Le véritable projet de Vladimir Poutine pour l'Ukraine<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Défense
Michel Fize publie « La Russie survivra-t-elle en 2034 ? : suivie de Réflexions sur la guerre ».
Michel Fize publie « La Russie survivra-t-elle en 2034 ? : suivie de Réflexions sur la guerre ».
©Mikhail Klimentyev / Sputnik / AFP

Bonnes feuilles

Michel Fize publie « La Russie survivra-t-elle en 2034 ? : suivie de Réflexions sur la guerre ». Le 24 février 2022, Vladimir Poutine déclenchait une opération spéciale militaire contre son voisin ukrainien. Le pouvoir de Vladimir Poutine vacille mais va-t-il rompre ? Au-delà de ce conflit, c'est tout le problème de la guerre dans nos sociétés qui est posé. Comment l'extraire de l'esprit des hommes ? Extrait 2/2.

Michel Fize

Michel Fize

Michel Fize est un sociologue, ancien chercheur au CNRS, écrivain, ancien conseiller régional d'Ile de France, ardent défenseur de la cause animale.

Il est l'auteur d'une quarantaine d'ouvrages dont La Démocratie familiale (Presses de la Renaissance, 1990), Le Livre noir de la jeunesse (Presses de la Renaissance, 2007), L'Individualisme démocratique (L'Oeuvre, 2010), Jeunesses à l'abandon (Mimésis, 2016), La Crise morale de la France et des Français (Mimésis, 2017). Son dernier livre : De l'abîme à l'espoir (Mimésis, 2021)

Voir la bio »

Pourquoi l’Ukraine ?

L’Ukraine, qui jouxte la Pologne et la Roumanie à l’Ouest et la Russie à l’Est, est avec 576 604 km2, un peu plus grande que la France. Elle comptait, au début du conflit, 43 millions d’habitants majoritairement orthodoxes, parlant l’ukrainien et le russe.

L’Ukraine est un vieux pays. La principauté de Kiev, comme on la désigne au tout début, apparaît au milieu du IXème siècle, grâce au commerce entre Grecs et Normands. Autrement nommée « Rus », cette principauté se convertit au christianisme. Mais, en proie à de grandes divisions, la « Rus » s’affaiblit au début du XIIème siècle avant d’être envahie par les Mongols qui vont régner sur le pays pendant deux-cent-cinquante ans. Au XIIIème et XIVème siècle, la « Rus » est occupée par les Lituaniens qui s’unissent ensuite aux Polonais. Au XVème, la principauté de Moscou affirme sa puissance en procédant à l’unification progressive, à son profit, des provinces centrales. Ses conquêtes se nomment la république de Novogoro, le duché de Tver, la Crimée jusqu’à Kazan sur la Volga. Ivan III se considère comme « le seigneur de toutes les Russies ». La principauté moscovite a le soutien des Khans mongols. Et puis elle entre en conflit avec les slaves de l’Ouest et les Lituaniens. Méfiante envers l’Eglise catholique, la Moscovie choisit l’orthodoxie. Le prince moscovite, selon l’appellation byzantine et mongole, prend alors le titre de « tsar » [mot qui n’a donc rien à voir avec le César romain)], avec le statut de « propriétaire » des terres russes. Au XVIIème siècle, en conflit avec la Pologne, l’insurgé ukrainien Chmielnicki se rapproche de la Russie. Le tsar Alexis Mikaïlovitch consent au rattachement de l’Ukraine à son pays en 1654 : c’est l’accord de Perejaslaw. Conséquence : une guerre interminable entre la Russie et la Pologne.

À Lire Aussi

La barbarie russe, une barbarie parmi beaucoup d’autres

L’autocratie se développe. L’unité russe se fait évidemment au détriment des autonomies locales, des privilèges des villes et des libertés des sujets. Puis la Sibérie est prise à son tour ainsi que la majeure partie de la Biélorussie et de la Lituanie. En 1656, inquiète de l’expansion de la Suède, la Russie signe une trêve avec la Pologne ; mais trois ans plus tard, les hostilités reprennent. Au XVIIIème siècle, l’Empire russe s’agrandit encore de dix-sept provinces et régions, et compte alors 18 millions d’habitants. La Livonie et l’Estonie sont conquises à leur tour, puis le Caucase et enfin l’Asie centrale entre 1865 et 1885. L’appétit de la Russie paraît sans limites et Nicolas II rêve même d’annexer la Manchourie, la Corée, le Tibet et la Perse.

L’Empire russe n’a cessé d’être confronté au problème des nationalités qui se réveillent à nouveau lors de la Première Guerre mondiale et s’affirment même durant la révolution d’Octobre car les anciens peuples dominés de l’empire tsariste n’entendent pas être soumis à nouveau par le nouveau pouvoir rouge. Après avoir reconnu les peuples alentour, la Russie soviétique se trouve gênée très vite par l’existence des nouvelles Républiques. Elle a besoin du blé et du fer de l’Ukraine, du pétrole du Caucase, du coton de l’Asie centrale. Alors elle conclut avec chacune des nouvelles Républiques indépendantes des accords bilatéraux, sans oublier de recourir à la force quelquefois. Ainsi fait -elle, en 1921, avec la Géorgie restée menchevik. Puis la création d’une Fédération à dominante russe conforte l’emprise de Moscou sur toutes les Républiques. L’Ukraine et la Géorgie ne voient pas d’un bon œil cette évolution – Lénine non plus qui, malade, se voit débordé par le chauvinisme de Staline. A l’égalité de toutes les Républiques que Lénine prône, Staline en effet répond par l’affirmation du « national-chauvinisme russe ». La Constitution soviétique de 1924 reconnaît pourtant l’égalité juridique des Républiques et la légitime promotion de toutes les cultures et langues nationales. Chaque groupe national, dit Moscou, a droit à sa culture, donc à sa langue, mais avant tout dans le but premier de promouvoir les idées socialistes. Staline, par la Constitution de 1936, revient sur toutes ces avancées. La Fédération sera une Fédération d’inégaux. Le temps de la « russification culturelle » est revenu. La Russie s’affirme dès lors comme l’héritière directe de l’Empire tsariste. C’est ainsi qu’en 1945 Staline célèbrera la victoire, non du peuple soviétique mais du peuple russe et réaffirmera la prééminence de la nation russe sur toutes les autres nations d’URSS, s’attaquant à nouveau aux cultures nationales. Vladimir Poutine est bel et bien aujourd’hui dans cette filiation de pensée.

Le véritable projet de Poutine pour l’Ukraine

« Il n’y a point de plus sûre manière pour jouir d’une Province [un Etat] que de la mettre en ruine », écrivait déjà Machiavel, dans son célèbre Prince en 1513. Vladimir Poutine a -t-il lu Machiavel ? Probablement pas. Une chose est certaine, il en applique, à la lettre, les recommandations. Ainsi, tout atteste de plus en plus que le leader russe cherche moins à conquérir l’Ukraine qu’à la détruire. A ses yeux, faut-il le rappeler, l’Ukraine est un « non-Etat », un « non-peuple » : Russie et Ukraine ne forment qu’un seul et même peuple (déclaration de 2014). Il est vrai que ces deux peuples, car il y en a tout de même deux!, sont consanguins. Pas une famille russe qui ne compte parmi ses membres un Ukrainien ni de famille ukrainienne où il n’y ait un Russe.

Le contentieux entre ces deux pays est ancien. On se rappelle la faible ardeur des Ukrainiens à lutter contre l’avancée des troupes allemandes en URSS en 1941, ce qui fera dire à Staline, en mai 1945, lui qui avait déjà puni beaucoup de peuples indisciplinés : « Si j’avais voulu punir réellement, j’aurais dû déporter tout le peuple ukrainien. » Mais ce que la Russie n’a en fait jamais digéré, c’est l’indépendance de l’Ukraine, une première fois après l’installation du pouvoir bolchevique en 1917, une seconde fois après la chute de l’URSS en 1991. Après l’effacement de l’Empire soviétique, on le sait, se mettait en place la CEI (Communauté des Etats indépendants), simple association d’Etats acceptant de se coordonner sur les problèmes les plus importants, nucléaires en particulier. En échange notamment de la restitution de son important arsenal nucléaire (le troisième au monde à l’époque), la Russie accordait une importante aide financière à son voisin et la garantie de respecter son indépendance et ses frontières. Mais au sein de la CEI, l’Ukraine allait manifester très vite sa volonté totale d’indépendance. La Russie en fut fort mécontente, inquiète à l’idée de perdre à la fois la plus grande nation slave, une puissance économique et stratégique. Car l’Ukraine, depuis toujours, nourrit la Russie, sans compter qu’elle dispose de la flotte sur la mer Noire, une flotte stratégique à cet endroit.

Dès le premier mandat de Boris Eltsine, un conflit surgit avec l’Ukraine sur la question des frontières – à propos de Sébastopol, de la Crimée et du sort de la flotte de la mer Noire, mais la guerre est évitée de justesse grâce probablement au traité d’amitié et de coopération signé avec la Russie deux ans auparavant. Un nouveau conflit surgit quelques années plus tard au moment de la création de l’Union économique eurasienne (UEE) voulue par la Russie. Vladimir Poutine estime alors que l’Ukraine doit refuser un accord d’association et de libre-échange avec l’Union européenne (UE) et entrer dans l’UEE (c’est-à-dire dans le giron russe !). Mais celle-ci refuse.

D’abord, les relations s’enveniment après la « Révolution orange » de 2004 qui porte au pouvoir des « pro-européens » avant de s’améliorer avec l’arrivée au pouvoir de Viktor Ianoukovitch, le favori de Poutine à la présidence ukrainienne. Le nouveau président abandonne à la Russie des pans entiers de la souveraineté de son pays. Jusqu’en février 2014, Moscou développe son influence, plutôt ses intrusions, dans l’armée, les services secrets, la police et l’économie de l’Ukraine. Les négociations visant une association avec l’UE sont stoppées. Il s’ensuit de grandes manifestations de protestation. Le 1er décembre 2013, entre 200 000 et 500 000 Ukrainiens se rassemblent sur le Maïdan où sont dressées aussitôt tentes et barricades. La répression suit, encouragée par Moscou, et, en janvier 2014, le Parlement ukrainien adopte des lois très sévères contre les opposants. En février, à l’instigation des ministres de l’UE, le président Ianoukovitch conclut un accord avec les chefs de l’opposition, prévoyant des élections anticipées, une révision de la Constitution (comportant une réduction des pouvoirs présidentiels au profit du Parlement) et la formation d’un gouvernement d’union nationale. Peu de temps après, le président ukrainien prend la fuite (pour se réfugier à Moscou). Le Parlement le destitue dans la foulée, fixant la nouvelle élection présidentielle au 25 mai. Puis, fin février, les Russes s’emparent de Simféropol, capitale de la Crimée. Kiev dénonce aussitôt une « invasion armée et d’occupation ». L’ONU condamne à son tour l’invasion, que le Parlement de Crimée va pourtant valider avant d’organiser un pseudo-référendum à l’issue duquel 96 % des votants se déclarent en faveur du rattachement à la Russie.

Mais revenons un peu en arrière. C’est en 1954 que la Crimée, alors russe (les deux tiers des habitants en parlent toujours la langue aujourd’hui), était intégrée à l’Ukraine. Celle-ci allait commettre une première erreur en décrétant l’ukrainien unique langue d’Etat. Les habitants, donc en majorité russophones, estimèrent cette mesure discriminatoire. Un mouvement sécessionniste se mettait alors en place conduisant l’Ukraine à reconnaître l’autonomie de la péninsule - deuxième erreur sans doute qui n’eut pour effet que de renforcer les velléités d’indépendance. En 1994, Iouri Meshkov, principal leader des forces politiques prorusses, demandait le rattachement de son pays à la Russie. Pour cette dernière, la Crimée était capitale, lui donnant accès au mers chaudes, et donc lui permettant de se constituer en puissance navale. La Crimée était aussi un foyer important de la culture russe. Les plus grands auteurs, de Pouchkine à Tchékhov en passant par Tolstoï, avaient écrit sur la péninsule, lieu de surcroît très prisée comme villégiature par les tsars et les hauts-dignitaires soviétiques.

A la fin des années 1990, les tensions Russie-Ukraine-Crimée s’étaient apaisées. En mai 1997, Eltsine signait avec ses homologues ukrainiens trois grands accords sur le partage de la flotte de la mer Noire et la location pour vingt ans du port militaire de Sébastopol à la Russie ainsi qu’un traité d’amitié, de coopération et de partenariat. Accords et traité qui seraient ratifiés par la Douma russe eux ans plus tard.

*

Depuis longtemps, Alexandre Douguine (qui vient de perdre sa fille dans un attentat), l’un des obscurs conseillers de Poutine, conseillait, par conférences interposées ou déclarations publiques, au chef du Kremlin, plus ou moins explicitement, d’annexer ce pays d‘Ukraine. « Ces ignobles canailles [les dirigeants de Kiev], disait-il, n’ont aucun droit de constituer un Etat ukrainien, quel qu’il soit. Tant que ces cloportes de Kiev seront au pouvoir, aucun russe ne pourra trouver de repos. Il faut tuer, tuer, tuer. Et rien d’autre. » [Que fait d‘autre aujourd’hui M. Poutine sinon d‘exécuter ce plan, en tuant de tous les côtés qu’il peut à la fois].

Détruire. Il faut donc liquider tout ce qui assure l’existence du voisin : les écoles, les hôpitaux, les lieux de culture (théâtres), les bâtiments publics, les centres commerciaux. Faire « table-rase » est pour M. Poutine une manière de purifier le territoire qui est de surcroît à « dénazifier » d‘urgence, selon ses propres termes. La purification passe principalement par l’élimination physique des populations à coups de bombardements massifs (qui sont, depuis le premier jour de la guerre, tout sauf accidentels). Il s’agit (et ce n’est sans doute pas qu’une arrière-pensée) de « génocider » le peuple ukrainien. La purification passe ensuite par l’exfiltration (sous forme d’un départ plus ou moins volontaire des populations vers les pays voisins [ainsi des millions de personnes ont-elles déjà fui les zones de combats pour devenir des « réfugiés »]. Il faut dire que, paradoxalement, cette expatriation massive sert les intérêts du chef du Kremlin qui songe probablement au « grand remplacement » de la population ukrainienne par une population plus soumise à sa cause [Staline, que Poutine admire tant, aurait sans doute parlé de « grandes purges »].

La dernière étape du plan de M. Poutine sera donc bien, n’en doutons pas, une fois tout détruit (hommes et bâtiments) et l’ancienne population massivement déplacée, de faire la « recolonisation » de l’Ukraine, sous la forme de la « russification » habituelle : langue, culture…, qui fera de l’ancien Etat une sorte de nouvelle province de la Russie.

Soyons clairs sur un dernier point : pour éviter que le retour des réfugiés ukrainiens ne devienne de plus en plus improbable, il faut que l’Occident empêche, à tout prix, la destruction totale du pays et que ne se poursuive l’hémorragie de populations – ce qui pour l’Ukraine implique une meilleure protection des villes et d‘assurer la subsistance de la population. Car s’il ne restait plus, dans les mois à venir, que quelques centaines de milliers d’ukrainiens sur place, voire moins, le remplacement évoqué plus tôt par les Russes ou les russophones serait grandement facilité.

Redisons-le : M. Poutine veut détruire l’Ukraine, rien d’autre. Et il le fait de façon machiavélique, en faisant preuve de cruauté sur le champ de bataille (encore des centaines de cadavres – au moins 400 - découverts dans un charnier à Izioum, ville reconquise par les forces ukrainiennes). Sans la cruauté, écrivait déjà Machiavel, « une armée n’est jamais unie ni prête à aucune opération ». Et le Florentin de conseiller encore : « En prenant un pays, celui qui l’occupe doit songer à toutes les cruautés qu’il lui est besoin de faire et de les pratiquer d’un coup pour n’y retourner point tous les jours et pouvoir, ne les renouvelant pas, rassurer les hommes ou les gagner par des bienfaits ».

Bien entendu, un agresseur qu’il s’appelle Lyndon Johnson ou Vladimir Poutine, nie toujours catégoriquement tout fait criminel. En 1966, le président américain avait même eu cette phrase extraordinaire : « Nos bombes ne sont dirigées que contre le fer et le béton ».

C’est donc toujours partout, tout le temps, pour un pays en guerre, le même mépris du droit, le même culte de la force, le même goût de l’arbitraire.

Extrait du livre de Michel Fize, « La Russie survivra-t-elle en 2034 ? : suivie de Réflexions sur la guerre »

Lien vers la boutique : cliquez ICI

Le sujet vous intéresse ?

Mots-Clés

Thématiques

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !