Le pape François et le patriarche de Constantinople à Lesbos : l’accueil inconditionnel des migrants est-il nécessairement l’attitude la plus charitable ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le pape François appelle l'Europe a ouvrir ses portes aux migrants.
Le pape François appelle l'Europe a ouvrir ses portes aux migrants.
©Max Rossi / Reuters

Questions de générosité

Le pape François et le patriarche Bartholomée de Constantinople se retrouvent aujourd'hui à Lesbos pour une visite de solidarité auprès des immigrants présents sur l'île grecque. Face à cette vague migratoire, les deux chefs spirituels prônent de concert l'ouverture des frontières de l'Europe. Un souci charitable indéniable mais de bien courte vue.

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Atlantico : Le pape François se rend aujourd'hui en compagnie du patriarche Bartholomée de Constantinople sur l'île grecque de Lesbos pour une visite de solidarité avec les migrants. Depuis le début de cette vague migratoire sans précédent, le Pape s'est prononcé à de nombreuses reprises en faveur de l'accueil des migrants et s'est souvent montré dur à l'égard des pays européens qui voulaient limiter cet accueil. Le Patriarche a quant à lui réclamé hier dans une interview qu'on ouvre les portes aux migrants, sans différencier migrants économiques et demandeurs d'asile. 

A entendre le Pape François et le patriarche Bartholomée, quelle serait une bonne gestion de cette crise migratoire ? Quelles conséquences cette politique pourrait-elle avoir sur l'Europe et sur le phénomène lui-même selon vous ?

Bertrand Vergely : Le pape François demande à l’Europe d’ouvrir ses frontières aux migrants. Cela pose à mon sens trois problèmes. Premièrement, ceux qui viennent aujourd’hui en Europe sont-ils effectivement  des migrants, c’est-à-dire des hommes et des femmes qui ont  comme intention que de passer en Europe avant de retourner chez eux, comme les oiseaux migrateurs ? Deuxièmement, aujourd’hui, admettons qu’on en accepte trois millions. Et demain, si le phénomène continue, va-t-il être possible pour l’Europe de recevoir, dix, vingt, trente, cinquante millions de migrants venus de tout le Moyen-Orient ainsi que de toute l’Afrique ? Troisièmement, le Pape est-il prêt à ouvrir le Vatican ainsi que toutes les églises aux migrants? Inviter les migrants, c’est bien. Mais, si c’est dans l’appartement des autres et non dans le sien, est-ce une invitation ? 

Allons plus loin. Admettons que l’Europe ouvre ses frontières aux migrants. Mais qui va payer ? Avec quel argent? Au moment où la France compte 5,5 millions de chômeurs, cela va-t-il être possible? Et les milliers de SDF qui ne reçoivent aucun argent, vont-ils continuer à ne rien recevoir alors que l’on va donner des aides aux nouveaux arrivants? Dans le même ordre d’idée, si demain les nouveaux arrivants décident de ne respecter pour les uns que le droit coutumier qui autorise l’excision des petites filles et pour les autres que la loi islamique, comment va-t-on faire pour maintenir une cohésion nationale? Sur quelles bases va-t-on s’appuyer pour faire vivre ensemble des populations qui, pour certaines se reconnaissent dans la laïcité, alors que d’autres la refusent? Dans son élan de charité et d’amour universel le Pape a-t-il réfléchit aux conséquences possibles de sa généreuse invitation? Il critique l’Europe, mais comment se fait-il que l’on n’entend rien à propos des passeurs dont certains n’hésitent pas à couler les bateaux des migrants qu’ils ont affrétés après leur avoir soutiré des milliers d’euros ? Le Pape affiche une générosité débordante. Mais, cette louable intention relève-telle d’une politique pensée ou d’une opération fort réussie de communication ? Et quand le patriarche Bartolomée lui emboîte le pas, est-ce, là encore, une politique pensée ou, là encore, une opération de communication habile ? 

On a le sentiment que les sociétés et autorités des pays d'Europe - de l'Ouest en particulier - sont comme prises en étau entre l'exigence morale d'assistance humanitaire ou de charité qui imposerait l'accueil des miséreux qui accostent sur les plages grecques, et la réalité d'un flux gigantesque aux lourdes conséquences.

Comment résoudre ce dilemme ? Le devoir de charité et de compassion prôné par le Pape, ou plus généralement celui d'assistance humanitaire découlant des droits de l'homme, n'imposent-ils pas nécessairement d'accueillir les immigrants ?

Est-ce que l’Europe est prise en étau ? Pas sûr. Certes, il y a le devoir de compassion. Mais qui le prend au sérieux? Ceux qui en parlent y croient-ils eux-mêmes? Ne font-ils pas semblants d’y croire ? On sait pertinemment que l’Europe ne pourra pas accueillir toute la misère du monde. Aussi est-il facile d’expliquer qu’il faut l’accueillir. Comme on sait que cela ne se fera pas, on est tranquille, on a bonne conscience. On sait que, grâce à la stratégie consistant à demander l’impossible, il sera possible de récupérer quelques dizaines de milliers de migrants. On pourra paraître avoir sauvé la face. Ce qui n’est pas rien dans notre monde ultra-médiatisé où la pitié est une valeur sûre.

Le Pape a également fait état de son point de vue sur les questions migratoires en déclarant il y a quelques mois "qu’une personne qui veut construire des murs et non des ponts n’est pas chrétienne", en référence au projet de Donald Trump de construire un mur entre les États-Unis et le Mexique pour réguler l'immigration mexicaine. Lors d'une audience générale il a également rendu hommage aux nations et aux gouvernants "qui ouvrent leur cœur et ouvrent leurs portes". 

Ces discours ne révèlent-ils pas une forme de confusion entre ce qui relève de la morale personnelle – créer des ponts avec autrui, "ouvrir son cœur" – et ce qui relève des obligations morales des États et de ceux qui les gouvernent, c'est-à-dire agir pour le bien des populations dont ils ont la charge ?

Le Pape qui est le souverain pontife sait fort bien que le pont qu’il faut créer est d’abord le pont entre le ciel et la terre, entre l’homme et Dieu. Il sait de ce fait fort bien qu’il ne suffit pas de créer des ponts humains. S’il y a des ponts humains sans qu’il y ait des ponts entre ciel et terre, Dieu et l’homme, il n’y a pas de ponts véritables en ce monde. Pourquoi ne dit-il aucun mot de ces ponts spirituels ? Ouvrir une brèche dans un mur n’est pas créer un pont. C’est provoquer une catastrophe humaine, économique et sociale. Il suffit de regarder ce qui se passe dans nos banlieues. Depuis des années, les autorités ont laissé faire les passages illicites sur notre territoire. Résultat : des populations entières se retrouvent jetées les unes contre les autres dans des banlieues surpeuplées, le tout dans un état de détresse sociale et humaine complète. Une brèche n’est pas une ouverture ni une ouverture une brèche. Faire ne consiste pas à laisser faire, ni laisser faire à faire. 

Le pape François prend souvent en exemple son histoire personnelle de fils d'immigrés italiens en Argentine pour asseoir son discours en faveurs des immigrants. Mais peut-on vraiment comparer le mouvement migratoire vers l'Argentine à celui que connaît l'Europe actuellement ? N'y a-t-il pas certaines spécificités profondes de l'Europe et de sa situation actuelle qui échappent peut-être à ce premier pape non-européen ?

Quand les Italiens se sont rendus en Argentine ils n'étaient pas des millions. En outre, ceux-ci partageaient avec les Argentins une foi commune dans la religion chrétienne. En Europe, le problème est autre. Ce sont des millions de migrants qui se présentent et il y a un véritable choc de cultures du fait de l’existence de groupes islamistes décidés à terrasser l’Occident. Il est possible d'éviter un conflit entre migrants et Européens. Les migrants n’ont qu’à accepter l’ Europe. Ils n’ont qu’à nous accepter. On n’en prend pas le chemin, le discours que l’on entend étant celui qui nous demande d’accepter l’autre en oubliant de demander à l’autre de nous accepter. Ce qui ne rend nullement service ni à nous autres Européens, ni aux migrants eux-mêmes.

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