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Le paradoxe français : multitude d’organismes économiques mais l’économie la moins performante d’Europe
©©LOIC VENANCE / AFP

Paradoxe

Une étude récente de la Division des Statistiques de l’ONU, passée trop inaperçue, nous révèle que l’économie de notre pays est la moins performante d’Europe.

Claude Sicard

Claude Sicard

Claude Sicard est consultant international et auteur de deux livres sur l'islam, "L'islam au risque de la démocratie" et "Le face à face islam chrétienté-Quel destin pour l'Europe ?".

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On pouvait  s’en douter vu le niveau auquel se situent un certain nombre d’indicateurs économiques et l’impossibilité dans laquelle se trouvent les pouvoirs publics, depuis des années, de faire baisser le taux de chômage très élevé qui caractérise notre pays.  Et l’on voit bien que la dette du pays ne cesse de croître, d’année en année.

Les statisticiens de l’ONU ont procédé à l’examen de l’évolution, sur une longue période, du PIB per capita d’un certain nombre de pays, le PIB per capita étant l’indicateur qu’utilisent les économistes pour caractériser la richesse des pays.  Et c’est, effectivement, sur une longue période qu’il faut juger la performance des économies des pays afin de se dégager des variations conjoncturelles. 

Les performances de l’ économie française :

Nous donnons ci-dessous les résultats de ces travaux pour un certain nombre de pays :                     

  PIB/tête (US dollars courants) 

1980       2000      2017       Multiplicateur

Espagne   6.141 14.556 28 .356 4,61

Suisse 18.879 37.937 80 .101 4,25

Danemark 13.881 30.734 57 .533 4,13

Gd-Bretagne 10.041 27.959 39.758 3,97

Allemagne 12.091 23.929 44.976 3,71

Pays-Bas 13.794 20.148 48.754 3,52

Suède 16.864 29.292 54.043 3,21

France 12.669 22.161 38.415 3,03

Etats Unis 12.436 36.356 60.055 4,83

Israël   6.393 21.990 42.452 6,64 (ONU : Statistics Division)

Comme on le  voit, l’économie française réalise depuis une quarantaine d’années des performances très médiocres, bien inférieures à celles des autres pays européens. Elle crée moins de richesse que ses voisins : le PIB/tête des Français a été multiplié par 3,03  en quarante ans, alors que le  Danemark l’a multiplié par 4,13, et la Suisse par 4,61. Et un pays comme Israël a fait encore  bien mieux, sans compter les Etats-Unis.. Au  vu de ces données, on ne peut que s’interroger : « que se passe-t-il donc dans le cas de la France ? » .

Le rôle de l’industrie dans l’économie : 

Il faut tout d’abord rappeler le rôle fondamental que joue, dans l’économie des pays, le secteur industriel, secteur que depuis Colin Clarck on nomme le « secteur secondaire » de l’économie,  les deux autres étant l’ agriculture (le secteur primaire) et les services (le secteur tertiaire). L’industrie est une activité qui contribue beaucoup à la création de richesse des pays, et elle est des trois secteurs de l’économie celui où la productivité croit le plus vite, d’où l’intérêt tout particulier de ce secteur d’activité. Comme nous allons le voir, il existe une relation très étroite, dans les pays, entre leur production industrielle et le PIB par tête des habitants.. C’est ce que montre le graphique ci-dessous où il est pris,  en abscisses, pour variable explicative  la production industrielle des pays calculée par habitant, et, en ordonnées, les PIB/capita de ces pays. Il s’agit des données de la BIRD qui inclut la construction dans sa définition de l’industrie, les productions  industrielles étant mesurées ici en « valeur ajoutée » selon les données des comptabilités nationales des pays.

Les effectifs du secteur industriel, dans notre pays, sont passés, il faut le rappeler, de 6,5 millions de personnes dans les années 1975-80  à 2,7 millions, aujourd’hui,  si bien que la contribution du secteur industriel a la formation du PIB n’est plus que de 10 %, alors qu’il s’agit de 23% ou 24 % en Allemagne ou en  Suisse. La France, comme on le voit sur ce graphique, avec une production industrielle faible de 6.432 US$ par habitant a un PIB/capita de seulement 39.030 US$ ; l’Allemagne avec un ratio bien meilleur de 12.279 US$  a un PIB/capita de 46.208 US$, et la Suisse avec un chiffre record de 22.209 dollars en est à un PIB/capita de 87.097 dollars, le plus  fort d’Europe. Il y a eu un déclin constant et régulier de notre secteur industriel depuis la fin des trente glorieuses et on en paye aujourd’hui le prix par un PIB/capita relativement faible. 

France : une pléthore d’organismes économiques.

La France  possède un grand nombre d’organismes économiques, des organismes publics, semi-publics, ou privés, qui sont autant de centres d’étude et de réflexion qui se penchent sur les problèmes de développement économique du pays. 

Notre pays s’était doté, après la dernière  guerre, dans la période de reconstruction de  son économie, d’organismes économiques à caractère opérationnel qui ont bien fonctionné, mais, sous le vent du libéralisme, on s’en est défait. Ce fut une grave erreur. Il y avait eu, créé en 1946 par le général de Gaulle, le Commissariat général au Plan (CGP) qui a fonctionné jusqu’en 2006, c’est-à-dire pendant plus de cinquante ans. Grâce à cet organisme où s’élaboraient les grandes décisions  qui engagent  l’avenir du pays  l’économie française s’est redressée  et modernisée. On lui doit le leadership que notre pays a  acquis dans le domaine  de l’énergie nucléaire et dans celui de la construction aéronautique. Il s’agissait non pas d’une planification autoritaire, mais simplement indicative, et le Commissariat au Plan était un organisme de concertation où des débats étaient menés, en permanence,  entre experts, hauts fonctionnaires et représentants des forces vives du pays,  et notamment les syndicats.  Cet organisme fut dissous  en 2006, remplacé par un simple organisme d’étude et de réflexion qui s’est appelé le  « Centre d’ analyse stratégique », lequel est devenu, par la suite, en 2013,  ce qu’il est aujourd’hui : le « Commissariat général à la stratégie et à la prospective » , en abrégé « France Stratégie ».Cet organisme est rattaché au premier ministre, mais on a peine à voir comment les travaux qu’il mène orientent les décisions prises par nos gouvernants.  Et l’on doit rappeler que notre Président, sans en expliquer les raisons, a pris soudain le soin, en septembre 2020, de remettre au goût du jour le  Commissariat General au Plan en nommant à ce poste François Bayrou, son fidèle allié politique. Pour l’instant, ce nouveau CGP ne fonctionne pas, et on ne sait d’ailleurs pas comment il s’articule  avec France Stratégie. Autre organisme, aussi, qui a été très utile, créée en 1963 : la DATAR, la Délégation à l’aménagement du territoire et à  l’action régionale, rattachée au premier ministre. Cet organisme,  qui a existé jusqu’en 2014,  disposait de plusieurs  « Commissaires à l’industrie »  qui  se sont occupés  de reconvertir d’anciens grands bassins industriels en difficulté  et de lancer de nouveaux projets dont, en 1972, le complexe sidérurgique de Fos sur Mer, une sidérurgie sur l’ eau ultra moderne destinée à impulser le développement industriel des régions Provence – Côte d’ Azur et Languedoc-Roussillon. La DATAR a été dissoute en 2005, remplacée par la « Délégation interministérielle à l’aménagement et à la  compétitivité des territoires » (la DIACT), un organisme  qui a pour vocation de « privilégier une approche offensive de la compétitivité », c’est-à-dire un simple organisme d’étude, et non pas opérationnel  comme l’était la DATAR.

En plus des organismes nouveaux qui ont succédé au Commissariat général au Plan et à la DATAR existent, dans nos structures, un foisonnement  d’organismes à caractère économique et social. Nous nous bornerons à mentionner, ici, les principaux. 

Tout d’abord, le Conseil Economique, Social et Environnemental installé au palais d’Iéna , le CESE, une institution de la République qui a été confirmée par la  Constitution de la  Ve République, en 1958  : il est composé de 175 membres et fournit des avis au gouvernement. Puis, le Conseil d’ Analyse Economique (CAE) créée en 1997 par Lionel  Jospin qui a pour rôle de conseiller le premier ministre, l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE),  le Centre d’Etudes Prospectives et d’Informations Internationales (CEPII), le  Conseil National de la Productivité (CNP),  le  Centre de Recherche pour l’Etude et l’Observation des Conditions de vie (CREDOC), le  Coe-Rexecode, le Centre pour la recherche économique et ses applications (Cepre-map),l’Institut de Recherches Economiques et Sociales (IRES), Business-France, etc….

On doit ajouter à cette longue liste toutes les Chambres de  Commerce et d’Industrie (CCI) qui  fonctionnent dans les départements, plus les Conseils Economiques et  Sociaux Régionaux (CESER), et, au MEDEF, l’ Institut de l’ Entreprise créé en 1975 pour être le laboratoire où s’élabore la doctrine du patronat en France. Et il faut mentionner, aussi, à Sciences Po, le CEVIPOF et le CERI. Et il existe, de surcroît, dépendant du CNRS, un nombre important de centres d’études économiques qui fonctionnent dans nos Universités, dont le Centre d’ Economie de la Sorbonne (CES) . A tous ces organismes, déjà nombreux,  on doit rajouter, dans le secteur privé, les divers think-tanks, les deux principaux étant l’IFRAP créé par Bernard Zimmern et l’Institut Montaigne créé par Claude Bébéar.

On voit que les organismes d’étude et de réflexion sont légion en France : il est impossible, ici, de tous les citer, la liste ci-dessus n’étant pas exhaustive. Paradoxalement, malgré tous ces organismes, l’économie française n’a pas cessé depuis la fin des trente glorieuses de décliner :il y a donc, là, un mystère qui mériterait d’être élucidé.

Pourquoi les économistes n’ont-ils rien dit ?

Curieusement, les économistes français ne se sont guère préoccupés du problème  du déclin industriel de notre pays. Face à ce drame qui se jouait, ils sont restés muets.

Maurice Allais, le premier économiste français à obtenir le prix Nobel d’ Economie, en 1988, s’est distingué  par sa « théorie de l’utilité espérée » et il s’est particulièrement intéressé à la dynamique monétaire. Florin Aftalion s’est intéressé, lui, aux cycles des affaires, Philippe Aghion à l’innovation et la croissance, Malinvaud  à la théorie des équilibres non-walrassiens, Alain Cotta à la théorie du capital, Michel Godet à la prospective, etc…. Jean Marc Daniel, professeur à l’ESCP rappelle, dans le Figaro -Economie du 24 septembre,  cette anecdote racontée par Keynes : un homme qui avait perdu ses clés les cherchaient non pas là où il les avait perdues, mais un peu plus loin, sous un lampadaire, car c’est là qu’il y avait de la lumière.  

Quelques économistes, toutefois, et ils méritent qu’on leur rende hommage, ont eu le mérite de chercher là où il fallait : ils portèrent  très tôt le bon diagnostic  mais ils n’ont pas été écoutés  car leur discours n’était pas dans l’ère du temps Le sociologue Alain Tourraine avait, en effet, créé, en 1969, le terme « société post-industrielle » et cette expression exerça une influence  considérable sur les hommes politiques et les décideurs, d’autant que Serge Tchuruk, nommé PDG d’Alcatel en 1995, renforça cette vision avec sa théorie des « entreprises industrielles sans usines » (les « fabless »). Citons, tout spécialement, parmi les économistes qui ont vu juste,  Elie Cohen, directeur de Recherches au CNRS, et Christian Saint Etienne titulaire de la chaire d’économie industrielle au CNAM. Elie Cohen a publié « Le  colbertisme high-tech » en 1992, puis « Le décrochage industriel » en 2014; précédemment, un de ses ouvrages s’était intitulé : « L’Etat brancardier : politique du déclin industriel 1974-1984 ».Quant à Christian Saint Etienne, on lui doit  des ouvrages comme : « La France est-elle en faillite ? », en 2012, puis « France :état d’urgence » (chez Odile Jacob) en 2013,  et « Relever la France » en 2016 ; et, déjà, en 2003 il avait été l’auteur d’un article dans Economica intitulé « Des idées pour la croissance ».  Et à ces deux économistes, bien connus, il faut rajouter les travaux de Jean Louis Levet, un fonctionnaire du ministère de l’industrie qui a été au cabinet d’Edith Cresson et a travaillé pour la fondation Jean Jaurès .

Il a fallu, donc, que ce soit la crise du Covid-19 qui, finalement, fasse prendre conscience à nos dirigeants du grave problème de la désindustrialisation  de notre pays, la crise  des  gilets jaunes qui avait éclaté en octobre 2018  ne leur ayant pas ouvert les yeux alors qu’elle a été l’illustration parfaite du phénomène de désindustrialisation d’un pays. Et Emmanuel Macron a donc lancé, pour réindustrialiser le pays, son plan « France 2030 ».

La loi d’évolution des trois secteurs de l’économie que certains tirèrent trop vite de l’ouvrage de Jean Fourastié « Le grand espoir du XXe siècle », paru en 1949, le concept de « société post-industrielle » créé en 1969 par Alain Tourraine, et la théorie des « firmes industrielles sans usines » de Serge Tchuruk, un polytechnicien qui fut PDG d’Alcatel, asphyxièrent complètement  nos économistes. On laissa donc se défaire notre tissu industriel, voyant dans le déclin de notre industrie le signe même de la modernisation du pays. Un aveuglement que nous payons très cher, aujourd’hui.

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