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Le niveau de vie des Français s’effondre relativement à celui de leurs voisins. Et voilà les responsables
©INA FASSBENDER / AFP

Mal français

Christian Saint-Etienne

Christian Saint-Etienne

Christian Saint-Etienne est professeur titulaire de la Chaire d'économie industrielle au Conservatoire National des Arts et Métiers.

Il a également été membre du Conseil d'Analyse économique de 2004 à juin 2012.

Il est également l'auteur de La fin de l'euro (François Bourin Editeur, mars 2011).

 

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Atlantico : Vous avez tweeté « L'effondrement du niveau de vie relatif des Français en 20 ans par rapport aux Allemands et Hollandais est colossal, + de 15%. » Sur quelles données vous appuyez-vous ?

Christian Saint-Etienne : L’indicateur le plus neutre est le PIB par habitant tel que publié par Eurostat en niveau réel. C’est d’ailleurs cohérent avec la forte baisse du PIB relatif de la France par rapport à l’Allemagne et l’effondrement industriel de la France depuis 25 ans explique cette forte baisse du revenu français. La tendance au déclin relatif de la France est un peu générale vis-à-vis de tous les pays développés, y compris les Etats-Unis, mais c’est particulièrement notable vis-à-vis de l’Europe du Nord, alors que nous partageons la même monnaie. Jusqu’en 2021, on observait une baisse du niveau de vie des Italiens et des Espagnols. Et depuis un an, la France baisse plus que ces deux pays, les Italiens ayant gardé une industrie puissante et les Espagnols ayant une part de l’industrie manufacturière dans le PIB supérieure à la France.

Ce qu’il faut expliquer, c’est que 80% des exportations mondiales, hors énergie et matières premières, sont des produits manufacturés. Pourquoi on ne le comprend pas ? Car nos économies sont devenues des économies de service. Nous souffrons réellement de l’effondrement de notre industrie. La France n’a rien à vendre à l’international, ou presque. Raffarin puis Fillon, en tant que Premier ministre, disaient « quand je vais à l’étranger, j’ai 20 produits à vendre, les Allemands 200 ».

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L’Irlande a fait une progression spectaculaire dans le tableau du PIB par habitant. Qu’est-ce qui l’explique ?

C’est un phénomène très particulier lié ultra majoritairement au fait que le taux d’imposition sur les sociétés est à 12,5 % en Irlande, alors qu’il est à 25 % en France et entre 19 et 25% en Europe. Toutes les GAFAM ont basé leur siège social à Dublin et les ventes de ces sociétés sont comptabilisées comme vendues par l’Irlande, ce qui conduit à surévaluer massivement le PIB Irlandais.


Quelles sont les responsabilités politiques de la situation française actuelle ?

C’est une question très importante. Au milieu des années 1990, et plus précisément vers 1995-1997, les élites français politiques, économiques, sociologiques et médiatiques se sont convaincues que nous entrions dans un monde post-industriel, post-travail. L’essentiel de l’activité tournerait autour des services et la production de biens serait secondaire. Quand Chirac dissout, les socialistes Jospin, Strauss-Kahn et Aubry sont persuadés qu’ils vont perdre les élections de 1997 et décident, pour préparer 2002, de proposer une mesure de réduction du temps de travail déconnectée de la réalité mais servant de marqueur. Ils ont finalement été élus et Martine Aubry a fait en sorte que la mesure prenne ses effets. Cela a contribué massivement à notre affaiblissement. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que les 35h, lorsqu’elles sont réfléchies, ne viennent pour autant pas de nulle part. Elles sont cohérentes avec l’idée du monde post-industriel. Et ce qu’il est important de noter, c’est que la droite partage la même grille d’analyse. La preuve en est la loi De Robien permettant un aménagement du temps de travail de 39h à 32h payées 32h. Or, et nous le savons depuis plusieurs années maintenant, nous sommes dans un monde hyper-industriel avec une nouvelle révolution industrielle, liée à l’informatique. Cela mène à l’émergence des GAFAM aux Etats-Unis et à l’absence d’équivalent en France. Ainsi, toutes les mesures prises dans le paradigme du post-travail mènent à la catastrophe. Les élites ont mis très longtemps à comprendre ce qui se passait. Pourtant dès 2006, le Conseil d’analyse économique tire la sonnette d’alarme sur la perte des parts de marché de la France. Il faut attendre le rapport de Gallois de 2012 pour un début de changement de tendance, mais c’est une micro-mesure qui ne change pas la structure économique et sociale du pays. s’ensuivent les lois El-Khomri puis Macron et Pénicaud qui vont progressivement tenter d’assouplir les lois de régulation du travail et en 2020 une première tranche de réduction des impôts de production. Il y a donc eu des mesures, mais pas de changement de paradigme. De plus, la nouvelle baisse des impôts de production prévue pour 2023-2024 est intervenue trop tard et les lancements de start-ups encouragées par Macron ne règlent pas le problème. Elles embauchent un peu mais fonctionnent toutes à base d’informatique importé et contribuent donc à accroître le déficit commercial.

La seule solution sérieuse, c’est de continuer de baisser les impôts de production, éventuellement les impôts sur les sociétés, et réinvestir dans l’industrialisation, ce qu’Emmanuel Macron ne fait pas. Ainsi, sans stratégie de réindustrialisation, la situation ne fait que se dégrader. Cela fait bientôt 30 ans que le paradigme post-travail gouverne la France et la plombe. Le problème c’est que tout le monde veut bien qu’on remette des usines en France, mais pas à côté de chez eux. L’Etat est une religion en France, donc si on veut réindustrialiser, il faut une politique favorable à l’industrie. Il faudrait notamment par exemple créer un millier de zones de 200 à 300 hectares sur l’ensemble du territoire susceptibles d’accueillir des entreprises, en prenant en compte les infrastructures. Il faut que l’Etat achète les terrains, obtienne les autorisations règlementaires et qu’il prévoit toutes les connexions de réseaux sur ces zones. À partir de là, quand des industriels internationaux souhaitent s’installer en France, les terrains pour les accueillir existeront déjà, raison pour laquelle je propose la création d’une agence nationale foncière qui achète et équipe un millier de zones qui permettront d’accueillir des usines. Tant qu’on ne réindustrialisera pas sérieusement, on continuera d’être dans la situation qui est la nôtre, c’est à dire celle d’un déficit public et extérieur colossal. 

À quel point est-ce une question de philosophie politique et économique, de culture française qui induit cette situation ? 

Les élites françaises sont formées d’administrateurs, de journalistes, de médecins, d’enseignants reconvertis à la politique … Mais l’économie est, en France, une science largement ignorée. Les économistes officiels ont une seule obsession : la lutte contre les inégalités, alors même que nous sommes détenteurs du record du monde de la dépense publique, ce qui ne les émeut pas. Pourtant, personne ne parle de production, au même titre de l’industrie. In fine, nous n’avons pas d’analyse du développement économique. 

Deuxièmement, et c’est illustré par le problème des retraites, les Français très actifs, à travers la cinquième semaine de vacances et les 35 heures, se sont habitués à l’idée que nous résoudrons tous les problèmes en travaillant moins. Il faut savoir qu’en France, la durée annuelle de travail est la plus basse de tous les pays développés, ce qui aboutit à un affaiblissement du pays. Or le travail est la seule source de création de richesse. En réduisant la durée du travail, on se retrouve dans une situation d’affaiblissement relatif de la France qui est très préoccupante. Beaucoup de gens pensent que la France est encore puissante, est encore respectée, mais ce n’est plus le cas. Nous avons donc perdu toute crédibilité du fait de notre désinvestissement dans le travail, l’effort et l’excellence.

Comment expliquer cet affaiblissement du pays ? Avons-nous cédé à une certaine pression de la gauche ? 

Selon moi, cela remonte encore plus loin. Jean-Jacques Rousseau a causé des dégâts considérables avec cette idée du Contrat Social notamment. Il explique qu’en laissant les autonomies individuelles se développer, des conflits en résulteront. C’est par cela qu’il développe la notion de volonté générale. Il est à la base des analyses, avec Hegel, qui vont conduire au Marxisme et au Léninisme, c’est à dire que quelques-uns doivent décider pour les autres. C’est un sous-jacent majeur dans la pensée politique française. Au XXème siècle, les deux guerres vont également laisser des traces. Nous avons gagné la Première Guerre mondiale, mais au lourd prix de la perte de 15% des hommes de 18 à 35 ans, ce qui affaiblira terriblement le pays. Enfin, la débâcle de 1940 a beaucoup joué sur la perte de confiance de la France et sur sa projection dans le monde. En somme, nous avons une histoire très mouvementée, marquée par le socialisme redistributif et l’idée que le marxisme-léninisme doit décider pour les autres. Tout cela produit un certain univers culturel qui émet notamment l’idée qui suffit de taxer les riches pour réduire le déficit public, sans même comprendre que 80% de la fortune des riches est de la fortune papier. On se retrouve donc dans un contexte culturel et politique qui conduit à un déficit public permanent.

Quelles sont les responsabilités « extérieures » à la France dans cet affaissement du niveau de vie de Français ? 

Tout d’abord, quand j’ai tweeté sur l’affaiblissement du niveau de vie des Français, je faisais une comparaison avec des pays qui utilisent la même monnaie. La monnaie commune n’est donc pas responsable, même si nous n’avons pas compris que l’entrée dans la zone euro nous obligerait à être compétitifs. Nous ne pouvons donc pas nous permettre indéfiniment d’avoir des déficits publics et commerciaux, sans quoi nous pourrions avoir un jour une crise de notre balance courante. Il faut donc que les Français se réveillent et se remettent au travail. 

Du fait de l’affaiblissement Français et de la désindustrialisation, le pouvoir politique européen est passé de la France à l’Allemagne. À partir du moment où le modèle Français a montré ses failles, les individus se sont tournés vers l’Allemagne, qui a amélioré sa position à partir des réformes de Schröder puis Merkel. La France, initialement bien positionnée dans la compétition internationale, a progressivement vécu un déclassement à partir de la mise en place de 35 heures et de l’euro. Elle a perdu le leadership politique de l’Europe. Avant cela, lorsqu’elle était encore en position de leader en Europe, de 1950 à 2010, elle menait ce qu’on peut appeler une « politique européenne en Europe », c’est à dire une politique bénéfique pour l’ensemble des pays européens. Quand ce leadership est passé de la France à l’Allemagne, ces derniers menaient une « politique allemande en Europe », qui était uniquement favorable à leurs propres intérêts. Ils ont une dent contre la France et ne se gênent pas pour écraser les Français à la moindre occasion. Tout cela conduit à une perte de vitesse de la France. Nous sommes aujourd’hui marginalisés et nous nous retrouvons dans une situation déplorable, avec une dette publique qui augmente massivement. Il va falloir mener des ajustements massifs mais les Français n’y sont pas préparés. De plus, nous sommes depuis 20 ans dans une situation où les élites françaises considèrent l’industrie comme une activité du passé, sans comprendre que sans une industrie puissante il n’est pas possible de peser sur les plans économiques, politiques et stratégiques au niveau européen et mondial. 

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