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Le souffle des printemps arabes 
s’est-il éteint ?
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Quatre saisons

Coup d’état feutré en Égypte, manifestation et couvre-feu en Tunisie, lutte interminable contre Al-Qaïda au Yémen... Les pays qui composent le monde arabe ont du mal à trouver un second souffle aux mouvements de contestation. Un an et demi après le début de la mouvance libertaire qui a frappé la Tunisie, une contre-révolution serait en train de naître sur les cendres encore brûlantes du Printemps arabe.

Yves Gonzalez-Quijano

Yves Gonzalez-Quijano

 Yves Gonzalez-Quijano est Chercheur l'Institut français du Proche-Orient. Il  tient un carnet de recherche en ligne, Culture et politique arabes. Son prochain ouvrage, Arabités numériques. Le printemps du Web arabe est annoncé aux éditions Sindbad/Actes Sud pour l'automne prochain.

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Les nouvelles qui nous arrivent du monde arabe semblent toutes indiquer la fin du « printemps » avant même qu'il ait pu donner ses fruits... Quel que soit le résultat des élections, les militaires égyptiens sont en passe de réussir leur coup d'état feutré ; en Libye on séquestre les membres de la Cour pénale internationale ; les autorités tunisiennes ont dû imposer il y a un peu moins d'une semaine un couvre-feu qu'elles viennent tout juste de lever ; au Yémen, l'armée n'en finit pas de lutter contre Al-Qaïda ; au Bahreïn,  la libération d'un enfant de 11 ans est considéré comme un signe encourageant ; les observateurs de l'ONU suspendent leur mission en Syrie... On pourrait facilement allonger la liste, avec le sultanat d'Oman par exemple où une trentaine d'activistes, écrivains, avocats, blogueurs..., viennent d'être arrêtés... Après avoir fait naître bien des espoirs, dans le monde arabe et au-delà, les soulèvements de l'année 2011 suscitent surtout désormais la crainte d'un long hiver politique.

Comme souvent, ce sont pourtant les évidences les plus criantes qui échappent au regard et l'observation des événements – incontestablement assez déprimants – qui se succèdent au jour le jour fait oublier la lumière qui éclaire toute la scène. Précisément, c'est une scène nouvelle qui est dressée, ou plus exactement qui resurgit, celle du monde arabe, en tant que chambre d'écho commune à des protestations qui parcourent des sociétés en apparence très différentes. Car tout le monde s'accorde pour qualifier ce printemps d'« arabe ». D'ailleurs, dès la fuite de Ben Ali  au 14 janvier 2011 et donc plus de dix jours avant la fameuse « journée de la Révolte » sur la place Tahrir au Caire, on a commencé à s'interroger sur les prochaine étapes de la « contagion » (au prix d'ailleurs d'une détestable expression qui assimilait la soif de justice et de liberté des peuples à une épidémie dévastant la région). De fait, la révolte grondait déjà en Algérie, au Liban, en Oman, en Arabie saoudite, autant de pays où les autorités sont parvenues à désamorcer des protestations qui n'en ont pas moins éclaté ailleurs.

En dépit de l'abîme qui s'étend entre des pays géographiquement très proches, à l'image du Yémen dont le revenu par habitant est dix fois inférieur à celui de l'Arabie saoudite voisine, et malgré les quelque 6 500 km qui séparent Mascate, la capitale omanaise, de Casablanca sur les bords de l'Atlantique, les soulèvements du « printemps » ont démontré à l'envi qu'ils étaient bien – c'est une des rares certitudes –  arabes. En d'autres termes pas « islamiques » et encore moins « islamistes », mais davantage liés à la perception d'un espace politique particulier qu'on appelle communément « le monde arabe ». D'ailleurs, dans la république islamique d'Iran, dont la frontière maritime occidentale n'est qu'à quelque cent kilomètres du royaume de Bahreïn, un des principaux foyers de la contestation actuelle, on n'a pas vu se réveiller la « révolution verte » de l'été 2009, elle aussi pourtant nourrie des nouvelles technologies d'internet, Twitter en l'occurrence...

On a fini par l'oublier, mais « le monde arabe » est une invention récente. Ce n'est qu'à la toute fin du XIXème siècle que l'expression a fait son apparition sous la plume des premiers théoriciens de l'arabisme. Pour que se développe ce nouvel imaginaire national, il aura fallu le concours d'un ensemble de facteurs à la faveur desquels s'est progressivement élaborée la modernité arabe : l'expansion coloniale européenne et la première mondialisation économique, avec leurs conséquences politiques et sociétales, et notamment la première révolution des communications (celle des chemins de fer et des réseaux télégraphiques) redoublée, dans cette région, par cette inimaginable révolution culturelle que fut l'introduction de l'imprimé dans des sociétés baignant encore dans la culture du manuscrit et de la transmission orale. C'est bien sous l'impulsion des pionniers de l'imprimé, dans les journaux et les revues de l'époque, que l'idée d'une nation arabe a vu le jour, avec le succès que l'on sait.

De nos jours, si le printemps 2011 a imposé son caractère arabe avec une telle évidence, c'est parce qu'il est porté par une autre révolution de l'information, celle des outils numériques qui ont fait déferler sur la région les vagues successives de leurs inventions techniques : les premières transmissions par satellite qui ont permis le lancement de grands quotidiens trans-régionaux dans les années et celui des chaînes satellitaires durant la décennie suivante, puis l'essor spectaculaire d'internet, et en particulier des réseaux sociaux, durant les années qui ont immédiatement précédé les soulèvements actuels. Modelée par les caractéristiques de la communication contemporaine, avec ses industries culturelles de masse mais également ses réseaux collaboratifs capables d'une diffusion instantanée à très faible coût financier, une nouvelle « sphère publique » arabe est apparue. C'est elle qui a vibré à l'unisson des images de la place Tahrir, retransmises par les grandes chaînes d'information régionales, et qui les a commentées, entre « amis Facebook » (43 millions d'utilisateurs arabes désormais).

Sans le moindre doute possible, le « printemps arabe » annonce l'arrivée en politique de cette génération arabe des « natifs du numérique », porteur d'une culture et d'exigences nouvelles. Mais les victoires qu'elle a remportées dans la rue ont été trop rapides. Elles sont venues trop tôt alors qu'elle n'avait pas la maturité qui lui aurait permis de s'organiser et d'avancer ses propres propositions. Aujourd'hui, la contre-révolution l'emporte partout et la jeunesse se fait chaque jour davantage voler une révolte que détournent à leurs profit militaires et opportunistes de tous bords en jouant, une fois de plus, sur le registre bien connu du religieux. Vaille que vaille, l'ordre est rétabli, dans bien des cas au profit d'une redistribution des cartes qui laisse un peu plus de pouvoir aux courants de l'islam politique. Au regard, cependant, de la vitesse à laquelle se sont propagées les demandes de changement portées par les réseaux sociaux d'internet, on imagine mal que ce rafistolage puisse tenir bien longtemps car les nouvelles « arabités numériques » ne remettent pas seulement en cause l'ordre politique ancien et ses injustices. Ouverts à la « conversation globale » sur la Toile universelle, les « moins de 35 ans » qui totalisent à eux seuls près des deux tiers des populations arabes, sont également porteurs d'autres demandes, de liberté et d'autonomie individuelle. Elles ne pourront se satisfaire longtemps d'un retour trop criant à l'ordre ancien et encore moins d'une chape de plomb morale, fût-elle imposée au nom de l'islam.

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