Les bits peuvent être verts, les molécules non : la révolution numérique ne passera pas par la transition énergétique<!-- --> | Atlantico.fr
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Silicon Valley Bank.
Silicon Valley Bank.
©REBECCA NOBLE / AFP

Crise environnementale

La Silicon Valley Bank a fait faillite parce qu’elle a confondu bits et molécules. Mais la vérité revient toujours et cette faillite ouvre les yeux de beaucoup d’opérateurs… y compris de BlackRock.

Samuel Furfari

Samuel Furfari

Samuel Furfari est professeur en géopolitique de l’énergie depuis 20 ans, docteur en Sciences appliquées (ULB), ingénieur polytechnicien (ULB). Il a été durant trente-six ans haut fonctionnaire à la Direction générale de l'énergie de la Commission européenne. Auteur de 18 livres.

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La faillite de la Silicon Valley Bank (SVB) en mars 2023, la banque régionale californienne, ébranle l’ensemble du système bancaire international. On craint une répétition de ce qui s’est passé entre 2008 et 2011. Dans mes graphiques sur la consommation d’énergie, je montre souvent l’encoche dans la consommation mondiale d’énergie primaire formée par cette crise. Oui, les crises font baisser la consommation d’énergie et donc les émissions de CO₂, puisque 81 % de l’énergie consommée dans le monde émet cette molécule devenue parias, alors qu’elle sort en permanence de nos bouches.

La SVB était la banque des jeunes pousses qui, depuis 1983, permettait aux capital-risqueurs de lancer leurs entreprises qui, en cas de succès, étaient rachetées par les plus grandes sociétés. C’est certainement un métier noble et bien utile. Cependant, cette banque verte a été soudainement confrontée à une baisse rapide des dépôts, les start-ups ayant de plus en plus de mal à assurer leur trésorerie.

SVB était fière de soutenir les entrepreneurs et les entreprises à forte croissance qui bouleversent les secteurs traditionnels, censée accélérer la transition vers un monde plus équitable et plus durable. Elle a financé des entrepreneurs et des entreprises dans les secteurs de la technologie, des sciences de la vie, de la santé et même du vin. Ils mettaient un point d’honneur à préciser que leur portefeuille de prêts ne correspondait pas à celui des banques dont la clientèle traditionnelle est constituée de secteurs à fortes émissions de CO₂, tels que l’exploration et la production de combustibles fossiles ou la production d’électricité à partir de combustibles fossiles. En janvier 2022, SVB a annoncé qu’elle s’engageait à fournir cinq milliards de dollars de financement durable d’ici 2027 pour contribuer à l’objectif de réduction de l’augmentation de la température de 1,5 °C. Ils étaient convaincus que la transition vers une économie à faible émission de carbone représentait une opportunité pour SVB et ses clients, par exemple grâce à des prêts pour financer des projets d’énergie renouvelable et des technologies climatiques innovantes qu’ils finançaient au sein de leur groupe Climate Tech and Sustainability.

Après 40 ans, le mécanisme s’est grippé, pour plusieurs raisons liées à la finance, mais il me semble que l’utopie verte est une autre raison. Après avoir innové dans le numérique, toute la Silicon Valley a été prise dans la frénésie de la lutte contre changement climatique, pensant que si l’on pouvait gérer des bits immatériels, on pouvait aussi gérer des molécules matérielles, car l’énergie dépend de molécules. Ils pensaient aussi qu’ils allaient gérer la vie des gens puisque l’énergie c’est la vie. Les banques ont cru que c’était la même chose, mais ce n’est pas du tout vrai. De plus, le numérique crée, mais la lutte contre le changement climatique punit et détruit de la valeur.

Green Big Brother

SVB faisait partie du système de compte rendu des activités et politiques écologiques normalisé et mondialement reconnu du Carbon Disclosure Project (CDP, projet de divulgation du carbone). Ils appellent cela « la divulgation ».

Fondé en 2000, le CDP a été la première plateforme à exploiter la pression des investisseurs pour influencer la divulgation par les entreprises de leur engagement écologique. Les informations détenues par le CDP permettent — moyennant payement — aux investisseurs, aux entreprises, aux villes et aux gouvernements nationaux et régionaux de suivre l’engagement des entreprises en faveur de la doctrine écologique. Cette entreprise, qui aime se faire passer pour une organisation caritative à but non lucratif, fait exactement ce que le climatologue Richard Lindzen répète depuis des années : « Si vous contrôlez le carbone, vous contrôlez la vie ».

Cette entreprise basée à Berlin et Bruxelles disposait d’un budget de 3,4 millions d’euros en 2021, dont 42 % sont financés par des organismes publics. Sans le savoir, nous finançons avec nos impôts des organisations qui mettent leur nez dans les affaires des entreprises. La divulgation que la SVB a remis à la CDP en 2022 contenait 275 fois le mot climat en 47 pages de questions tatillonnes. Cette banque californienne avait donc tout le crédit nécessaire pour passer pour écologique.

BlackRock n’est plus un roc vert

En janvier 2020, Larry Fink, PDG de BlackRock, le plus grand gestionnaire d’actifs au monde, a averti dans sa traditionnelle lettre annuelle aux chefs d’entreprise que le risque climatique modifierait sa politique d’investissement. Le géant financier entendait utiliser son pouvoir pour pousser les entreprises à lutter contre le changement climatique. La SVB le faisait déjà.

Dans sa lettre annuelle aux investisseurs de cette année, le président fait une déclaration différente. Le mot « climat » apparaît cinq fois, mais le mot « énergie » est présent 22 fois. BlackRock annonce qu’elle travaille avec des entreprises énergétiques dans le monde entier parce qu’elles sont essentielles pour répondre aux besoins énergétiques des entreprises. Pour assurer la continuité des prix de l’énergie pendant la transition, BlackRock reconnaît que les combustibles fossiles, en particulier le gaz naturel, resteront d’importantes sources d’énergie primaire pendant de nombreuses années. C’est pourquoi il investit également dans les gazoducs, y compris au Moyen-Orient, où des investissements massifs dans les énergies traditionnelles sont en cours.

Il n’est pas encore trop tard pour ce géant financier, la rationalité est revenue. Le système bancaire ferait bien de se concentrer sur son métier et de ne pas utiliser ses financements et ses critères EGS pour faire de la politique. Car il y aura toujours quelqu’un pour investir dans les énergies traditionnelles parce qu’elles sont indispensables au fonctionnement de l’économie, à la création d’emplois et donc au bien être social. Que ce soit dans le monde ou dans l’UE, l’énergie éolienne et la solaire ne représentent ensemble que 3 % de la demande d’énergie primaire. En supposant, par une hypothèse improbable, qu’elles seront dans un avenir prévisible multipliées par cinq, cela conduira à ce que 85 % de l’énergie sera encore de l’énergie conventionnelle. Il faudra bien que quelqu’un investisse dans ce secteur, contrairement à ce que pensait la SVB.

Le numérique dépend des bits, l’énergie, le climat, le développement durable et notre qualité de vie dépendent des molécules. Et ce n’est pas du tout la même chose. Il est urgent d’arrêter de rêver que la révolution numérique permettra la transition énergétique.

Espérons que la faillite de la SVB ne provoquera pas une onde de choc dans l’économie mondiale comme celle provoquée par la faillite de la banque Lehman Brothers. Sinon, à son insu, en déclenchant une crise économique, la banque de la transition énergétique aura réussi à faire baisser les émissions mondiales de CO₂. Espérons qu’il n’y aura pas une deuxième encoche dans mes graphiques.

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