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Les conversations imprudentes traquées par Bletchley Park
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Bonnes feuilles

Sinclair McKay raconte la vie insolite des civils au cœur du renseignement et de la cryptanalyse, à Londres, durant la Seconde Guerre mondiale. Extrait de "Les Casseurs de codes" (2/2).

Sinclair McKay

Sinclair McKay

Sinclair McKay est un auteur et journaliste anglais. Il collabore régulièrement au Telegraph et au Mail on Sunday. Il a écrit Sunday Times bestseller en 2011.

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"Le roman à succès de Robert Harris Enigma, publié en 1995, raconte l’histoire d’un espion qui travaille à Bletchley. Dans ce livre, la tension est omniprésente en raison d’événements complètement inimaginables. En effet, si les Allemands avaient eu ne serait-ce que le moindre soupçon à propos du projet britannique visant à craquer leur système de chiffrement, ils auraient rendu ce dernier encore plus complexe et donc pratiquement inviolable. C’est l’un des rares romans à suspens dont l’éditeur peut dire à juste titre que le destin du monde est entre les mains des héros.

Certains anciens de Bletchley adorent ce roman. Ils admirent le talent avec lequel Harris y décrit la vie au sein du Park, tout en y ajoutant beaucoup de suspens. Mais ils précisent que ce suspens, si divertissant soit-il, est en fait extrêmement peu vraisemblable. Pour certains, le secret et la sécurité étaient si imbriqués dans la vie à Bletchley qu’ils en devenaient presque pathologiques. Selon eux, la sécurité était lourde et implacable. On raconte que des femmes travaillant au Park refusèrent même de subir des opérations par peur de lâcher des indiscrétions sous anesthésie. On dit ainsi qu’une femme, professeur à Cambridge, qui participait à des fêtes à Londres, se vantait sous l’effet de l’alcool du travail qu’elle effectuait… Eh bien, on n’entendit plus jamais parler d’elle. Curieusement, d’autres bévues furent commises, qui devaient démontrer à quel point le Park était vulnérable aux conversations imprudentes.

Lorsque l’Europe occidentale tomba sous le terrible joug de l’Allemagne à une vitesse éclair, en 1940, les Britanniques étaient persuadés que leur pays subirait le même sort. Comme le rappelle Mimi Gallilee, on fit le maximum pour confondre les envahisseurs potentiels :

Tout le monde devait rester muet sur tout ; par exemple, on a retiré des quais tous les panneaux indiquant le nom des gares. Et on a délibérément mis le désordre dans tous les panneaux indicateurs pour que, en cas d’invasion ou si des individus indésirables étaient présents sur notre sol, ils ne puissent pas s’orienter facilement.

Il ne s’agissait pas de soldats en maraude ou d’espions étrangers astucieux, mais du boucher, du boulanger, du fabricant de bougeoirs, de quiconque susceptible de conspirer à l’aide d’un poste de radio secret. C’est à ce stade que la notion de « cinquième colonne », à savoir des citoyens d’apparence ordinaire, collaborant en secret avec l’ennemi afin de miner la société, envahit l’esprit de la population. Les propagandistes allemands jouaient sur cette anxiété dans les émissions destinées à la Grande-Bretagne. Ils annonçaient par exemple que l’horloge de l’église de Banstead, dans le Surrey, avait cinq minutes de retard. Les gens se demandaient comment ils pouvaient avoir ce genre d’information si ce n’était grâce aux membres de la cinquième colonne grouillant dans la région. Mais les Allemands n’ont peut-être pas eu à fournir beaucoup d’efforts pour instaurer cette atmosphère empreinte de paranoïa. Dans chaque ville, tout comportement enfreignant les règles ou inhabituel était consigné et signalé.

Les anciens ont tendance à ne pas évoquer les drames d’espionnage qui se sont produits au sein même de Bletchley. Il ne s’agissait pas simplement de la transmission astucieuse par les Britanniques de fausses informations ni de la propagande noire lancée depuis le centre d’équitation de Woburn Abbey situé non loin (grâce à une fausse station de radio allemande, appelée Gustav Siegfried Eins, dont la spécialité était de porter atteinte à l’honneur des officiels nazis), mais aussi d’épisodes plus sombres qui ont entraîné au fil des ans des allégations et contre-allégations. Comme nous le verrons, il y avait bien des conversations inconsidérées, de la part des Wrens, lieutenants, et autres petits malins qui ne réfléchissaient pas. Les autorités de Bletchley étaient alors rapidement sur le coup. À l’époque, en Grande-Bretagne, on ne manquait pas de volontaires pour surveiller les autres."

Extrait de "Les Casseurs de codes", Ixelles éditions.

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