Les bandes criminelles fonctionnent de plus en plus comme un passeport pour le nouveau terrorisme 100% Made in France<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Culture
La menace terroriste qui pèse aujourd’hui sur nos sociétés occidentales est nouvelle et endogène – le Premier ministre a parlé des "ennemis de l’intérieur".
La menace terroriste qui pèse aujourd’hui sur nos sociétés occidentales est nouvelle et endogène – le Premier ministre a parlé des "ennemis de l’intérieur".
©Reuters

Entretien

Dans Bandes : dérive criminelle & terrorisme, Julien Dufour et Abdelfettah Kabsi se penchent sur le "néo-banditisme" qui se propage dans les cités françaises. Entretien avec Julien Dufour.

Julien  Dufour

Julien Dufour

Julien Dufour est Commissaire de Police, criminologue. Après plusieurs années de service en Seine-Saint-Denis, il a été chargé du Plan de lutte anti-bandes de la Préfecture de Police de Paris. Il exerce aujourd’hui comme conseiller à la sécurité des transports à la Direction générale de la police nationale.
Voir la bio »

Atlantico : Vous commencez votre ouvrage, Bandes : dérive criminelle & terrorisme, en parlant d'une évolution du terrorisme qui est passé d’un hyper-terrorisme qui a atteint son paroxysme le 11 septembre, à un terrorisme plus individuel. Comment analysez-vous cette évolution ?

Julien Dufour : Le terrorisme n'a cessé d'évoluer au cours du temps. Il est le reflet de l’histoire, de l’évolution du monde et de ses rapports de force. D’un terrorisme de guerre froide, nous sommes passés à un terrorisme de chaos, qui a connu son paroxysme « hyper-terroriste » avec les attentats du 11 septembre 2001.

>>> Lire aussi les bonnes feuilles de l'ouvrage : Bandes, dérive criminelle et terrorisme : de la guerre des boutons au néobantitisme

>>> Lire aussi les bonnes feuilles de l'ouvrage : Comment l’histoire du "néo-terrorisme" rejoint celle du "néo-banditisme" des cités

La menace terroriste qui pèse aujourd’hui sur nos sociétés occidentales est nouvelle, et endogène – le Premier ministre a parlé des « ennemis de l’intérieur ». Elle est avant tout le fait d’hommes et de femmes ayant grandi sur le territoire, radicalisables et radicalisés, pour qui la guerre sainte devient une raison de vivre. Ce « néo-terrorisme » a la particularité de donner lieu à des actions individuelles, ou le paraissant, tout du moins exécutées par un seul homme. Le poids d’Internet, et la globalisation du monde sont autant de facilitateurs de la mondialisation des activités criminelles et terroristes.

Des signaux faibles de la porosité entre criminalité et terrorisme nous sont apparus dès 1995 et les actions du « gang de Roubaix », finançant le jihad en Bosnie par de la délinquance de droit commun. On a alors parlé de « gansterrorisme ». Aujourd’hui, elle prend la forme d’un passage à l’acte terroriste par des individus ancrés dans la délinquance de cité. Les attentats de janvier nous en ont donné plusieurs exemples. Il faut toutefois se garder de toute généralisation. Bandes de rue et terrorisme sont deux phénomènes distincts. Ils reposent simplement sur un même terreau fertile : le rejet de la société, et la violence désinhibée.

Peut-on établir un lien entre radicalisation et délinquance ?

De prime abord, les deux concepts sont antonymes. Le délinquant de banlieue a une logique hédoniste, consumériste : avoir de l’argent, du bon temps, des filles, vivre au jour le jour, profiter. L’individu radicalisé, lui, est dans le renoncement à ces valeurs et au confort de la société occidentale.

Pourtant, la bande d’un côté, comme la radicalisation religieuse de l’autre répondent à une logique utilitaire : elles sont sécurisantes pour leurs membres. Le jeune délinquant a souvent un profil très immature, une notion floue du bien et du mal, une absence d’idéologie et de conscience. La radicalisation lui offre un cadre, un chemin, une identité autre que celle du territoire et de la délinquance. C’est la fabrication d’une identité nouvelle.

Le lien entre délinquance et radicalisation, c’est la mutation idéologique.

Je vous cite, "la revendication religieuse est un prétexte". Pouvez-vous expliquer votre position ?

Les individus radicalisés ne connaissent la religion que par le prisme de l’endoctrinement fanatique dont ils sont l’objet, notamment via Internet. Elle est un prétexte. L’illettrisme, l’absence d’éducation par la famille et d’apprentissage par l’école, le rejet du symbole institutionnel sont autant de facilitateurs dans le recrutement d’individus influençables utilisés comme des « kleenex », c’est à dire jetables. C’est un « lumpen-terrorisme », selon la formule du criminologue Alain Bauer, en référence au lumpenprolétariat inventé par Karl Marx.

Vous évoquez les bandes carcérales qui ne seraient pas encore bien implantées en France mais dont la présence serait croissante... 

Le phénomène des bandes de prisons touche de nombreux pays qui connaissent la criminalité des bandes de rue. Ces « bandes criminelles carcérales » sont soit la continuation de bandes de rue existant dans le pays concerné, soit des créations ex nihilo de bandes violentes cadrant une vie en détention stimulant la capacité agrégative. Les Etats-Unis sont particulièrement touchés par ce phénomène, qui n’a pas d’équivalent en France.

Les enjeux en détention sont plutôt aujourd’hui liés à la radicalisation, au fait que la pratique religieuse offre au prisonnier isolé le soutien du groupe. Il en est ainsi du « Prislam », contraction de prison et Islam, qui désigne la phase de conversion, d’endoctrinement et de radicalisation religieuse en détention.

Quelle est la place accordée à la fratrie dans ces bandes ?

Les fratries sont surreprésentées dans les bandes. C’est d’abord une question de recrutement. Il est plus facile d’intégrer une bande lorsqu’un frère y est déjà et à fortiori s’il en est le leader. Il y a là une forme de mimétisme et de cooptation. C’est ensuite un gage de confiance, dès lors que la logique devient commerciale – notamment dans le très concurrentiel trafic de stupéfiants. Lorsqu’il s’agit de pénétrer le milieu criminel, outre la violence, la parenté est une garantie naturelle. Le lien du sang est un élément primordial de cohésion du groupe. C’est vrai dans le « néo-banditisme » de cités, mais aussi dans le « néo-terrorisme » qui nous frappe : les frères Kouachi ont attaqué Charlie Hebdo, comme les frères Tsarnaïev avaient visé deux ans auparavant le marathon de Boston.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !