Législatives : la revanche éclatante de Marine Le Pen<!-- --> | Atlantico.fr
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Marine Le Pen prononce un discours après les premiers résultats des élections législatives à Hénin-Beaumont, dans le nord de la France, le 19 juin 2022.
Marine Le Pen prononce un discours après les premiers résultats des élections législatives à Hénin-Beaumont, dans le nord de la France, le 19 juin 2022.
©DENIS CHARLET / AFP

Percée historique

Avec 89 sièges, le parti de Marine Le Pen signe une percée historique à l'Assemblée Nationale. Le Rassemblement National franchit ainsi le seuil requis pour former un groupe à la chambre basse du Parlement, une première depuis trente-six ans.

Benjamin Morel

Benjamin Morel

Benjamin Morel est maître de conférences en Droit public à l'Université Paris II Panthéon-Assas.

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Atlantico : Quel regard portez-vous sur les résultats de ce second tour ? Et notamment le score du RN ?

Benjamin Morel : Il n’y a jamais eu de telle configuration sous la Cinquième République. Nous sommes dans une situation qui ressemble beaucoup à ce qu’on a pu connaître à la fin de la quatrième : une force centrale qui s’autonomise mais est minoritaire en voix et désormais en sièges et deux forces plus polarisées qui ne veulent pas s’allier, entre elles ou avec le centre. C’est une situation où l’Assemblée sera extrêmement compliquée à gérer pendant cinq ans, avec un fait électoral majeur : il n’y a pas eu de report massif des électeurs NUPES sur les candidats Ensemble, ni de report massif de l’électorat RN sur les candidats Ensemble. Il y a donc soit eu de l’abstention soit un vote mu par antimacronisme. Ensemble avait, en tant que groupe central, une position précieuse, qui lui permettait de jouer sur le rejet de l’autre force en cas de duel. Nous arrivons au bout de cette logique. Ensemble est en tête mais avec une majorité plus que relative.

La véritable surprise de ce scrutin est le score du RN, pouvait-on l’anticiper ? Est-ce une victoire sur tous les plans ?

C’était totalement imprévisible. On avait à aucun moment anticiper qu’il y aurait de tels replis de voix des électeurs NUPES vers le RN et qu’ils choisiraient de ne pas faire barrage au RN. Ce sont des phénomènes particuliers qui ont conduit à ce succès très important du RN, qui devient le premier groupe d’opposition à l’Assemblée. 

C’est non seulement une victoire claire et nette mais totalement inespérée. Dans leurs rêves les plus fous, ils pouvaient espérer 30 députés. Ils rêvaient à 60 pour pouvoir saisir le conseil constitutionnel mais 90, c’était inatteignable. Avec 8 députés dans la précédente législature, c’était déjà presque une victoire vu leurs difficultés face à ce mode de scrutin. Donc c’est une victoire sans nuage pour le RN. LR s’en tire en laissant quelques plumes, Ensemble est en déconfiture, la NUPES n’est pas à la hauteur de ses espérances. Le seul vainqueur sans conteste ce soir, c’est le RN.

Est-ce une nouvelle ère pour le RN avec la formation possible d’un groupe qu’il n’avait pu avoir qu’une fois, grâce à la proportionnelle, en 1986 ?

C’est clairement une nouvelle ère. Avec 90 députés, plusieurs choses vont changer. D’abord, les financements. Beaucoup disaient le RN mort avant ou après les présidentielles, car on ne l’imaginait pas avoir un groupe ou en tout cas pas suffisamment pour éponger les dettes du parti, à plus de 20 millions. Mais là, le financement de la vie politique lié aux scores du premier tour, mais aussi la partie liée au second tour et au nombre de députés obtenus, va être extrêmement important. Les problèmes financiers du RN deviennent solubles. Le second problème qui va pouvoir être réglé, c’est celui de la professionnalisation. On a beaucoup dit que le parti manquait de compétence et était amateur ; pour avoir de la compétence, il faut des gens qui s’y consacrent, travaillent les programmes, s’investissent dans les dossiers. Avec leurs parlementaires, cela signifie plus d’attachés parlementaires au total, et 3 par personne. Il faut ajouter les collaborateurs, des gens qui vont pouvoir être embauchés par le groupe aux frais de l’Assemblée nationale. Cela signifie aussi des députés payés pour s’investir dans les dossiers.  

Au-delà des élus, le RN peut-il s’insérer véritablement dans les différents systèmes de pouvoir français ? Et notamment incarner une opposition, qu’elle soit constructive comme certains ont pu le dire ou non ?

S’intégrer aux systèmes n’a pas, cela n’a pas forcément de sens. Ils peuvent voter des textes au cas par cas avec le gouvernement, mais ce n’est pas avec le RN qu’Ensemble va faire alliance pour tenter d’avoir une majorité. L'opposition a très peu de pouvoir au parlement, donc s’intégrer au système c’est se saisir des moyens d’actions : espace réservé pour les propositions de loi, droit de tirage pour les commissions d’enquête, questions au gouvernement. En tant que premier groupe d’opposition, ils peuvent avoir des vice-présidences et la présidence de la commission des finances, etc. On reprochait beaucoup au RN de ne rien faire à l’Assemblée, mais sans groupe parlementaire, les pouvoirs sont tellement réduits que c’est difficile de faire quoi que ce soit. Le RN va avoir accès à tout ce qu’il peut lui permettre d’être une opposition. 

Est-ce que cela peut être à double tranchant pour le RN, qui n’aura plus l’argument de dire qu’il ne sera plus représenté et pourra être jugé sur pièce ?

Le RN depuis 30 ans pèse entre 10 et 30% des voix et n’a jamais disposé de groupe parlementaire jusqu’ici. Malgré une candidate au second tour en 2017, il n’avait que 8 députés. C’est un problème démocratique. Soit un parti n’est pas soluble dans la république et on l’interdit, soit il doit être représenté. Donc certes, ils n’auront plus cet argument, mais ce n’est pas un argument déterminant. De l’autre côté, la capacité à monter en gamme est un enjeu extrêmement important. Si c’est bien géré et que le groupe tient la route, ça servira profondément le RN. Le RN sera effectivement plus visible, il ne perdra rien électoralement s’il ne l’est pas, mais pourrait marquer des points s’ils arrivent à faire des « bons coups ». Il y aura peut-être des candidats avec des casseroles chez le RN, comme chez LFI d’ailleurs, puisqu’ils ont envoyé à l’Assemblée des gens qu’ils ne connaissaient pas forcément bien et qu’ils n’imaginaient pas forcément voir gagner. Mais à part ça, il n’y pas de risques à être bien représentés. Ils vont avoir plus de temps accordé par le CSA, l’Assemblée va leur offrir une tribune assez importante et leur permettre de se crédibiliser, par la force des images. Cela va faire naître une nouvelle génération de cadres, une base locale, etc. Tout cela permet de poser des jalons pour la suite.

Chez LREM comme au RN, on a beaucoup entendu l’opposition patriotes/mondialistes. Les résultats infirment-ils ou confirment-ils ce clivage ?

C’est un peu trop tôt pour le dire, il faudra voir la composition exacte du groupe : qui siège et quelle est l’orientation de chaque député. Ce sera un enjeu majeur d’identifier les élus, comme pour le RN. Marine Le Pen n’a pas commis l’erreur de Jean Luc Mélenchon, elle va siéger, présider son groupe. Le fait qu’il y ait 90 députés signifie clairement que le cœur du pouvoir au RN ne sera pas dans le parti mais dans le groupe politique. Il y aura sans doute des querelles Alliot Bardella pour la tête du parti, mais le pouvoir n’est plus là. Le pouvoir est entre les mains de la future cheffe de groupe. Elle garde la main et cela devrait apaiser les tensions internes, au moins temporairement.

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