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Le gouvernement d’Élisabeth Borne ne dispose plus on le sait d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale.
Le gouvernement d’Élisabeth Borne ne dispose plus on le sait d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale.
©LUDOVIC MARIN / AFP

Du parlementarisme en 2023

Le gouvernement d’Élisabeth Borne ne dispose plus d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale mais seulement de cette seule majorité relative formée par une coalition, ce qui oblige le Premier ministre à faire un usage régulier de l’article 49.3.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Pour la première fois depuis bien longtemps - et surtout depuis l’inversion du calendrier électoral validée en même temps que l’instauration du quinquennat, et qui était, en partie au moins, censée l’éviter -, les Français ont rechigné à donner au président de la République réélu en avril 2022 – mais le « réélu » est sans doute une part de l’explication - une majorité parlementaire conséquente en juin. Le gouvernement d’Élisabeth Borne ne dispose plus on le sait d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale, celle qui permet de faire passer les textes sans problèmes majeurs, mais seulement de cette seule majorité relative formée par une coalition, ce qui oblige le Premier ministre à faire un usage régulier de l’article 49.3.

Erreur de nos concitoyens, perdus dans les arcanes des modes de scrutin ? Effets de l’abstention ? Il semble bien plutôt qu’il y ait eu là un choix délibéré. Interrogés en septembre 2022 par l’Ipsos pour le sondage Fractures françaises, les Français considéraient en effet à une écrasante majorité de 70 % que « le bon système politique, c’est celui où il y a une majorité relative à l’Assemblée : le gouvernement est obligé de tenir compte de l’avis des oppositions, il y a de vrais débats à l’Assemblée, il faut trouver des compromis. Au final, c’est plus représentatif de l’avis de l’ensemble des Français. » 30 % seulement étaient donc d’accord avec la proposition contraire, celle selon laquelle « le bon système politique, c’est celui où il y a une majorité absolue à l’Assemblée nationale : les lois sont votées rapidement, les Français savent qui est responsable de quoi et aux prochaines élections ils sanctionnent ou reconduisent cette majorité. Au final c’est plus clair et plus efficace. » On comprend le vœu des Français : permettre des consensus ou au moins des compromis sur quelques enjeux essentiels. Mais depuis la rentrée parlementaire, nous voyons bien plutôt ressurgir « les jeux, les poisons et les délices » du système parlementaire… en attendant de (re)découvrir ses limites en 2023.

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Jeux poisons et délices donc. La coalition majoritaire doit d’abord rester unie, car elle se compose en effet - à ce jour, en tenant compte des récentes invalidations - de trois groupes : Renaissance (170 parlementaires), Démocrates, regroupant le MoDem et quelques indépendants (51), et Horizons, le parti d’Édouard Philippe (29). 250 élus sur 577, nous sommes loin des 289 de la majorité absolue, pas question donc qu’une voix manque à l’appel. Depuis la rentrée, les ministres bichonnent pour cela les élus comme jamais, entre appels téléphoniques personnalisés aux principaux leaders et dîners organisés dans les palais de la République. Plus question de godillots méprisés et aux ordres, il faut faire prendre conscience à chacun d’entre eux qu’il est un pur diamant et que, qui sait… un maroquin…

Mais plus le temps passe et plus une angoisse agite ces élus, liée à la date de fatidique de 2027 : qui pour prendre la suite d’Emmanuel Macron ? Et donc, qui rallier avant ? Vaut-il mieux chercher la lumière médiatique en déposant un amendement qui peut faire grincer des dents, ou se taire, en bon petit soldat ? Attendre encore un peu pour exister vraiment politiquement, mais jusqu’à quand, au risque d’en voir d’autres saisir l’opportunité ? Enfin, au vu de ce déclassement général que connaît le pays et de ses conséquences dans l’opinion publique, est-il bien prudent de s’afficher trop proche du pouvoir, au risque d’être emporté dans sa chute ? Autant de questions qui ne sont certes pas nouvelles dans la tête d’élus, mais qui reviennent avec une particulière acuité. 

Il ne suffit pas ensuite au gouvernement d’expliquer aux élus de sa majorité les subtilités injustement méconnues des réformes entreprises, encore faut-il en convaincre d’autres. On prend donc langue avec des élus plus particulièrement intéressés par les thématiques de certains projets – les écologistes (23 élus) pour la transition énergétique, LR (62) pour les projets sécuritaire et économique, et Libertés, indépendants, Outre-mer et territoires (LIOT, 20) pour tous. On n’oublie pas non plus que le leadership mélenchoniste et l’agitation Insoumise peuvent devenir pesants aux autres membres de la coalition NUPES, aux socialistes (30 élus) et même à la Gauche démocratique et républicaine (GDR, communistes, 22). Quant aux Républicains déjà évoqués, leur « opposition constructive » s’avère pour l’instant nettement plus constructive qu’opposition. Bref on peut penser encore en 2023 à élargir la coalition majoritaire, les seuls exclus du dialogue, contre lesquels on tente d’ailleurs tant bien que mal de fédérer les autres, étant les partis « extrémistes » du RN (88 élus) et de LFI (74).

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Mais en attendant le jour béni de la réconciliation générale autour des « valeurs républicaines », la majorité présidentielle est bien forcée pour faire passer ses textes d’utiliser l’arme suprême de la constitution de 1958 : l’engagement de responsabilité du gouvernement sur un texte prévu à l’article 49 alinéa 3. Une arme rappelons-le parfaitement démocratique – rien n’empêche en effet l’opposition de voter une motion de censure pour s’opposer au texte - , mais qui donne toujours plus ou moins une impression de coup de force, et ajoute au côté délétère de la situation. Pour éviter de trop nombreux heurts, la coalition majoritaire ressuscite donc parfois le parlementarisme à l’ancienne : on l’a vue début décembre rameuter en catastrophe ses élus pour essayer de faire passer un texte sans avoir besoin du 49-3 - mais échouer ; ou, quelques jours plus tard, jouer l’obstruction pour faire durer les débats touchant à la réintégration des soignants non vaccinés, jusqu’au moment où la séance a été finalement suspendue. Elle n’est d’ailleurs pas la seule en matière d’obstruction parlementaire : LFI s’est fait une spécialité des débats houleux comme de la multiplication des amendements – approche frontale qui engendre des tensions dans la NUPES, écologistes et socialistes voulant conserver leur image de « parti de gouvernement » raisonnable. 

À ce jeu parlementaire, c’est cependant le RN qui sort grand gagnant, et on a suivi avec intérêt les choix tactiques de ce parti qui entend bien démontrer qu’il peut être un « parti de gouvernement » comme les autres. Marine Le Pen, dès la rentrée parlementaire, a expliqué qu’il serait bien dans l’opposition à la majorité d’Emmanuel Macron, mais dans une opposition qualifiée de « ferme et constructive », autrement dit que l’on se garderait de tout systématisme. C’est ainsi que sur certains points, notamment économiques – touchant aux taxes, à la suppression de la redevance, au SMIG ou au blocage des prix -, le groupe a voté des textes gouvernementaux. Il a par ailleurs demandé l’ouverture d’une commission d’enquête pour déterminer les causes de l’inflation, et proposé, en dehors de l’instauration d’une proportionnelle à toutes les élections, une hausse des salaires de 10 % et la suppression des « zones de faible émission », considérées comme portant atteinte à la liberté de circulation des Français les plus modestes, restant dans le cadre de cette politique en faveur du pouvoir d’achat sur laquelle Marine Le Pen avait fait campagne lors de l’élection présidentielle. 

Mais là où le groupe RN a créé la surprise, c’est lorsque Marine Le Pen a annoncé qu’il allait voter certaines des motions de censure déposées par la NUPES contre les textes d’Elizabeth Borne, un soutien d’autant plus imprévu, pour le premier d’entre eux au moins, que le parti avait déposé sa propre motion de censure. C’était, en forçant ses opposants à choisir entre efficacité politique et posture morale, et ce sous les yeux de leurs électeurs, jeter un pavé dans la mare politique, ce que le RN a réédité en choisissant d’utiliser sa niche parlementaire pour reprendre une proposition de loi déposée par la France insoumise visant à la réintégration des soignants non vaccinés – ce qui conduisit LFI à la retirer !

On mesure en tout cas dans ce retour du parlementarisme l’impact de la révision constitutionnelle de 2008, qui prenait acte de la diminution des pouvoirs du parlement dans une période de conjonction des majorités présidentielle et parlementaire absolue que certains voulaient croire désormais inéluctable, et qui offrait aux parlementaires de bien anodines compensations. Mais le rôle renforcé du travail en commission, le partage de l’ordre du jour ou la limitation de l’usage du 49.3 à un texte par session en dehors des lois de finances et de financement de la sécurité sociale sont autant d’éléments qui prennent en période de majorité relative, avec une opposition variée et puissante, une tout autre dimension. 

Voici donc pour les poisons et délices du parlementarisme retrouvés en ce second semestre 2022, qui pourraient continuer en 2023, mais qu’attendre de nouveau ? Ces jeux subtils sont-ils bien ce qu’attendaient des Français qui semblaient souhaiter une alliance des bonnes volontés, soit autour de textes indispensables, soit contre des projets qui ne sont qu’une fuite en avant ? L’arrivée à l’Assemblée nationale de deux textes essentiels, portant l’un sur la réforme des retraites et l’autre sur celle de l’immigration, vont peut-être apporter un autre angle d’analyse. Certes, il y aura lors des débats une tension majeure, à la Chambre basse bien sûr, mais aussi entre elle et le Sénat. Tant mieux dira-t-on : voilà de nouveaux débats, croisant des opinions divergentes, avec à la clef une amélioration possible des textes qui deviendraient ainsi plus conformes aux attentes de nos concitoyens - même s’il est inutile d’attendre ici le moindre consensus. Mais il est à craindre que 2023 ne prouve surtout aux Français l’inutilité de ces débats, en démontrant à ceux qui l’ignoreraient encore que la France n’est plus souveraine. 

Qu’il s’agisse des normes sociales ou de la régulation de l’immigration en effet, il n’appartient plus au parlement de décider librement, par exemple, de subventionner tel ou tel secteur, de diversifier les droits, de restreindre certaines aides aux nationaux, d’interdire de manière efficace l’entrée sur le territoire, ou de renvoyer « celles-zé-ceux » qui ont commis des délits sur le sol français dans leur pays d’origine. À chaque fois, le droit international et les normes européennes, mis en oeuvre par les juges internationaux comme par les juges internes - Conseil constitutionnel, Cour de cassation ou Conseil d’État - primeront sur l’éventuelle volonté des parlementaires de changer les choses. Ce n’est jamais ici que l’application logique de la hiérarchie des normes juridiques, et nul ne peut s’y opposer. Mais elle viendra réduire à néant l’idée que se font peut-être encore les Français des pouvoirs réels de leurs élus. Avec les habituels « on ne peut pas… », ou « ce n’est pas nous… », d’autant plus pénibles à entendre qu’il s’agit de sujets particulièrement sensibles, ce qui va apparaître dans sa triste réalité en 2023, ce n’est pas le règne des partis que certains craignent, c’est l’évidence de leur inutilité : le roi est nu, et ce parlement pléthorique ne sert plus qu’à voter des emprunts pour rembourser les dettes que les textes internationaux qui le lient l’obligent à contracter.

Cette prise de conscience sonnera le glas de l’espoir né de la diversité nouvelle de l’Assemblée nationale. Avec quelles conséquences ? Il n’est pas évident, d’abord, qu’en 2023, au regard du déclassement complet de notre pays, de l’effondrement de leurs services publics comme de celui de leur pouvoir d’achat, les Français ne choisissent pas de s’exprimer directement. Ce ne pourra pas l’être par des initiatives politiques - le référendum d’initiative partagée est une bien inutile usine à gaz dont le Conseil constitutionnel sait en sus maintenir les portes closes - ce pourrait l’être dans la rue, et les syndicats s’y préparent d’ores et déjà, soucieux de ne pas être une nouvelle fois dépassés par un mouvement spontané comme l’a été initialement celui des Gilets jaunes. Par ailleurs, la prise de conscience que le déclassement de notre nation que les rustines gouvernementales ne parviennent plus à cacher est largement lié à la perte de sa  souveraineté – le tout étant rendu plus sensible encore par les agissements, au sein de l’Union européenne et au-delà, d’une Allemagne sûre d’elle et dominatrice – ne pourra pas avoir de conséquences. 2023, année théoriquement sans élections, sera aussi l’année d’un bilan non pas de notre système parlementaire, mais de notre place comme nation.

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