Le match des titans : les optimistes Xavier Niel et Bernard Arnault contre Giscard ou les Cassandre de Wall Street, qui a vraiment raison sur l’économie française ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Valéry Giscard d'Estaing et Bernard Arnault.
Valéry Giscard d'Estaing et Bernard Arnault.
©Reuters

Stop au French bashing !

D'un côté, deux patrons emblématiques français (Bernard Arnault de LVMH et Xavier Niel de Free) disent stop au "French bashing". Selon eux, le pays est bien parti pour se redresser et offre des opportunités. De l'autre, Einhorn, patron du hedge fund américain Greenlight Capital, estime que la dette française est sous-évaluée par les marchés. Enfin, pour Valéry Giscard d'Estaing, la France "risque de se retrouver dans la situation qu'a connue la Grèce" et de devoir "demander l'aide du FMI".

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Atlantico : Des optimistes ou des catastrophistes, qui vise le plus juste concernant l'état de l'économie française et ses perspectives à moyen terme ? 

Nicolas Goetzmann : L’économie française est une belle endormie. Le potentiel du pays est remarquable, aussi bien en termes de productivité que de démographie mais ce potentiel est brisé dans l’œuf. Le pays tourne à vide depuis l’entrée en crise en raison de l’inaptitude européenne à en traiter les causes. Le problème majeur est que plus le temps de la réforme se fait attendre, plus le potentiel du pays se désagrège. En réalité, soit la Banque centrale européenne adapte le niveau d’activité au potentiel économique européen et français, soit les pays devront s’adapter progressivement à la faible activité européenne voulue par la BCE. C’est la seconde solution qui est en place depuis 6 ans et qui explique la destruction progressive de l’outil de production du pays.

La BCE force l’économie française, et les autres, à s’adapter à la médiocrité d’une croissance nulle, avec pour objectif avoué de les rendre « plus compétitives ». Malheureusement, il est aujourd’hui parfaitement clair que cette technique ne fonctionne pas et qu’elle présente un risque politique majeur en faisant souffrir inutilement les populations.

L’aspect dramatique du contexte actuel est de regarder cet exécutif totalement persuadé de son diagnostic et qui s’écrase misérablement sur le mur de son absence de résultats. Et ce, sans aucune remise en question apparente. C’est le syndrome typique du « il faut aller plus loin ». Parce qu’émettre la simple hypothèse de s’être trompé depuis le départ ne semble pas faire partie du logiciel de pensée : l’exécutif a raison et c’est la réalité qui a tort. C’est la logique économique actuelle d’un pays qui court, en effet, à la catastrophe. Cependant, la résilience économique du pays est plus importante que sa résilience politique. L’exécutif sombrera avant l’économie du pays. Il y a donc un espoir.

Jean-Paul Betbèze : D'abord, il n'y a rien de pire que le "French bashing". C'est toujours de la "haine de soi" et, pour quelqu'un qui veut réussir, c'est marquer contre son camp. La seule voie qui gagne est celle de la critique constructive, autrement dit qui apporte des solutions.

Oui les patrons, en allant de la grande entreprise à la TPE et à la start up s'épuisent ici, non seulement face à des coûts plus élevés que leurs concurrents et à des règles de plus en plus complexes, mais aussi face à une administration qui ne les aide pas, alors qu'ils sont du côté de la croissance et de l'emploi. Ne pas encourager à un vrai dialogue dans l'entreprise, comme en Allemagne, pour en faire un objet de tensions permanentes et pas de richesses à partager, est la source véritable de nos problèmes.

Les deux "patrons emblématiques" dont vous parlez ont réussi et aident au mieux les autres. Autrement dit, ils ont passé depuis longtemps la "vallée de la mort" des cinq premières années qui suivent la création de l'entreprise et franchi sans encombre les "seuils sociaux" qui tétanisent tant de leurs confrères. Ils représentent la France qui avance et il serait dramatique qu'ils la quittent ou la dénigrent. Mais ceci ne veut pas dire qu'ils ne pensent pas qu'il faut aller plus vite dans les réformes, en montrant plus de courage politique et social.

Quant au spéculateur américain qui joue contre la dette française, il fait comme tous les spéculateurs : il repère des faiblesses et prend un haut parleur, pour que d'autres le suivent. Spéculer, c'est préparer une position financière, en l'espèce parier que les taux français vont remonter, puis faire le plus de battage possible pour convaincre d'autres acteurs de faire pareil, et ainsi d'avoir raison... Et gagner beaucoup d'argent. La seule vraie façon de lutter contre une position spéculative est de montrer qu'elle est infondée, donc perdante, en faisant les réformes qui s'imposent.

Les patrons que vous citez, et ils ne sont pas les seuls loin de là, ne sont pas "optimistes" mais plutôt volontaristes. Ils savent que la France a commencé à bouger et qu'il faut absolument l'aider. Les "catastrophistes" jouent en réalité le jeu destiné à les enrichir. A nous de leur donner tort en faisant les réformes qui s'imposent... depuis longtemps.

Croissance nulle, risque de déflation, chômage en hausse constante et déficit persistant... Le worst case scenario envisagé par Einhorn, soit une vente massive des titres français et donc une révision à la hausse des taux d'emprunt par la France, est-il prévisible ou tout du moins possible ? La France vit-elle au-dessus de ses moyens, au point de demander l'aide du FMI ?

Nicolas Goetzmann : « La France vit au-dessus de ses moyens », la France « doit ranger sa chambre », « faire ses devoirs » etc… tout ce vocabulaire est vide de sens. Si la France vit au-dessus de ses moyens c’est parce qu’elle n’a pas de croissance depuis 6 ans. Si les revenus du pays augmentaient sur le même rythme qu’avant crise, cette discussion n’aurait pas lieu d’être aujourd’hui. Ce qui signifie que le problème majeur du pays est le retour de l’activité économique, c’est-à-dire de la croissance.

Il suffit de regarder ce qui se passe aux Etats-Unis pour le comprendre. En 2010, le niveau de déficit y était de 12.1% du PIB et il sera proche de 2.8% pour cette année 2014. La réduction des déficits a donc été massive : - 9.3% sur cette période. Pour la France, le déficit est passé de - 7.5% en 2009 à - 4.4% pour 2014, soit seulement une baisse de 3.1%, c’est à dire trois fois moins que les Etats Unis.

Ce qu’il faut comprendre ici, c’est que les Etats-Unis sont parvenus à résorber leurs déficits d’abord en soutenant la croissance par l’intermédiaire de la Réserve Fédérale américaine. En Europe, le pari est inversé, on tente de résorber les déficits en baissant les dépenses, c’est-à-dire dans le dur et sans croissance. Mais une telle stratégie est vouée à l’échec. Il ne sera possible de réduire les dépenses qu’à partir du moment où la BCE soutiendra l’activité. Sans cela, la baisse des dépenses « à la dure » s’apparente à scier le branche sur laquelle on est assis.  La France a beaucoup d’efforts à faire, mais ces efforts ne seront payants et efficaces qu’à partir du moment où la BCE fera son boulot.

Jean-Paul Betbèze :Oui la France vit au dessus de ses moyens, et depuis des années. Oui elle ne se reforme pas assez, surtout dans le public. Oui elle n'a pas compris que la zone euro aide, mais si et seulement si on en comprend les règles - notamment qu'on ne peut plus dévaluer le Franc qui a disparu, et qu'il est donc suicidaire de hausser les salaires au delà de la hausse de la productivité. 

Tout ce qui se joue aujourd'hui, sous la pression de la Commission, c'est de faire entrer la France dans une trajectoire vertueuse de réduction de son déficit public. Le choix politique francais est celui du gradualisme, face à des demandes externes d'accélération. Mais de là à penser que la France va sombrer, c'est commettre une erreur. La crise de la France, ce serait en effet celle de la zone euro, personne n'y a intérêt, dans la zone bien sûr, et au dehors, notamment en Chine, une Chine qui serait alors face aux seuls Etats-Unis. Sans oublier que la France a du ressort !

Xavier Niel nous assure que "la France est un pays fantastique pour créer des entreprises (...) c'est beaucoup plus facile que dans la 'Silicon Valley' par exemple où tout le monde se bat". Création du statut d'auto-entrepreneur, "choc de simplification", etc. Vrai ou faux ? La France doit-elle poursuivre en profondeur la réforme de son marché du travail, le rendre plus flexible, pour renouer avec la compétitivité internationale ?  

Nicolas Goetzmann : La France est une puissance économique majeure. Lorsque l’exécutif déplore le « France bashing », il devrait se rendre compte que les critiques sont adressées au gouvernement lui-même et non au pays en général.

Donc oui, la France est un pays formidable pour investir, pour créer, mais c’est surtout vrai pour le secteur économique auquel appartient Xavier Niel. Pour le reste, il est tout de même nécessaire de réformer pour permettre le même dynamisme dans d’autres secteurs. Le contrat unique est toujours une bonne idée pour en finir avec le double marché de l’emploi en France. La baisse générale de la fiscalité pesant sur le travail est bien entendue nécessaire, mais encore une fois, de tels projets ne pourront offrir leur plein potentiel qu’à partir du moment où la croissance sera de retour. Le risque de mener ce type de réformes sans croissance, est de ne pas en voir les résultats, et donc de s’aliéner l’opinion à long terme sur de telles réformes.

A l’inverse, un programme clair mettant en œuvre 3 ou 4 grandes réformes de façon simultanée, avec une date de début symbolique et un important plan de relance monétaire concomitant, et ce sont les étincelles assurées.

Jean-Paul Betbèze : Oui, la France est moins folle que la Silicon Valley, mais cette Valley a quand même changé notre monde ! Nous avons ici les ingrédients pour remonter la pente, il faut les combiner avec de la souplesse et de la simplification, avec une fiscalité qui comprend ce qui se passe et surtout avec un grand mouvement de confiance dans la jeunesse et dans tous nos talents.

La flexibilité du marché du travail, ce n'est pas l'épouvantail qu'on nous présente, c'est la seule façon de réussir dans un monde plus ouvert que jamais. Non seulement nos structures économiques et sociales nous freinent, mais aujourd'hui elles nous font perdre. Il est donc vital pour la grande majorité d'entre nous de les changer.

Bernard Arnault note un poids excessif de l'Etat qui étouffe la compétitivité des entreprises, mais voit qu'avec "les mesures qui sont prises, cela démarre, on part dans la bonne direction". La France doit-elle faire plus pour rentrer dans les clous européens d'un côté et plus en direction de ces entreprises de l'autre côté pour renouer avec la croissance et l'emploi ? Allègement du coût du travail, de la fiscalité d'un côté et réduction des dépenses de l'autre, quelles pistes doit-elle suivre ?

Nicolas Goetzmann : Avec LVMH, Bernard Arnault fait environ 10% de son chiffre d’affaire en France, et environ 30% en Europe. C’est-à-dire que le groupe dépend essentiellement du niveau de la demande extérieure, soit près de 60% entre l’Asie et les Etats Unis.

La croissance du groupe a donc bien profité du soutien de l’activité par les banques centrales, américaine, chinoise, ou japonaise. Et LVMH aurait tout à gagner d’un soutien équivalent à l’économie européenne. Car une croissance européenne qui tourne à 5% en nominal (c’est-à-dire en comptabilisant l’inflation) signifie que l’Europe deviendrait à nouveau le centre de toutes les attentions.

La France est un marché de 65 millions de consommateurs, avec un niveau de vie élevé mais qui ne progresse plus. Le potentiel est donc gigantesque pour toute entreprise. Il suffit de lui redonner le souffle dont il a besoin par la relance de la demande, c’est-à-dire par une réforme de la BCE, si celle-ci est possible, ou alors d’en tirer toutes les conséquences, et de l’accompagner des réformes de l’offre déjà évoquées précédemment.

Jean-Paul Betbèze : Oui, le poids de l'Etat est excessif. Oui, il faut "entrer dans les clous"... mais parce qu'il s'agit de changer, de moderniser. Ce n'est pas d'austérité qu'il s'agit, mais de modernité. Apple existe !

On comprend que cette nouvelle bataille des anciens et des modernes, ou en réalité de la défense des avantages acquis contre la croissance et l'emploi, est un enjeu de société. Beaucoup avancent des arguments (économie de la demande, multiplicateur keynésien, risque de déflation...) pour freiner, mais à la fin des fins, c'est bien de la compétitivité du site France qu'il s'agit, avec un secteur privé qui doit devenir plus efficace encore et un secteur public bien plus moderne.

Le mot de la fin. La France peut-elle succomber malgré elle aux tentations du libéralisme ? Le devra-t-elle, contrainte par la scène européenne et la concurrence internationale ? Doit-elle en finir avec sa tendance à s'accrocher envers et contre tout à l'égalité (ou justice sociale) au détriment de la liberté (économique) ? 

Nicolas Goetzmann : Cela dépend de ce que l’on entend par libéralisme. S’il s’agit de sa version poussiéreuse qui consiste à dire « l’offre créé la demande » comme le disait François Hollande en janvier dernier, il est préférable de le laisser au placard. Le plus curieux d’ailleurs est que ce « néo libéralisme » n’a rien de « néo », tout y est vieux. Et principalement le rôle de la monnaie. Car il s’agit de libéraux qui n’ont pas lu Milton Friedman qui est pourtant « le » grand libéral du XXe, et qui n’ont même pas fait l’effort de lire les théories de leurs adversaires Keynésiens. C’est une sorte de libéralisme révélé, dont les fondements reposent sur « le bon sens » et « la morale ».

C’est bien joli, mais ce n’est pas de l’économie, et encore moins de la macroéconomie dont les bases sont totalement contrintuitives. Oui au libéralisme, mais au libéralisme de la FED aux Etats Unis, celui de la relance et du plein emploi, celui des salaires à la hausse et de la croissance. Le libéralisme « mercantiliste » européen, dont les bases reposent sur l’ordolibéralisme allemand est à l’œuvre depuis 6 ans en Europe, avec des résultats aussi grotesques que monstrueux. Il sera la risée des livres d’histoires. Il est temps de passer à une théorie économique qui offre des résultats plutôt qu’à celle qui met en avant les délices de la vertu et de la morale.

Jean-Paul Betbèze : Le seul avantage des grandes crises, quand elles deviennent des crises de société, c'est de conduire à l'essentiel. Voilà bien où nous en sommes !

Liberté d'abord et avant tout, autrement dit respect de l'initiative, du risque et de la propriété. L'égalité est celle des chances, des possibilités, des épanouissements personnels. Et la fraternité vient du fait que ceux qui réussissent plus contribuent plus au fonctionnement de la société, pour qu'elle soit plus libre et ouverte aux idées et aux projets. Il nous faut donc sortir de l'opposition entre liberté et égalité pour retrouver le sens profond, dynamique et révolutionnaire de nos trois valeurs fondamentales.

Propos recueillis parFranck Michel / sur Twitter

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