Les agents retournés, clef de voute des stratégies militaires de la Seconde guerre mondiale <!-- --> | Atlantico.fr
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C’est au cours de l’été et de l’automne 1940 que le MI5 développe son département des agents retournés, sous l’impulsion du colonel Thomas Robertson.
C’est au cours de l’été et de l’automne 1940 que le MI5 développe son département des agents retournés, sous l’impulsion du colonel Thomas Robertson.
©DR

Bonnes feuilles

Pour la première fois, ce livre révèle ces opérations de tromperie qui ont eu une influence déterminante sur la conduite de la guerre. Extrait de "Stratagèmes de la seconde guerre mondiale" (1/2).

Jean  Deuve

Jean Deuve

Ancien chef du service de renseignements de Forces françaises du Laos (1949-1953) et directeur de la police nationale du Laos, conseiller politique auprès du Premier ministre pour la sécurité nationale (1954-1964), Jean Deuve est spécialiste de l'histoire du renseignement.

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Dès le début de la guerre, le MI5, qui travaillait avec le SCR français, avait proposé de ne pas exécuter ou emprisonner tous les espions ennemis arrêtés, mais de tenter de les retourner et de les utiliser pour le renseignement et l’intoxication.

Le premier agent retourné est Arthur Owens, à qui est attribué le pseudonyme «Snow», ingénieur électricien, recruté par les Allemands en 1936 et auquel l’Abwehr avait remis un poste émetteur-récepteur. Le 5 septembre, il reprend contact avec son officier traitant de l’Abwehr, le major Ritter. À la fin du mois, avec la permission du MI5, Owens s’en va à Amsterdam rencontrer son traitant, accompagné d’un ancien inspecteur de police, présenté comme volontaire pour servir l’Allemagne. L’Abwehr leur fournit des codes, un procédé de reproduction microphotographique, des détonateurs pour d’éventuels sabotages, des adresses de «boîtes aux lettres»… et même un moyen de prendre contact avec deux agents allemands déjà installés en Angleterre. Les communications continuent avec Hambourg, puis avec des correspondants allemands camouflés en Espagne et au Portugal.

C’est au cours de l’été et de l’automne 1940 que le MI5 développe son département des agents retournés, sous l’impulsion du colonel Thomas Robertson. Les agents allemands ne peuvent alors s’introduire en Grande-Bretagne autrement que par voie maritime ou aérienne en provenance de Suède, du Portugal et de l’Eire, liaisons relativement aisées à contrôler. Aussi les Allemands ont-ils recours à des méthodes d’entrée clandestines, parachutages ou débarquements de nuit par sous-marins ou embarcations rapides. De septembre à novembre 1940, une trentaine d’agents allemands sont ainsi introduits. Tous sont arrêtés facilement, en partie parce que leurs faux papiers d’identité avaient été fabriqués par les services allemands à partir d’informations (fausses) véhiculées par le groupe Owens, à qui l’Abwehr avait demandé de faciliter l’arrivée et l’installation de ses espions.

Les quatre premiers espions, embarqués au Touquet le 2 septembre 1940 et déposés sur les côtes du sud-est de l’Angleterre, sont tous arrêtés dans les vingt-quatre heures.Trois d’entre eux seront fusillés. Quinze jours plus tard, le second groupe aborde ou est parachuté plus au nord. Il comprend onze agents, parmi lesquels neuf seront fusillés et deux accepteront de se retourner, «Tate» et «Summer». Une quinzaine d’autres seront également attrapés.

Le vrai nom de «Tate» est Wulf Dietrich Schmidt. C’est un Danois, alors âgé de vingt-six ans, parachuté près de Cambridge le 19þseptembre 1940 et arrêté le lendemain matin. Sa première liaison sous contrôle avec l’Abwehr de Hambourg a lieu au début d’octobre, première d’une longue série puisque cette liaison durera jusqu’en maiþ1945… «Tate» transmettra plus de mille messages contenant vraies et fausses informations. Les Allemands le considérèrent comme un de leurs meilleurs agents et lui conférèrent la croix de fer de 1re classe. À partir de juillet 1940, le MI5 est en mesure de savoir d’avance quand et où l’Abwehr enverra des agents, grâce au groupe Owens, en qui les Allemands ont toute confiance, aux autres agents retournés, aux interceptions du GC and CS. Parmi les premiers agents retournés figure aussi Eddie Chapman, anglais, déserteur d’un régiment de la Garde, devenu cambrioleur et perceur de coffres, qui purgeait en 1940 une condamnation dans la prison de Jersey. Les Allemands, ayant occupé les îles Anglo-Normandes, le libèrent et l’envoient, sous une fausse identité, en Angleterre… où il est de nouveau arrêté. Il accepte de travailler sous contrôle du MI5. Un autre espion, envoyé par l’Abwehr et retourné, est un acrobate de cirque, autrichien, déposé par un sous-marin sur les côtes de l’Eire le 28þjanvier 1940. Il s’appelle Ernst Weber-Drohl.

Tels sont les premiers agents importants retournés. L’utilisation d’agents retournés nécessite l’établissement d’un organisme situé au plus haut sommet du gouvernement britannique et des ministères intéressés pour déterminer les informations vraies ou fausses à passer aux Allemands par l’intermédiaire de ces agents.

Cela s’avère d’autant plus indispensable que les interceptions du GC and CS, le travail de SIS, les possibilités du SOE permettent le retournement de nouveaux agents et le recrutement d’agents de pénétration. C’est ainsi que le SIS recrute un remarquable agent, Dusko Popov, pseudo «Tricycle». C’est un jeune Yougoslave, de famille ardemment royaliste, agent de l’Abwehr, qui avait pris contact avec le poste SIS de Belgrade. En décembreþ1940, il est acheminé à Lisbonne, puis de là en Angleterre, où il arrive le 20, chargé par les services allemands de monter un réseau d’espionnage à partir d’amis qu’il avait à la légation de Yougoslavie à Londres. Sous le contrôle du SIS et du MI5, il instaure une liaison régulière avec l’Abwehr à Lisbonne et fournit aux Allemands quantité d’informations «orientées», notamment des chiffres sur les ressources militaires britanniques, que l’Abwehr surestimera toujours, jusqu’au débarquement du 6þjuin 1944 et au-delà. Au début de l’année 1941, Churchill, pressé par la nécessité de fournir des informations pour les agents retournés, crée le «þWireless Boardþ» (Commission de la radio). Cette commission comprend des représentants du MI5, du SIS, de l’Air Intelligence, de la Naval Intelligence Division, de la War Intelligence. La responsabilité de la manipulation quotidienne des agents retournés est dévolue au Twenty Commitee ou «XX Commitee», ainsi appelé par un calembourþ: la double croix en lettres romaines est «vingt» mais to double cross, en anglais, signifie «duper, leurrer»…

Le Comité XX tient sa première réunion le 2 janvier 1941 au quartier général du MI5, Saint-James’s Street, et, à partir de cette date, se réunit chaque semaine. Il comprend des représentants du SIS, des trois Intelligence (Air, Naval, Military), de l’état-major général des troupes de Grande-Bretagne, du Deception Department du ministère de l’Air. Les réunions sont présidées par un fonctionnaire du MI5, John C. Masterman professeur d’histoire moderne à Oxford. Ce comité se réunira deux cent vingt-six fois pendant la guerre. Déjà, les interceptions de GC and CS permettent de suivre certaines réactions des Allemands à la réception d’informations communiquées par les agents retournés. Au printemps 1941, le comité XX établit un centre d’interrogatoire pour sélectionner des «candidats» virtuels au double jeu de la pénétration ou du retournement. Parmi eux, certains avaient été arrêtés alors qu’ils essayaient de pénétrer clandestinement en Angleterre, d’autres avaient été repérés à la suite d’écoutes radioélectriques. D’autres s’étaient présentés spontanément. À partir de cette date, aucun espion allemand ne fut dirigé vers les tribunaux avant d’être passé par le crible du Comité XX.

 Extrait de "Stratagèmes de la seconde guerre mondiale" (Nouveau monde éditions), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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