le personnel soit formé sur l’importance des échanges langagiers, avec plus de mixité social dans les crèches. Cela reviendrait moins cher et serait tout aussi efficace. 

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