Les 7 péchés capitaux de la planification énergétique : ces erreurs fondamentales faites par les pays européens qui conduisent à des problèmes d'approvisionnement<!-- --> | Atlantico.fr
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Certains de nos choix électriques ont été tout sauf judicieux.
Certains de nos choix électriques ont été tout sauf judicieux.
©GEORGES GOBET / AFP

Péchés originels

La situation actuelle ne vient pas de nulle part. Des erreurs majeures ont été commises par les Etats européens.

Damien Ernst

Damien Ernst

Damien Ernst est professeur titulaire à l'Université de Liège et à Télécom Paris. Il dirige des recherches dédiées aux réseaux électriques intelligents. Il intervient régulièrement dans les médias sur les sujets liés à l'énergie.

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1- Compter sur les pays voisins

Damien Ernst : Trop de pays européens ont trop compté sur leurs voisins en matière d’énergie. Ils ont fait l'hypothèse de pouvoir importer de grandes quantités d’énergie d’autres pays européens. A partir du moment où la plupart des pays européens font ce genre de calcul, cela aboutit à des difficultés.

La Belgique a fait cette hypothèse pour 2025. Elle comptait sur ses voisins européens à hauteur de 1 à 2 gigawatts. La Belgique a pris des mesures pour la sortie du nucléaire et pour sa planification de nouvelles centrales au gaz afin de compenser ce choix tout en se basant sur l’hypothèse de la solidarité européenne sur le plan énergétique. Mais l’inquiétude règne depuis car cette hypothèse n’est plus valable.

2- Surestimer le potentiel du nucléaire

Il y a une surestimation du potentiel nucléaire. La filière industrielle du nucléaire n’est plus performante en Europe. Elle est vieillissante. Récemment on disait encore à la compagnie EDF qu'elle devait fermer au moins 10 réacteurs et on leur annonce maintenant qu’il est vital de maintenir toute leur flotte nucléaire. Mais le personnel n’est plus disponible pour ce changement de cap.

De plus des opérations de maintenance lourdes doivent être menées. Cela rend les centrales indisponibles pendant un long moment.

Tout cela contribue à fragiliser la filière nucléaire pour plusieurs années, tant que l’outil industriel ne sera pas revenu à niveau et tant que les opérations de maintenance n’auront pas été réalisées.

3- Surestimer le potentiel des énergies renouvelables

Lorsque nous sommes confrontés à une vague de froid qui vient de l’Est en hiver, il n’y a quasiment pas d’effets bénéfiques à tirer de l’énergie solaire photovoltaïque. Cela produit peu d’énergie. Il y a aussi de très faibles régimes de vent lorsque cette vague de froid arrive. Or c'est cette vague de froid qui conduit aux plus grands pics de consommation.

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Les réserves de capacités pilotables doivent donc être absolument dimensionnées sur la pire des pointes de consommation sans pouvoir compter sur du renouvelable.

Pour les pires des scénarios qui puissent arriver, le renouvelable n’est d’aucune aide.

4- Toujours considérer que le gaz est abondant

Les pays européens ont toujours lié leur capacité de sécurité d’approvisionnement en regardant uniquement leur capacité de génération d’électricité mais sans prendre en compte les flux de matières (de gaz, de charbon, de pétrole ou d’uranium) qui étaient nécessaires pour cette génération d’électricité.

Il est important de considérer un facteur de risque, surtout pour le gaz. Il n’est plus possible d’exclure pour les années à venir que l’on manquera à un moment donné de gaz. Cela pourrait être lié aux marchés étrangers à cause de raisons géopolitiques ou cela pourrait être lié à des attaques sur nos infrastructures de gaz qui sont extrêmement vulnérables comme cela a été démontré lors de l’attaque ayant visé Nord Stream 1 et 2.  

5- Surestimer la flexibilité de la charge

Dans tous les scénarios, les pays européens ont tendance à surestimer la flexibilité de la charge et de combien la charge pourrait diminuer lors des pointes qui sont associées à des prix de l’électricité élevés. Ces derniers incitent et poussent à réduire la consommation. Malheureusement, ces scénarios sont trop optimistes par rapport à cela.

De plus, toute l’infrastructure informatique qui doit être mise en œuvre pour flexibiliser la charge n’est pas encore accessible. C'est particulièrement le  cas en Allemagne où les compteurs intelligents, qui sont pourtant nécessaires pour flexibiliser les charges électriques, sont quasi inexistants au niveau domestique.    

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6- Négliger l’impact des nouvelles charges comme les véhicules électriques et les pompes à chaleur sur la consommation électrique

Les véhicules électriques représenteront 25% supplémentaires pour la charge électrique,  si toute la flotte de voitures doit passer en électrique.

Si ces véhicules électriques deviennent autonomes, ils vont faire plus de kilomètres. La consommation sera donc encore plus grande.

Dans les scénarios à moyen terme, aucun ne prend en compte cette croissance rapide de la filière électrique voulue en général par les gouvernements.

Les gouvernements veulent aussi installer des pompes à chaleur partout. Elles sont perçues comme une solution miracle à cette crise du gaz. Les pompes à chaleur sont très efficaces pour chauffer une maison lorsque la différence de températures entre l’extérieur et l’intérieur de la maison n’est pas tellement élevée. Lorsqu’il commence à faire froid, il y a une croissance quadratique de la consommation des pompes à chaleur, en fonction de la chute des températures. Ces charges sont donc extrêmement thermosensibles et sont donc capables de créer d’énormes pics de consommation sur le réseau électrique. Un degré de température en moins pourrait créer plusieurs milliers de mégawatts de consommation en plus. Cela risque de devenir un vrai problème pour la France si elle fait le choix d’investir massivement dans les pompes à chaleur dans les années à venir. Cela sera très difficile à gérer au niveau électrique.    

7- L'immaturité des ingénieurs étudiant ces problèmes de sécurité d’approvisionnement

Il y a très peu d’ingénieurs seniors qui auraient travaillé des années dans le secteur et qui disposeraient d’une vision très transversale du secteur et des différents problèmes qui puissent apparaître qui étudient les problèmes d'adéquation.

A ma connaissance, ces études reposent sur de jeunes ingénieurs qui travaillent en général pour des gestionnaires de réseaux de transport. Ils travaillent avec un modèle, des programmes informatiques. Ils ne comprennent pas nécessairement les limites de ces modèles. Ils sont incapables d’intégrer dans leur raisonnement des nouveaux problèmes comme une perte d’approvisionnement de gaz et de prendre en compte des disruptions technologiques comme les véhicules autonomes. Ils ne vont également pas être en mesure de critiquer certaines hypothèses quant aux réductions de la charge par rapport au prix. Cela conduit souvent à des études d'adéquation trop optimistes.

Les politiques observent et consultent ces études. Ils ont peur de critiquer ces modèles car cela n’est pas leur domaine de compétence, à cause du niveau en mathématiques, des modélisations.

Tout cela aboutit à des postures et à des choix assez naïfs.

Qu’est-ce que ces 7 péchés européens traduisent sur la crise énergétique et sur le marché de l’énergie ?

Cela doit amener les pays européens à se ressaisir d’urgence. La situation est grave. Il ne faut pas nier les problèmes. Il faut se reprendre. Il est vital de faire appel à des gens sérieux et compétents pour traiter ces problèmes-là. Il ne faut plus défendre de dogmes sur ces enjeux énergétiques.

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