Le naufrage : Emmanuel Macron, l’homme qui s’acharnait à devenir le pire président de la Ve République<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron s'est vu être critiqué par bon nombre d'ambassadeurs pour sa position alambiquée sur le conflit israélo-palestinien.
Emmanuel Macron s'est vu être critiqué par bon nombre d'ambassadeurs pour sa position alambiquée sur le conflit israélo-palestinien.
©Bertrand GUAY / AFP

Critiqué

Emmanuel Macron s'est vu être critiqué par bon nombre d'ambassadeurs pour sa position alambiquée sur le conflit israélo-palestinien.

Denis  Jeambar

Denis Jeambar

Denis Jeambar est journaliste et auteur. Il a été rédacteur en chef d'Europe 1 et l'Express. Il collabore aujourd'hui à Public Sénat et Marianne. Il a récemment écrit Ne vous représentez pas ! Lettre ouverte à Nicolas Sarkozy (Flammarion - 2011)

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Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : Grogne, colère et doutes se font grandissant au sein de l'appareil d'Etat ou à l'étranger. La diplomatie française a fait part de ses contrariétés concernant les choix d'Emmanuel Macron sur le Proche-Orient. Que révèle cette séquence sur la façon de gouverner du Président ? 

Denis Jeambar : Cette séquence ne révèle rien sur Emmanuel Macron et ne fait que confirmer ce qu'on sait de lui depuis le début de son de son premier mandat et bien entendu à partir du second aussi. Tout a été dit par Emmanuel Macron. C'est l'exercice jupitérien du pouvoir. Cet homme ne fait confiance qu'à lui-même et il ne fait pas confiance aux structures existantes. 

Sur la diplomatie, on sait très bien qu'il a ordonné une réforme du Quai d'Orsay pour l'affaiblir. D’une certaine manière, j'ai envie de dire de lui de réduire son influence. Pour ces questions du Proche-Orient, il y avait en effet une politique proche orientale assez claire au Quai d'Orsay, définit par le général de Gaulle, reprise par ses successeurs et notamment par François Mitterrand et Jacques Chirac. Emmanuel Macron se vit en homme libre au-dessus de tout le monde et qui entend définir tout seul sa politique. Au risque de se perdre comme il le fait aujourd'hui dans un exercice auquel il n'est pas habitué. Rappelons-nous que cet homme n'avait pas de passé politique et diplomatique avant d'arriver au pouvoir. Il expérimente des situations difficiles, complètement nouvelles. Il ne fait confiance qu'à son intelligence et à lui-même. Il déroute absolument tout le monde : ses administrations aussi bien que ses partenaires. Sa majorité aussi.

Vincent Tournier : Il est tentant de dire qu’Emmanuel Macron ne sait pas où il va, qu’il est versatile ou incohérent. Mais on peut faire une autre analyse. La réaction des diplomates, dont on ne connaît pas la teneur exacte, qui reproche au président d’avoir abandonné la position équilibrée de la France au Proche-Orient, montre que le pouvoir est confronté à un appareil d’Etat devenu autonome qui entend peser sur les choix politiques. C’est ce que certains appellent « l’Etat profond » et que l’on retrouve dans d’autres pays démocratiques. Donc, le problème réside peut-être moins dans les fluctuations d’un président erratique que dans la difficulté pour celui-ci d’être suivi dans ses décisions. Or, plusieurs signes indiquent que ce problème se développe, comme si on assistait à une forme généralisée de contestation. Par exemple, des médecins viennent d’annoncer qu’ils continueraient de mettre en œuvre l’AME (Aide médicale d’Etat, qui concerne les soins gratuits pour les migrants clandestins) si le Parlement vote sa suppression.

On a également vu le Conseil d’Etat s’opposer à la demande du ministre de l’Intérieur de dissoudre les Soulèvements de la Terre sur la base d’un argumentaire stupéfiant, et le même Conseil d’Etat a refusé l’an dernier de dissoudre des organisations pro-palestiniennes qui n’ont pourtant aucun scrupule à justifier la violence.

Il ne s’agit pas de prendre la défense du président, qui a sa part de responsabilité dans ses atermoiements. Mais on peut se demander si le roi n’a pas tendance à être de plus en plus fragile. Notre société se plait à justifier la critique, la désobéissance, la résistance au pouvoir. Chacun se veut libre de faire prévaloir sa conscience à chaque instant, même contre la loi et les dirigeants élus. C’est un peu le syndrome de la Résistance pendant la Seconde guerre mondiale, sauf que nous ne sommes plus sous le régime de Vichy, et qu’aucun régime politique ne peut vivre dans la contestation permanente.

Sa déclaration à la BBC condamnant "Israël qui tue des bébés et des civils" ou encore sa sortie récente sur la marche contre l'antisémitisme "Protéger les Français de confession juive, ce n’est pas mettre au pilori ceux de confession musulmane". Comme si la lutte contre l'antisémitisme se faisait contre les musulmans. Pourquoi ce défaut de sens politique ? 

Denis Jeambar : Emmanuel Macron est un homme extrêmement intelligent et relativement cultivé, voire très cultivé. Mais il n'a pas de n'a pas de colonne vertébrale. Il n'a aucune vision des choses. Emmanuel Macron ne synthétise pas une approche globale. C'est un homme de l'instant, donc il commente. Il agit en fonction de l'instant des situations qu'il doit affronter et peut être aussi de ses émotions. Voilà pourquoi on a cette politique en zigzag aussi spectaculaire et comme rarement vu. 

Depuis les pogroms du 7 octobre, Emmanuel Macron se rend en Israël où il apparaît presque comme un « va t en guerre ». Depuis, c’est des zigzags. Il dit le contraire de ce qu'il a dit puisque maintenant il demande des cessez le feu. Ça ne définit pas une politique. Au fond, c'est un dévoiement du « en même temps » et cela nous en dit beaucoup sur lui. Emmanuel Macron entend être tout à la fois et, en même temps, il ne devient rien. Il est l'incarnation de la politique de l'éphémère. Il réagit au coup par coup minute par minute, heure après heure, jour après jour. Il adapte son discours en fonction des faits et des circonstances. 

Quand vous n'avez pas une approche globale, synthétique ou une vision sur la question du Proche-Orient, vous êtes comme une coquille de noix ballotée par les vagues. Que veut-il pour le Proche-Orient? Moi, je suis absolument incapable de le dire. Il n'a jamais défini la politique qu'il entend mener. Résultat, il déroute tout le monde y compris ses partenaires européens. Emmanuel Macron pense (enivré peut-être par son propre pouvoir) que la France peut apporter des solutions au Proche-Orient. Mais c’est ignorer la place réelle de notre pays ! Même si nous sommes au Conseil de sécurité, nous sommes une puissance de plus en plus moyenne.  Quand on voit la place de la France dans le classement mondial des puissances économiques, il est évident, si on est lucide, que la France ne peut pas apporter toute seule les réponses au Proche-Orient. C’est là que je n’arrive pas à suivre Emmanuel Macron et que je ne vois pas chez lui la moindre colonne vertébrale. Cet homme a multiplié les discours pro-européens assez convaincants. Il avait une chance historique de rassembler l’Europe derrière lui avec une diplomatie commune pour peser sur le Proche-Orient. Il ne l’a pas fait. Emmanuel Macron a agi en solo et n’a consulté aucun de ses partenaires. Résultat, quand il réclame un cessez-le-feu ; le chancelier allemand dit non. Emmanuel macron contribue à la démolition du rêve européen qu’il nous a vendu. 

Vincent Tournier : Il faut partir de la phrase exacte du président, qui est la suivante : « de facto, aujourd'hui, des civils sont bombardés. De facto, ces bébés, ces femmes, ces personnes âgées sont bombardés et tués »  (« De facto, today civilians are bombed. De facto, these babies, these ladies, these old people are bombarded and killed »). Relevons que cette phrase repose sur une tournure impersonnelle (il dit des femmes et des bébés « sont tués »). Autrement dit, formellement, le président reste factuel et ne désigne pas un auteur. Ce serait autrement plus grave si le président avait dit « Israël tue des femmes et des bébés », ce qui reviendrait alors à instaurer une responsabilité collective pour la population israélienne et à colporter l’un des pires clichés antisémites qui soit, à savoir que les juifs tuent des enfants.

Cela étant, le propos présidentiel reste quand même très problématique, d’une part parce qu’on ne sait pas grand-chose sur les victimes à Gaza (combien ? qui ?), dont une partie est très probablement causée par le Hamas lui-même, d’autre part parce que ce qui a été retenu de son interview est : « Israël tue des femmes et des enfants ». Remarquons que cette interview a été donnée en anglais à la BBC, et que la vidéo n’est pas disponible sur le site de l’Elysée. Le président ne semble donc pas s’adresser aux Français, il cherche plutôt à rééquilibrer sa position initiale pro-israélienne ainsi que sa proposition qui consistait à créer une coalition militaire contre le terrorisme, ce qui n’a rencontré aucun écho chez nos partenaires européens dont la plupart se désintéressent totalement du terrorisme islamiste et du conflit israélo-palestinien. On peut présumer que la grande préoccupation du président est de ne pas se brouiller avec les pays musulmans et de limiter la vague de violences antisémites qui se déroulent en France depuis le 7 octobre.

Depuis le 7 octobre, date des massacres commis par le Hamas, le président est incapable de définir une ligne politique qui soit claire. En a-t-il une ?

Denis Jeambar : Economiquement, Emmanuel Macron est un libéral. Mais comme il veut embrasser tout le monde, il n'arrive à embrasser personne parce qu’il n'offre aucun projet, aucune vision. Nous avons vu la platitude de la campagne électorale de 2022. Il n'a jamais gagné que par défaut, y compris en 2017 ! A chaque fois, il était confronté à une personne, Marine Le Pen, dont les Français ne voulaient pas. 

Jamais Emmanuel Macron n'a offert une perspective aux Français. Jamais il n'a dit où il voulait emmener le pays ni quelle place il voyait pour la France dans le monde ou quel rôle, quelle vision, il avait vraiment de l'Europe et de la France dans l'Europe. C'est un exercice totalement solitaire du pouvoir, très différent de ce qu'on a dénoncé pour le général de Gaulle. Il est très difficile de savoir d'un jour sur l'autre où Emmanuel Macron veut aller.

Vincent Tournier : Le président a initialement tracé une ligne claire : condamnation ferme de l’attaque du Hamas, soutien à l’Etat d’Israël et proposition de créer une coalition contre le terrorisme. Cette position aurait logiquement dû être consensuelle : lorsqu’une démocratie amie subit une attaque terroriste de grande ampleur, tout le monde devrait faire bloc. Mais le problème est que trop de monde déteste Israël. Du coup, l’idée simple selon laquelle il faut tout faire pour éradiquer le Hamas n’est pas si évidente, et on voit même qu’elle est rejetée par des publics censés être avertis des périls totalitaires comme les étudiants ou les minorités sexuelles.

Pour compliquer la situation, l’antisémitisme est devenu un sujet explosif en France. La marche contre l’antisémitisme a révélé au grand jour l’ampleur des recompositions politiques. L’antisémitisme constituait jusqu’à présent une ligne de démarcation pour identifier l’extrême-droite. Or, le Rassemblement national a participé sans hésiter à la manifestation tandis que LFI a refusé de s’y joindre. Une bonne partie des élites médiatiques, culturelles et universitaires a basculé dans le camp palestinien, quitte à relativiser ou à excuser les massacres du 7 octobre. Dans un tel contexte, il devient très difficile d’adopter une position claire. Il faut au contraire multiplier les contorsions et les formules alambiquées, ou faire marche arrière comme l’a fait Emmanuel Macron. L’impossibilité pour le président de la République de participer à la manifestation contre l’antisémitisme, ou même simplement d’y envoyer son premier ministre, alors que les présidents des deux chambres y étaient, en dit déjà beaucoup sur la fragmentation du pays et sur la perte de repères d’une partie de la population. Le fait que le président ait pris conseil auprès de Yassine Belattar est une autre source d’interrogation. S’il voulait laisser entendre que le pouvoir est tributaire de gens peu recommandables, il ne s’y serait pas pris autrement.

Pourquoi le Président est-il incapable de soigner les fractures françaises, qu'elles soient sociales, culturelles, politiques ou ethno-religieuses ?

Denis Jeambar : Emmanuel Macron ne connaît pas le pays. C'est un homme qui est arrivé au pouvoir après un parcours technocratique et financier. C'est un homme qui n'a jamais été confronté aux réalités de l'existence. Il n'a jamais été élu local, il n'a jamais été député. Il n'a été que ministre sans faire le parcours politique qui vous permet de connaître la société française, d'en mesurer les forces, les failles, les défauts, les qualités et les faiblesses. Emmanuel Macron ne raisonne pour le pays qu'à partir de ce qu'il pense. Et ce qu'il pense n'est pas forgé par l'expérience.

Vincent Tournier : Plusieurs raisons se combinent. D’abord le président n’a pas une légitimité politique très forte, ce qui le pousse d’ailleurs à imaginer de nombreuses options pour pallier ce déficit, comme ces fameuses rencontres de Saint-Denis avec les dirigeants des partis politiques, qui se dirigent manifestement vers une impasse. Ensuite les possibilités d’action du pouvoir se sont fortement réduites en raison de l’affaiblissement de l’Etat face au marché, aux tribunaux et aux institutions européennes.

Enfin, il faut ajouter que la politique n’est pas la médecine. Ce n’est pas un domaine où il est possible d’appliquer des traitements efficaces, proposés par des experts ou des savants. Les fractures viennent de loin. Elles ont des causes profondes qui, non seulement sont difficiles à traiter, mais qui résultent aussi de choix collectifs. Par exemple, nous avons fait le choix d’ouvrir les frontières, d’adoucir la répression pénale ou encore d’accorder de grandes libertés aux individus. Ces évolutions apportent certes de nombreux avantages, mais elles ont aussi leur lot d’effets pervers. Dernière illustration en date : le Conseil constitutionnel vient de censurer la disposition qui permettait aux services de police d’activer à distance les téléphones portables afin de capter des images et des sons. Cette décision est parfaitement légitime au regard de la nécessaire protection de la vie privée, mais on comprend aussi qu’elle ne va pas faciliter la mission des enquêteurs, alors même que le crime organisé est en plein essor. Or, le crime et les trafics contribuent fortement aux fractures actuelles. Ils créent un climat de peur, incitent les gens à fuir certains quartiers, dissuadent certains publics de chercher du travail, aggravent la corruption à tous les niveaux, etc. Le problème est que la résolution de certains problèmes supposerait de mettre en cause des acquis importants de nos sociétés modernes. C’est un peu la même difficulté pour le réchauffement climatique.

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