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Les chaînes d'info sont-elles obligées de faire de l'infotainment pour survivre ?
©Capture d'écran

Le show de l'info

L'infotainment, cette technique existant depuis les années 2000, prend une grande importance sur la place médiatique au point de devenir une menace. Cette information "fast food", fruit de la course à l'audience, pose la question de la crédibilité des médias aujourd'hui.

Rémy Rieffel

Rémy Rieffel

Rémy Rieffel est professeur à l’université de Paris-II où il enseigne la sociologie des médias. Il a publié L’Elite des journalistes(PUF, 1984) et Les Journalistes français en 1990. Radiographie d’une profession (en collaboration, La Documentation française, 1992). 

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Atlantico : Pour quelles raisons les chaînes d'information se lancent dans l'infotainement ou l'info drama ?

Rémy Rieffel : L'infotainment existait déjà depuis les années 2000 sur plusieurs chaînes qui mélangent les genres avec la politique. La politique a basculé dans le divertissement depuis une dizaine d'années notamment en France, il y a un effet d'imitation face à la concurrence.

Autre élément, la montée en puissance des réseaux sociaux qui met davantage en avznt l'information de divertissement qui buzz, l'information trop sérieuse est mise en second plan. L'information décalée et humoristique reste celle qui circule le plus sur ces plateformes. Le mélange des genres est très fort sur les réseaux sociaux. Les chaînes d'information en continue ont besoin de rattraper leur retard à ce niveau.

Est-ce uniquement une politique commerciale ? Est-elle nuisible au traitement de l'information ?

Fondamentalement, la politique est commerciale. Elle est liée notamment au marché et à la concurrence entre les chaînes d'information et les autres outils technologiques. L'évolution culturelle du mode de consommation de l'information a également joué un rôle, les personnes veulent en même temps se divertir et s'informer. Ce mélange a pris une grande importance sur la place médiatique.

C'est préjudiciable pour l'information car cela donne une représentation des événements qui sont partiellement mis en valeur, qui manque d'approfondissement et de mise en perspectives. Il ne s'agit pas d'affirmer que l'info-divertissement n'est pas nécessaire mais sur certains thèmes, le mécanisme devient systématique et génère ainsi des exagérations de certains faits, des mauvais traitements. Ce cas de figure pose le problème de la hiérarchisation de l'information.

Nous avons mené une enquête pendant trois ans sur comment les français s'informent aujourd'hui à l'ère du numérique. Les éléments frappants sont que les français s'informent encore essentiellement par la télévision par rapport aux Etats-Unis mais nous avons observé une montée en puissance de l'information captée sur le web. La majorité des personnes qui vont sur Internet veulent se divertir ou chercher des renseignements pratiques.

Les internautes vont prioritairement sur les moteurs de recherche et ensuite certains vont sur les sites les plus légitimes dans la presse pour finir sur les pure players qui apportent de l'information alternative. C'est cette hiérarchie que nous constatons dans les usages de l'information.

En quoi l'infotainment bouleverse le travail du journaliste ? La diffusion d'informations propres et neutres est-elle mise au second plan ?

Par définition, un journaliste traite, sélectionne, hiérarchise l'information, plus particulièrement les faits qui se produisent et les événements d'actualités. Son métier ne consiste pas à mélanger ce traitement de l'information avec du divertissement. Cette technique le bouscule et cela remet en cause sa mission première qui est de servir d'intermédiaire et de médiateur entre les événements et le public et pas d'amuser la galerie.

La demande pour le journaliste est de rendre l'information attractive, un peu "sexy", il joue sur les mots, cherche des images choques, mets des titres plus accrocheurs notamment sur les sites en ligne. Ces pratiques participent au même mouvement.

L'information rapide, instantanée et un peu superficielle est de plus en plus mise au premier plan. De plus, la majorité des internautes vont sur les sites en ligne par le biais de Google Actualités, ce sont les moteurs de recherche et les algorithmes qui mettent en exergue les informations les plus chaudes et les plus attractives. De ce fait, les journalistes sont poussés par ce mécanisme et jouent sur ce créneau. L'information neutre qui décrypte, il faut aller la chercher ailleurs ou alors sur des sites spécialisés qui ont pour objectif de traiter cette information. Nous sommes dans un système à deux vitesses. Les personnes qui souhaitent une information neutre, au-delà d'aller la chercher, vont devoir la payer. L'info-divertissement est accessible à tout le monde, cela fait de l'audience, fait monter les taux de clics mais l'information plus fouillée a un coût. Nous allons vers un système où l'information fiable est à chercher.

Cette technique est-elle amenée à se généraliser ? Quelles en seront les conséquences pour le lecteur/spectateur et pour les différents métiers de la presse et de l'audiovisuel ?

Le système actuel amplifie le phénomène. Cette technique se généralise déjà. La conséquence va être le clivage du public. Il y aura d'un côté un public cultivé, diplômé ayant un bon niveau de vie qui sera bien informé car il a les capacités, la curiosité et les moyens financiers de le faire. Et de l'autre côté, une majorité qui aura droit à une information plus rapide, plus superficielle. Nous sommes saturés d'information, c'est ce que certains chercheurs appellent "l'information fast food". Le récepteur public a dû mal à choisir la bonne information. L'infotainment est une information fastfood, car vite vue, vite oubliée, bien souvent avec laquelle nous pouvons rire et s'amuser et elle ne suffit pas.

Au niveau des métiers du journalisme, les jeunes générations doivent être plus polyvalentes et donc mêler les types d'écriture. Ce fait industrialise le travail des journalistes notamment sur les chaînes d'information.

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