Bonnes feuilles
Les contes berbères de mon grand-père : la fin tragique du musicien Ouza’iche
Jamil Rahmani a publié « Les Contes Berbères de mon Grand-Père » chez Orients éditions. Les contes sont les plus vieilles histoires du monde. En Kabylie, à l'heure de la veillée, ces contes retraçaient des histoires d'humains aux prises avec des ogresses, des magiciens, des animaux. Extrait 1/2.
Ouza’iche, originaire des Beni-Abbes, était très réputé parmi les musiciens kabyles. Il jouait de la ghaïta/lɣiḍa* avec maestria, éclipsant tous les autres clarinettistes. Il pouvait jouer plusieurs airs de suite pendant des heures sans s’arrêter pour souffler un peu. Aussi sa renommée était telle que les Kabyles disaient :
Tous (les musiciens) jouent de la clarinette
Mais c’est Ouza’iche qui remporte la palme.
Lɣiḍa kkaten-tt merra
Cciɛa yewwi-tt Uzɛic.
Ouza’iche s’adonnait librement à son art et vivait heureux lorsqu’un tyran mit fin à sa carrière.
Abchir, natif des Idjissen Ouadda qu’on nomme les Sanhadja, ville de Taqerrabt, était lieutenant de l’Armée française. Il fut amputé des deux jambes en 1870. Les Kabyles, impressionnés, citent encore de nos jours sa Légion d’Honneur qui, disent-ils, balayait le sol.
Abchir revint dans son pays natal où il prit la place d’un caïd dont le nom était avantageusement connu.
Il était marié à une Européenne dont il divorça pour se remarier plusieurs fois dans l’espoir d’avoir un héritier. Il eut ainsi sept femmes en l’espace de deux ou trois ans ; une seule lui donna deux filles dont une est encore en vie.
Exerçant le pouvoir sur une vaste contrée après le soulèvement de 1871, il se montra autoritaire, exigeant et dut lutter contre la rivalité du caïd destitué en sa faveur qui lui reprit le poste au bout de trois ans.
El Bachir Amellah, le grand chanteur-poète de la Petite Kabylie, le satirisa en maintes circonstances. Sa nomination de caïd à la place du titulaire, son ignorance, sa conduite, ses mariages successifs lui fournirent plusieurs thèmes de critiques.
Le caïd Abchir, pour un de ses mariages, invita des notables de plusieurs douars et une foule considérable se rendit à sa noce.
À cette occasion, il déclara au musicien Ouza’iche :
- Tu as la réputation d’être un grand clarinettiste, nous allons voir si réellement tu mérites ce titre. Je t’ordonne, sous peine de mort, de jouer sans arrêt tout le temps que durera ma fête.
Ouza’iche s’exécuta et joua en effet sans retirer un seul instant sa ghaïta de la bouche et cela pendant une journée, une nuit et une bonne partie de la journée suivante. Comme il fallait un souffle puissant et régulier, sans respirer normalement si ce n’est par le nez et les oreilles, il fit comme la cigale qui éclata à force de chanter.
Telle est, brièvement contée, la triste histoire d’Ouza’iche, victime de son art et surtout de la tyrannie d’un chef.
Extrait du livre de Jamil Rahmani, « Les Contes Berbères de mon Grand-Père », publié chez Orients éditions
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