Le vignoble français va t-il résister à l'assaut des vins américains et chinois ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Les vins chinois et américains sont réalisés à partir de cépages d'origine française, aujourd'hui dits "cépages internationaux".
Les vins chinois et américains sont réalisés à partir de cépages d'origine française, aujourd'hui dits "cépages internationaux".
©Reuters

Tchin-Tchin

Si les marchés chinois et américains du vin connaissent une forte croissance, les vins français détiendront toujours le prestige de l'histoire. Mais sauront-ils en tirer profit ?

Fabrizio Bucella

Fabrizio Bucella chronique la science et le vin. Docteur en physique et professeur des universités à l'université libre de Bruxelles, il tient une chronique pour Le Point "Le prof en liberté". Chaque semaine, on le retrouve dans le poste de radio et télévision belge de service public (RTBF). Sur les réseaux sociaux, il publie quotidiennement une vidéo ludique sur le vin et la science. Ses comptes sont suivis par plus de 150 000 abonnés.

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Souvent on me demande de décrire ce que les vins français ont de de si particulier. Pourquoi l’inconscient collectif, les place-t-il au sommet de la hiérarchie vinicole ? Etant Italien, vivant à Bruxelles, et ayant réalisé ma qualification de sommelier à l’Associazione Italiana Sommelier, je suis moins suspect de parti pris. 

La réponse est sans appel. Les vins français ont pour eux l’histoire. Et on n’achète pas l’histoire. Robert de Molesme a fondé Cîteaux. Ses moines ont construit le Clos Vougeot, le plus grand cru (en superficie) de la Côte de Nuit en Bourgogne. Au XIIIème siècle ce sont également des moines qui ont créé le vignoble du futur Château Carbonnieux, cru des plus anciens et réputés de la région des Graves dans le Bordelais.

Il est cependant une autre raison, peut-être plus fondamentale, qui vaut la peine d’être étudiée. Le vin provient de la vigne et surtout de ses raisins. Les spécialistes parlent des cépages pour indiquer le type de raisin. On sait qu’un vin réalisé à partir du cépage merlot n’a pas le même goût qu’un autre, réalisé à partir du cépage cabernet sauvignon. Aujourd’hui, lorsque l’on parle des cépages les plus connus, on pense en réalité à ceux qui ont fait le bonheur et la gloire du vignoble français. Les déjà cités cabernet sauvignon et merlot pour les rouges de Bordeaux. Le sauvignon et le sémillon dans les liquoreux de Sauternes. Le pinot noir et le chardonnay pour les grands rouges et blancs de Bourgogne.

"Mais quoi", me dira-t-on, cela signifie-t-il que les autres cépages (ceux du reste du monde) produisent des vins qui sont impropres à la consommation ? La réponse est sans discussion : oui. Seuls les vins produits à partir de la variété européenne de vigne vitis vinifera sont des vins “buvables”. Les autres, qu’ils soient produits à partir de variétés de vignes américaines ou asiatiques, ne donnent que de fort mauvaises décoctions de raisins fermentés. En résumé, il était logique et nécessaire que les cépages français partent à la conquête du nouveau monde. Tout l’inverse de la contingence.

Le terme du vocabulaire qui désigne ces cépages nous le rappelle également. Les cépages que nous avons cités ne sont plus appelés “cépages français” mais “cépages internationaux”, montrant par là qu’ils ont acquis un statut qui transcende leur origine géographique.Ils ont acquis le niveau de “méta-cépage”. Ils en sont l’archétype. Aussi, quand dans les années 1950, le vignoble californien s’est développé à la suite de Mike Grgich notamment, ce sont ces cépages, dits à l’époque "français", qui ont été plantés. A l’inverse, en plantant des cépages américains, ils n'auraient pu qu'obtenir du mauvais vin. Certains appellent ces mauvais vins, les foxy wines, démontrant leur inaptitude à la consommation, à moins que vous n’appréciez le jus de renard pressé !

Les américains ne se sont embarrassés d’aucune contrainte historique, leur absence d’histoire viti-vinicole leur permettait d’aborder le milieu du vin en toute liberté, sans subir le poids des traditions. Faisant des progrès énormes en œnologie et dans l’hygiène de leurs cuveries, faisant fi de la notion de terroir, ils réussirent ainsi à créer de splendides vins rouges à base de cabernet et merlot et de splendides blancs à base de chardonnay.

Lors du jugement de Paris en 1976, personne ne discutait de la suprématie des vins français. Tout le monde “savait” que les meilleurs rouges étaient produits à Bordeaux (la “preuve”, ils avaient été classés plus de cent ans auparavant) et les meilleurs blancs en Bourgogne. Les vins américains ont gagné la compétition dans les deux couleurs. Vae Victis ? (Gare aux vaincus ?) Encore une fois non. Les “meilleurs” vins rouges considérés sont toujours ceux de Bordeaux et les “meilleurs” blancs toujours ceux de Bourgogne. On n’achète pas l’histoire. Deux ans plus tard, ce fut la consécration pour les Américains lorsqu’un Premier Cru Classé du Médoc,  le Château Mouton-Rostchild, s’associa avec un des pionniers de la Napa Valley, Robert Mondavi, pour créer de toute pièce un vin californien de luxe qui allait se vendre plusieurs centaines d’euros la bouteille, le célèbre Opus One. Privée de sa caution française, cette aventure extraordinaire aurait-elle eu une chance ?

La même histoire est celle qui se joue en ce moment en Chine. Ceux qui veulent fabriquer sérieusement du vin ont misé sur les cépages français. Le marché chinois du vin a connu une croissance de 240 % ces cinq dernières années ! C’est également pour protéger sa viticulture naissante que le pouvoir central chinois annonce des mesures protectionnistes contre l’importation de vins étrangers (comprendre français). Les cépages sont admis à la douane, pas les vins. On peut parier que les vins chinois atteindront le niveau des vins américains. Cela prendra dix, vingt ou trente ans, mais cela se fera.

Les vins français auront-ils réussi à préserver et à développer la rente de leur situation ? Resteront-ils les vins “originaux” que tout le monde voudra un jour découvrir ? Auront-ils gardé le primat du story telling ? Cette aventure passionnante reste à écrire.

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