Le plein emploi est en vue nous dit Emmanuel Macron. Oui… mais dans quelles conditions (et autres questions pièges) ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des personnes dans une agence Pôle emploi
Des personnes dans une agence Pôle emploi
©©JACQUES DEMARTHON / AFP

Pas du tout un retour aux 30 glorieuses

Entre le choc de 2008 et celui du Covid, la France a connu près de 15 ans sans croissance réelle. Si le chômage a baissé dans l’intervalle, c’est que le contenu de la croissance s’est enrichi en emplois. Mais quels emplois ont-ils été créés exactement ?

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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Ce mercredi, lors de son interview accordée à TF1 et France 2 et consacrée à la crise autour de la réforme des retraites, Emmanuel Macron a décliné ses trois priorités pour la suite de son quinquennat : «le plein-emploi, l’ordre républicain, et mieux vivre». Pour cela, le chef de l'Etat a fixé deux grands objectifs économiques au pays : le plein emploi et la réindustrialisation de la France d'ici 2030. De plus, le président de la République a affirmé assumer l'impopularité de sa réforme car il considère que c'est le moment qui permettra les suivants.

Le « plein emploi » est une expression galvaudée devenue, par un étrange unanimisme que l’Etat entretien, l’alpha et l’oméga de nos objectifs économiques. Aujourd’hui nous ne serions plus qu’à quelques encablures de ce jardin d’Eden (à l’autre bout de la rue ?), mais à propos de ce lit de roses je voudrais noter quelques petites épines qui vont de toute façon se rappeler à notre bon souvenir :

1/ cela devrait aller sans le dire mais ça va mieux en le disant : l’URSS aussi était au « plein emploi » 

Rien de plus facile que d’atteindre le nirvana statistique du plein emploi, calculé par des penseurs sur Excel qui n’ont rien à envier à leurs prédécesseurs Stakhanovistes : il suffit de ralentir le rythme du progrès technique, et/ou d’enrichir comme des forcenés le contenu en emplois de la croissance (jusqu’à des absurdités coûteuses comme la réduction du temps de travail quand elle n’est pas désirée), et/ou de faire disparaitre les chômeurs dans les multiples poches du « halo » (par exemple, la « formation »), et/ou de subventionner l’emploi privé par divers canaux après avoir étendu la fonction publique au-delà du raisonnable, du comparable et du soutenable. Toutes ces solutions façadistes se cumulent aujourd’hui, en particulier en France, pour faire des chiffres de l’emploi des équivalents de la production soviétique d’acier : ce n’est pas que ces chiffres soient faux, mais ils n’ont pas beaucoup de sens. 

Quel est le sens d’un emploi bac+2 confié à un bac+6 qui ronchonne ou s’ennuie toute la journée ? Trouvez-vous normal que dans un pays où le PIB n’a pratiquement pas monté depuis janvier 2008 le volume d’emploi soit presque à son zénith en 2022, ce qui signifie concrètement que la productivité apparente stagne depuis 14 ans, le tout dans un monde où les machines s’améliorent chaque année, où les logiciels américains progressent, ou les semi-conducteurs taïwanais progressent ? Autrement dit, alors que nous importons avec une efficacité croissante, et alors qu’on nous bassine avec tous ces gains de productivité permis par le télétravail (tu parles ! il y aura toujours plus de travail dans une classe prépa qu’à l’université…), nous ne produisons pas beaucoup plus de l’heure (en moyenne), ce qui implique soit un je m’enfoutisme d’ampleur cosmico-macroéconomique de la part des insiders, soit des emplois essentiellement occupationnels du côté des nouveaux entrants (dans mon quartier, seule la profession de vigile semble avoir le vent en poupe), soit un peu des deux. Une économie Potemkine.         

Mais, me direz-vous, ce sont là des critiques à courte vue : avec tous ces jeunes auto-entrepreneurs du 9-3 qui débordent de créativité à quelques kilomètres de Paris, il n’est pas idiot de la part de nos élites très courageuses de privilégier l’emploi « pour tous, à tout prix », et tant pis pour la pureté de l’analyse économique. Oui et non. Il est vrai que la paix sociale est importante, surtout au point où on en est. Mais un emploi peu productif est peu rentable, ce qui signifie que son utilité sociale est faible ; la rétention de la main d’œuvre crée des problèmes à la chaine (pénuries sectorielles…), ne tarde pas à se muer en trappe, et le coût pour les finances publiques demanderait au moins une évaluation (ce qu’on ne risque pas d’avoir un jour en France) ; mais de grâce, que l’on ne nomme pas ce « choix » (en est-il un ?) une stratégie sur le point d’arriver à son climax, le « plein emploi », par vague référence à des années 60 où les gains de productivité et les salaires vivaient des dynamiques très différentes. 

Pour résumer, on est passé en France d’un extrême à l’autre. Après avoir crée un marché du travail dual, hypocrite, doux avec les forts et durs avec les faibles, qui excluait de nombreuses personnes et permettait ainsi de se gargariser du haut niveau de productivité des français employés, on est parti dans l’autre direction, celle que nous reprochions aux américains des années 80, la préférence pour l’emploi, de plus en plus quoi qu’il en coûte ces derniers temps, voie en apparence inclusive mais qui masque une capitulation sur le front de la qualité de l’emploi, qui n’est pas si inclusive que ça (après tout, si les américains privilégiaient l’emploi, c’est en raison des lacunes de leur Etat Providence, alors si nous adoptons leur préférence, n’est-ce pas pour laisser tomber le nôtre ??) et qui, nous allons le voir, fourmille de contradictions et de chausses trappes.

2/ le plein emploi, concept keynésien, en pleine contradiction performative

De façon curieuse, les adeptes modernes du « plein emploi » sont dans les gouvernements, et ils ne se considèrent pas du tout comme keynésiens ; ils aiment à se présenter comme les champions de l’économie de l’offre (alors qu’ils passent leur temps à créer des réglementations et des impôts, passons). Pourtant, ils raffolent de la notion keynésienne de « plein emploi » ; pourquoi ? Parce que cela leur permet de justifier une politique budgétaire active. Et parce qu’en creux cela leur permet de justifier une politique monétaire inactive chez eux et de sabotage pour les autres. Voyons cela :

Il parait que l’on s’approche du plein emploi, mais on ne voit pas poindre de fortes augmentations de salaires ; une novlangue comparable à « il y a de l’inflation mais en même temps il y a un engouement pour l’épargne », ou « la FED a été laxiste en 2021, mais le dollar a monté cette année là contre le Yen, l’euro et tout un tas de monnaies », ou « je veux la sécurité publique et la probité, mais je laisse Darmanin en poste », pour ne prendre que quelques exemples. C’est fou ce que l’on peut observer ou faire « en même temps » de nos jours, il suffit de mal définir les termes et ensuite de ne pas manquer de culot.   

Le plein emploi parait-il, à condition de ne pas y regarder de trop près, mais pas les effets du plein emploi. Car nous sommes très loin de la société du plein emploi, du fordisme, des syndicats tout puissants, etc. Et donc, aussitôt qu’on s’approche du paradis perdu, aussitôt que la facture est présentée, la hausse des salaires par exemple, branle-bas-de-combat : on fait marche arrière, piteusement on laisse la BCE durcir les conditions monétaires et provoquer une récession en 2023, dès fois que le taux de chômage aurait trop baissé, dès fois que nous parviendrions au but, dès fois que la courbe de Phillips se re-verticaliserait par une opération de l’Esprit saint (pro-germanique).

Le plein emploi est ainsi souhaité, revendiqué ou programmé, certes, mais ces belles intentions s’autodétruisent sur le mur de notre soumission à un ordre monétaire qui a été conçu en Allemagne pour briser jadis les boucles prix-salaires, et en fait pour sacraliser la Bundesbank contre les syndicats (de façon comique, les gens présentent souvent ce rigorisme comme du « monétarisme », alors que l’essence même du monétarisme consiste à dire que l’inflation par les coûts, salaires ou pétrole, n’existe pas et ne peut pas exister ; passons, ce sont les mêmes qui parlent d’ordo-libéralisme dans le cadre d’un régime de changes fixes dirigé par un banquier central indépendant). Dès lors, le plein emploi, c’est un pays où on n’arrive jamais : une promesse, comme « défense européenne » ou « réforme de l’Etat en France » ; un slogan. Les autorités nationales élues parlent de « plein emploi » et y mettent de l’argent (peut-être trop), puis des apparatchiks non élus « plus-faucon-tu-travailles-au-Puy-du-fou » mettent fin à l’expérience pour le cas où elle réussirait, et le cycle peu recommencer. Une drôle de division du travail… 

J’irais même jusqu’à faire d’un taux de chômage assez faible associé à une absence de vrai plein emploi une marque assez sûre d’une japonisation au stade terminal. Après tout, le Japon connait depuis des années un chômage à 3% sans augmentations de salaires, sans grèves, sans protestations. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles pour un banquier central.  

3/ Que faire ?? 

Biaisé, le concept de « plein emploi » empêche de penser le marché du travail avec rigueur ; c’est de la macroéconomie de bazar, où on se moque des incitations et des vrais résultats pour se focaliser sur la notion statistique de travailleur moyen, interchangeable ; c’est même un Pont de la rivière Kwaï quand on y pense, et en zone euro une pure comédie. Si on s’en débarrasse, que voit-on : 

a/ les choses à ne surtout pas faire pour l’emploi :

  • Refuser le progrès technique (un jour, Milton Friedman visitait un chantier en Asie. Il posa une question sur l’équipement rudimentaire, des hommes avec des pioches plutôt que des bulldozers. On lui rétorqua que l’objectif était surtout de maximiser l’emploi. Il répondit : ah bon, l’idée n’est pas de finir le chantier vite et bien, mais de maximiser l’emploi ? Alors, je vous conseille de remplacer les pioches par des petites cuillères…),

  • Faire des chinois des boucs émissaires. Ce ne sont pas eux qui ont cassé la société du plein emploi, quelque part entre 1973 et 1983 (ils ne représentaient rien dans les échanges à l’époque) : c’est nous ; ce ne sont pas eux qui nous ont imposé une monnaie trop chère, et qui nous ont chipé des parts de marché avec une stratégie mercantiliste ; si nous avions du courage, nous nous en prendrions aux allemands, et plus encore à ceux qui les ont bien aidé (gouvernement Jospin en tête),

  • Continuer avec une immigration extra-européenne massive qui énerve nos travailleurs, qui sature l’Etat Providence, qui ne présente plus un bon rapport coûts-bénéfices et qui n’est pas adaptée aux besoins (on ne manque pas de bras mais de neurones),

b/ les choses que nous pourrions faire pour l’emploi, juste une fois pour essayer :

Libérer l’emploi. Aujourd’hui il est infantilisé et cartellisé, ce qui aboutit à un marché du travail en forme de sablier où les catégories intermédiaires et les experts sont évacués ; il ne reste plus que des chefs à plumes et des exécutants qui ne peuvent pas l’ouvrir. Et pourquoi diable faut-il un diplôme pour créer une petite entreprise qui va réparer des toits ? 

c/ faire très attention à l’emploi industriel (cf les analyses de Loic Le Floch Prigent)

Pour ma part, je mettrais un peu moins l’accent sur les réglementations qui tuent nos usines que sur la gestion de l’euro qui leur laisse bien peu de chances en dehors de quelques niches en haut de gamme : parce que c’est encore moins visible, plus pernicieux. De toute façon, il faudrait prendre autant soin de nos derniers emplois industriels que des bébés phoques.

d/ ne pas oublier la productivité

Les hommes de l’Etat s’en fichent, il n’y a qu’à voir la situation de nos services publics. Les gens des grandes entreprises s’en moquent peut-être encore plus, eux qui ne gèrent pas de l’argent qu’ils possèdent, et qui cherchent avant tout l’absence de vagues (ils raffolent de toutes les bêtises à la mode autour de l’entreprise citoyenne et éco-responsable et diversitaire, bientôt ils vous feront un procès si vous osez leur parler un peu d’argent).  

La participation serait la bonne réponse, à l’échelle, vue la démotivation ambiante. Pas un petit peu d’intéressement pour des cadres supérieurs qui eux trouvent du sens dans ce qu’ils font, mais une vraie participation au capital, pour tous, comme je l’ai déjà proposé plusieurs fois dans ces colonnes. Le problème de notre capitalisme c’est qu’il n’y a pas assez de capitalistes, particulièrement en France, avec les fruits de notre travail qui vont à la veuve de Milwaukee et au retraité de Pasadena ce qui termine de rendre vains nos efforts. C’est un axe sur lequel nous pouvons décider des choses au niveau national, qui ne coûterait pas un pognon de dingue, et qui inciterait à des réformes utiles quant aux retraites (plus de provisionnement, plus de capitalisation), au dialogue social, à la fiscalité (rééquilibrage entre l’endettement et les fonds propres), etc. Un beau programme pour des gens soucieux de l’intérêt général, à partir de 2027 avec de la chance.    

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