La leçon belge : 10 ans de dépénalisation de l’euthanasie et bien des dérives... <!-- --> | Atlantico.fr
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La loi pour la dépénalisation de l'euthanasie, adoptée par le gouvernement belge en mai 2002, fête son dixième anniversaire cette année.
La loi pour la dépénalisation de l'euthanasie, adoptée par le gouvernement belge en mai 2002, fête son dixième anniversaire cette année.
©Reuters

Triste bilan

Le chef de l'État français a relancé le débat sur l'euthanasie, annonçant mardi une réforme sur les soins palliatifs « dans les prochains mois », ainsi qu'une mission sur la fin de vie. A l'heure où la Belgique fête cette année le 10eme anniversaire de la dépénalisation de l'euthanasie, le bilan apparaît comme entaché de dérives... que certains médecins n'hésitent pas à dénoncer.

Carine Brochier

Carine Brochier

Carine Brochier est économiste de formation, mais s'est très vite positionnée sur les questions de bioéthique. Depuis dix ans, elle travaille au sein de l'Institut Européen de Bioéthique basé à Bruxelles. Elle anime débats, conférences et est l'auteur de nombreux rapports, dont Euthanasie : 10 ans d'application de la loi en Belgique.

Elle anime également quelques émissions dans les médias belges.

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Atlantico : La loi pour la dépénalisation de l'euthanasie, adoptée par le gouvernement belge en mai 2002, fête son dixième anniversaire cette année. Quelles motivations avaient conduit au vote de cette loi ?

Carine Brochier : Il s’agissait d’une dépénalisation, c’est-à-dire que - dans un certain cadre et certaines conditions que l’on voulait strictes - le législateur tolère que l’euthanasie soit pratiquée à la demande d’un patient conscient de ce qu’il veut. C’est le médecin qui a la charge d’examiner le dossier et dispose de la liberté d’invoquer son objection de conscience. Si ce dernier accepte de pratiquer l’euthanasie, il ne sera pas puni pénalement.

Cette loi a été votée car il y avait une volonté de faire prendre en compte l’ultime liberté de l’humain à disposer de sa mort, s’il estime qu’il n’est plus digne de vivre.

Dans la tribune co-signée par de nombreux médecins belges sur le site internet d’information Lalibre.be et dans le rapport auquel vous avez participé pour l’institut européen de bioéthique, vous pointez du doigt l’incapacité de la commission Euthanasie à gérer les demandes. Notamment en raison d’un décalage entre celles qui étaient déclarées et celles qui étaient effectivement pratiquées. Comment expliquer ce phénomène ?

Il y a deux raisons à prendre en compte. D’abord, on observe que la clandestinité persiste. En 2002, les militants de la dépénalisation de l’euthanasie avaient avancé comme argument massue que nombre d’euthanasies se pratiquaient dans la clandestinité, insistant de fait sur l'urgence qu'il y avait à encadrer ce phénomène.

Aujourd’hui, on mesure que ces revendications n'ont pas eu l'effet escompté, sachant que l'euthanasie clandestine s'est maintenue, voire a augmenté. En effet, les médecins qui les pratiquent s’autorisent quelques irrégularités, puisque que grâce à la loi, ils ne seront pas inquiétés. En clair, ils sont devenus plus laxistes.

Cela indique à quel point un travail sur les mentalités est urgent : si le patient ne s'inscrit pas tout à fait dans le cadre légal, certains médecins s'aventurent à la pratiquer malgré tout. Plus inquiétant encore, ces derniers délèguent parfois l’acte d’euthanasie aux infirmières. Dans la loi, il est pourtant clairement établi que seul le médecin a le droit d'injecter le cocktail létal.

La commission Euthanasie exerce son contrôle uniquement a posteriori. Les documents qu’elle reçoit sont constitués de quatre feuillets simples, remplis en quelques minutes par le médecin une fois le patient décédé. Une fois qu’elle les a reçus, la commission examine les papiers afin d’estimer si oui ou non toutes les conditions étaient réunies. En cas d’anomalie, elle produit des rapports confidentiels. Mais en règle générale, une confiance aveugle est accordée aux médecins.

D’une certaine façon, on s’aperçoit dix ans après qu’il y a un vice de forme dans les prérogatives accordées à cette commission Euthanasie ?

En effet. Mais plus simplement, le problème réside dans le fait que l’on autorise le médecin à pratiquer un acte de mort. Un interdit fondamental de notre société est tombé. Pour ce qui est de la commission, déterminer si elle devrait intervenir avant ou après l’acte d’euthanasie est un faux débat. En effet, si elle intervenait avant cela donnerait une dimension juridique à l'acte. Le patient ou sa famille devrait se présenter devant les tribunaux afin de savoir s’ils peuvent ou pas se faire euthanasier. Ce n’est pas logique.

D’autre part, la commission n’a pas les moyens d’exercer un contrôle efficace, car de nombreuses euthanasies ne sont pas déclarées. Tout simplement parce que le médecin estime que le patient ne s'inscrit pas dans le cadre légal... mais qu'une petite irrégularité pourra rester dans l’ombre. D’autre part, le médecin, à trois ou quatre jours de la mort, peut décider d’augmenter progressivement les doses de morphine. La mort interviendra de manière - en apparence en tout cas - presque naturelle.

Enfin, dix membres de la commission sur seize sont en faveur de l’euthanasie et proches de l’Association du Droit pour Mourir dans la Dignité (ADMD). Certains médecins membres forment même d’autres jeunes médecins à cette pratique. Les nominations des membres sont donc politiques et la commission est noyautée de façon à s’exprimer en faveur de l’euthanasie. C’est un facteur qui n’aide pas à veiller au bon respect de la loi.

Dans quelle mesure les demandes ont-elles évolué ?

C’est un fait, l’euthanasie se pratique de plus en plus. Nous avons eu les témoignages d’infirmières, bénévoles dans les hôpitaux, qui nous ont détaillé le tabou qui règne dans les équipes soignantes concernant l’euthanasie non déclarée.

L’illégalité est une chose courante et acceptée. Les chiffres ne sont évidemment pas disponibles, mais les témoignages que l’on parvient à arracher sont éloquents.

Dans votre rapport vous indiquez aussi les effets pervers de l’euthanasie sur la solidarité de la société, les valeurs d’écoute et d’entente. Une banalisation de la mort s’est-elle installée suite à cette loi ? Les mentalités ont-elles changé ?

Sans aucun doute. Dans les sociétés actuelles, tout le monde a peur de la mort et de la souffrance, on propose donc l’euthanasie comme ultime remède. Il faut s’élever contre ces changements. Il y a moyen, et c’est notre responsabilité collective, de prendre soin d’une personne malade et en fin de vie en la soulageant de la souffrance. La solution d’avenir réside dans les soins palliatifs qui travaillent à l’amélioration de la gestion de la douleur.

Aujourd’hui en Belgique, les soins palliatifs se résument à un médecin et des infirmières qui cachent tous une seringue dans leur dos. Ils demandent au contraire une créativité et une inventivité qui permettent de s’adapter au cas de chaque patient.

Nous avons émis une carte de vigilance, il y a trois ans de cela. Nous ne comptons désormais plus depuis six mois le nombre d’appels que nous recevons de la part de patients qui vivent dans la crainte de se faire euthanasier. Et ils veulent avoir cette carte de vigilance. Nous sommes obligés de leur expliquer qu’elle ne garantira pas leur protection, mais leur permettra une meilleure communication avec le médecin.

La loi pour la dépénalisation de l’euthanasie en Belgique n’a pas fini d’évoluer, puisqu’un volet concernant les personnes atteintes de démence et les mineurs devrait y être ajouté. Peut-on considérer ces deux évolutions comme des dérives ?

Ce sont clairement des dérives. Certains médecins veulent autoriser une personne qui découvrirait qu’elle est atteinte d’Alzheimer à signer une déclaration anticipée qui autoriserait le médecin à l’euthanasier une fois qu’elle serait tout à fait démente. Or dans les cas de démence on ne souffre pas physiquement, ensuite, la loi originelle insistait sur le fait que la décision d’euthanasie se prenait au regard d’une situation présente et en aucun cas future.

En effet, on ne peut pas décider maintenant d'une mort qui interviendra dans dix ans, tout simplement parce que même malade, on aura changé. Même au pire moment de la maladie d’Alzheimer, il est prouvé que le patient a des moments de lucidité durant lesquels il ne comprendra pas la volonté des médecins de l’euthanasier.

Lors des travaux préparatoires de loi, il semblait pourtant clair pour tout le monde que cette décision devait être complètement consciente. Dix ans après, ils tentent de nous expliquer qu’il est légitime que les personnes démentes aient recours à l’euthanasie, que les nouveaux nés handicapés à la naissance peuvent être euthanasiés, ainsi que les jeunes mineurs non émancipés. Dans les deux derniers cas, il revient aux parents de faire les demandes. Il n’a jamais été question que l’euthanasie soit demandée par des tiers.

Désormais de nombreux médecins belges s’élèvent contre l’euthanasie. Cette pratique est-elle devenue moralement trop lourde ?

Il est indéniable que le lien entre le médecin et le patient s’est considérablement détrioré en Belgique. Le médecin est là pour soigner, guérir et soulager, pas pour tuer ! En Belgique, certains médecins ont admis cet acte comme complètement normal.

Il est urgent d’informer les patients sans toutefois les inciter. On a brandi le fait que l’euthanasie soit l’ultime liberté du patient, mais on aperçoit de plus en plus les limites d’une telle rhétorique. Car pour exercer sa liberté, le patient a besoin d’une autre personne. D’une certaine façon, il prend en otage la liberté d’un tiers. Ensuite, il met sa propre famille en difficulté, car beaucoup d’entre elles sont mal à l’aise avec ce discours.

L’euthanasie est en réalité un échec de la médecine, qui avoue à demi-mot son incapacité à soulager la souffrance.

Les médecins qui ont signé la tribune sont tous très proches de mouvements catholiques. Cette enquête est-elle à prendre uniquement du côté de la défense de la vie telle qu’on la conçoit dans la religion ?

Nous avons des médecins en coulisses, dans des hôpitaux d’État, qui n’osent pas signer en raison de la pression qui pèse sur eux. Certains de nos contacts sont des libres penseurs, non croyants et s’élèvent contre l’euthanasie, bien difficilement d’ailleurs.

Le combat idéologique est bien sûr évident. Cependant, certains médecins athées partagent cette opinion, mais n’osent pas se dissocier de leurs frères francs-maçons. Il faut aller au-delà de l’image de l’Université Catholique de Louvain qui ne réunit d’ailleurs pas uniquement des professeurs catholiques.

Propos recueillis par Priscilla Romain

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