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Le référendum, seul moyen de dépasser les blocages français ?
Le référendum, seul moyen de dépasser les blocages français ?
©Reuters

Aux urnes !

Nicolas Sarkozy a, lors de son interview sur le plateau du 20 heures de France 2 ce dimanche 21 septembre, estimé qu'il était "temps de réintroduire le référendum". Un outil à double-tranchant qui pourrait bien accélérer certaines réformes... mais aussi plonger la fin du quinquennat dans une paralysie.

François de Closets

François de Closets

François de Closets mène, depuis une trentaine d’années, une double carrière de journaliste et d’écrivain. Il connaît son premier succès avec Le Bonheur en plus (1974). Après le succès mémorable deToujours Plus ! (1982), François de Closets s’attaque aux sujets les plus divers, et ses essais, toujours dérangeants, recueillent de grands succès auprès du public. Son dernier livre, Le Divorce français, est publié aux éditions Fayard en 2008.. Il a écrit récemment "L'échéance : Français, vous n'avez encore rien vu" ( Fayard - 2011) avec Irène Inchauspé.

 

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Olivier Rouquan

Olivier Rouquan

Olivier Rouquan est docteur en science politique. Il est chargé de cours au Centre National de la Fonction Publique Territoriale, et à l’Institut Supérieur de Management Public et Politique.  Il a publié en 2010 Culture Territoriale chez Gualino Editeur,  Droit constitutionnel et gouvernances politiques, chez Gualino, septembre 2014, Développement durable des territoires, (Gualino) en 2016, Culture territoriale, (Gualino) 2016 et En finir avec le Président, (Editions François Bourin) en 2017.

 

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Atlantico : Nicolas Sarkozy a déclaré lors de son interview sur France 2 dimanche 21 septembre 2014 qu'il était "temps de réintroduire le référendum". Puis de poursuivre : "le référendum, c'est la clé". Pensez-vous que le référendum soit le moyen idoine pour accélérer les réformes ?

Olivier Rouquan : Oui, je pense que le référendum peut accélérer les réformes mais Nicolas Sarkozy aurait pu se l'appliquer à lui-même. Il est nécessaire de rappeler qu'il existe plusieurs catégories de référendum : tout d'abord, un référendum peut être utilisé pour modifier la constitution. On peut également y avoir recours pour des réformes législatives, il permet d'adopter des lois. On pourrait ici penser que Nicolas Sarkozy fait référence à au référendum législatif...

Le référendum a sa raison d'être et pour la comprendre, il faut se rappeler de la période gaullienne. Le référendum est à l'époque utilisé sur des grands enjeux, comme l'Algérie ou l'élection du président de la République au suffrage universel. A l'heure où l'on évoque l'affaiblissement de la fonction présidentielle, le référendum pourrait être une solution institutionnelle. Mais au-delà du raisonnement théorique, il faut que les conditions politiques soient réunies et je pense également qu'il faudrait poser des limites juridiques. Il faudrait pour cela revoir l'article 11 permettant le référendum législatif, interdire notamment les référendums sur les libertés publiques et le rendre obligatoire au moins une fois par mandat, exiger des conditions de participation pour sa validité et éventuellement le rendre responsabilisant. Car, en 2005, le non au référendum pour un traité constitutionnel européen a fait tomber le quinquennat de Jacques Chirac dans la paralysie. Donc après un échec référendaire, on peut se demander quelle est l'utilité de prolonger un mandat : quel serait aujourd'hui l'intérêt pour François Hollande de faire un référendum ? D'ailleurs, quel aurait été l'intérêt de Nicolas Sarkozy de faire un référendum après la crise de 2008 ? Car les citoyens utilisent le référendum pour exprimer un mécontentement. 

Au-delà de François Hollande, le politique, la politique, souffrent d'une telle défiance, que l'outil référendaire n'est peut-être plus utilisable, sauf à développer une nouvelle culture auprès de nos concitoyens : "aller voter sur l'enjeu". Mais cela demande un grand travail de pédagogie et je ne pense pas que les conditions soient actuellement réunies pour y parvenir. Par ailleurs, les partis d'opposition se servent également des campagnes référendaires pour critiquer le pouvoir en place. Je suis en théorie favorable à l'utilisation au moins une fois par quinquennat du référendum mais ce raisonnement est théorique et se heurte à une réalité difficile.

François de Closets : Le référendum est une arme très dangereuse à manier. Côté avantages, il donne une légitimité certaine à une réforme et permet de surmonter des oppositions catégorielles. Exemple typique : le référendum instaurant l’élection du Président de la République au suffrage universel contre, il faut bien le dire, l’avis de la classe politique issue de la IVe République. De Gaulle l’a voulu et l’a réussi.

En revanche, il s’est trompé sur le référendum de 1969 qui provoqua son départ. La différence ? Dans le premier cas, la question posée était d’une extrême simplicité ; dans le second, la réforme du Sénat n’était accessible qu’à un élève de Sciences Po. La séquence fut rejouée en 2005 avec le référendum constitutionnel. Moralité : si l’on soumet au public un texte compliqué, il va avoir naturellement tendance à se méfier. Si l’on avait posé la question : « Faut-il admettre de nouveaux Etats dans l’Union Européenne ?, » la réponse, dont je ne sais ce qu’elle eût été, aurait été plus significative. Mais, à l’inverse, la question trop simple perd toute signification.

On est tous à peu près d’accord sur les valeurs, mais le diable de la discorde se cache dans les détails, c'est-à-dire dans l’application. Tout le monde sera d’accord pour lutter contre la fraude fiscale, mais sera-t-on d’accord pour généraliser les peines de prison en la matière ? C’est pourtant un domaine où elles pourraient avoir un effet très dissuasif. Mais je ne suis pas certain que la majorité des Français approuveraient. Il me semble bon que, sur les questions simples de principe, on propose une alternative plutôt que tenter de plébisciter une valeur. Mais le référendum est loin d’être une expression démocratique simple et transparente.

La France, selon vous, est-elle bloquée ? 

François de Closets : Bloquée à triple tour à n’en pas douter ! Les Français sont entretenus dans une vision idéologique qui les coupent de la réalité. En France, on ne peut jamais se mettre d’accord sur les faits, sur le diagnostic. Nous déclarons que les faits eux-mêmes sont porteurs de valeurs positives ou négatives - ainsi de notre situation financière. Elle relève en première approche de la comptabilité : c’est elle qui dit si la situation est dégradée ou pas, soutenable ou dangereuse. Ce travail est fait par la Cour des Comptes et devrait être la base de discussion pour toute la classe politique. Pensez-vous ?

On veut faire croire que la recherche des équilibres financiers est une attitude de droite antisociale et réactionnaire. C’est évidemment idiot car il existe des sociétés libérales comme la société américaine très endettée et des sociétés sociales-démocrates de type scandinaves qui tiennent leurs finances. Donc, l’exigence comptable se situe en amont des choix politiques, elle doit s’imposer à tous. C’est à ce prix que des pays ont pu redresser leurs finances. En France, nous sommes incapables d’un tel consensus alors même que nos déséquilibres financiers mettent le pays en danger comme le constate Didier Migaud, le Président de la Cour des Comptes. Pour débloquer la France, il faudra tordre le coup à l’idéologie et revenir au pragmatisme. C’est ce qu’imposera l’urgence extrême, celle de l’échéance qui arrive.

Olivier Rouquan : Nous sommes en effet dans un pays qui n'arrive pas être réformé en dépit des bonnes intentions des acteurs qui se heurtent à une organisation de la société qui reste traditionnelle : les corporatismes, l'usure de notre système social, des syndicats qui représentent peu la réalité sociale, etc. François Hollande a d'ailleurs essayé de valoriser la négociation et la concertation sociale, mais ce sont les acteurs qui n'y arrivent pas. Un référendum pourrait-il débloquer cela ? Je ne crois pas car c'est bien la société qui est bloquée à laquelle on demande de s'exprimer. On peut donc envisager que sur certains enjeux qui suscitent de l'intérêt, le référendum fonctionne mais le débat  risque d'être biaisé en l'état actuel.


Existe-t-il un risque de dérive de l'emploi du référendum ? 

François de Closets : Le risque est évident car le référendum se prête à toutes les manipulations. Souvenez-vous de Napoléon III faisant approuver par référendum ses réformes de « l’empire libéral ». C’était habile, mais ça n’a pas empêché le régime de s’effondrer peu après. Donc le pouvoir peut être tenté de poser une question pour la seule satisfaction d’obtenir une réponse positive. C’est un plébiscite déguisé. On trouve la bonne question, celle à laquelle on ne peut répondre « Non » et c’est gagné. Plus habilement, on prend le corps électoral dans le sens du poil. Il était évident en 1962 que les Français préféreraient élire eux-mêmes le chef de l’Etat.

On peut donc multiplier les référendums démagogiques : imaginez qu’on ait organisé un référendum sur la peine de mort. Notez que le sujet s’y prête fort bien, mais on sait ce qu’eut été le résultat. Donc, il y a toujours un risque de manœuvre politicienne dans l’organisation même de la consultation, mais le peuple n’est pas de reste dans la manipulation. Le plus souvent, il transforme le référendum en plébiscite et, se souciant de la question comme d’une guigne, vote pour ou contre le chef de l’Etat. N’oubliez pas, en outre, que la multiplication de telles « votations » aboutit à des taux catastrophiques d’abstention. Au total, il me semble que la procédure référendaire doit être solidement encadrée, qu’on ne doit y recourir qu’en cas d’absolue nécessité.

Olivier Rouquan : Je vois davantage le référendum comme un moyen de susciter le débat et de légitimer à nouveau le politique ou la politique. Mais attention, cela ne doit pas être utilisé contre les parlementaires. Le référendum peut aussi être décidé par les parlementaires depuis 2013, c'est ce que l'on appelle le "référendum d'initiative minoritaire". Il faut réconcilier la démocratie participative et représentative, mais il faut pour cela une ingénierie politique fine et un contexte politique serein. Car si l'idée est de "court-circuiter" les parlementaires, cela ne fera que rajouter au blocage. 

Quel serait selon vous le ou les référendum(s) à proposer aux Français ?

Olivier Rouquan : Un référendum sur la structure de l'organisation territoriale aurait été utile : cela aurait clarifié la réforme territoriale que de nombreux citoyens et élus ne comprennent pas bien. On voit bien que la négociation avec les groupes d'intérêt patine et que l'on s'enlise sur ce sujet alors même que depuis de nombreuses années, des accords peuvent être dégagés. Le référendum permettrait dans ce cas de débloquer et d'accélérer la réforme.

La loi sur la transition énergétique pourrait également faire l'objet d'un référendum. Car l'enjeu développement durable intéresse les populations. Pour finir, tous les sujets relatifs à la souveraineté nationale devraient faire l'objet de référendums. Sur le papier, le référendum parait toujours séduisant mais il dépend grandement de la temporalité car, plutôt que débloquer une situation, il pourrait aboutir à tout le contraire.

François de Closets : Aujourd’hui, cela me semble être le cas pour l’interdiction des déficits, à condition que ce soit une règle d’airain et pas d’or. Que la proposition tienne en cinq lignes : « Tous les budgets de fonctionnement, de l’Etat, des collectivités territoriales et de la Sécurité Sociale, doivent être présentés et exécutés en équilibre. Les budgets qui ne répondent pas à cette exigence sont déclarés nuls par‘ la cour des Comptes et le Conseil Constitutionnel. Si l’exécution du budget fait apparaître un déficit, les gestionnaires responsables doivent s’en expliquer en cour de Discipline budgétaire. » Si les Français votaient la constitutionnalisation de cette règle, la menace financière qui pèse sur notre pays reculerait.

Cet article est une mise à jour d'un article publié au mois de février 2012

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