Le Maroc : premier allié des Européens sur leur flanc sud dans la nouvelle « guerre froide » qui s’annonce<!-- --> | Atlantico.fr
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Le roi d'Espagne Felipe VI et le roi du Maroc Mohammed VI se rencontrent à Rabat le 13 février 2019.
Le roi d'Espagne Felipe VI et le roi du Maroc Mohammed VI se rencontrent à Rabat le 13 février 2019.
©STRINGER / AFP

Diplomatie

Le Maroc a fait savoir que l’Espagne considérait désormais « l’initiative marocaine d’autonomie, présentée en 2007, comme la base la plus sérieuse, réaliste et crédible pour la résolution du différend » relatif à la question du Sahara occidental.

Jean-Thomas Lesueur

Jean-Thomas Lesueur

Titulaire d'un DEA d'histoire moderne (Paris IV Sorbonne), où il a travaillé sur l'émergence de la diplomatie en Europe occidentale à l'époque moderne, Jean-Thomas Lesueur est délégué général de l'Institut Thomas More

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Beaucoup d’analystes ont expliqué qu’en agressant l’Ukraine comme elle l’a fait, la Russie de Vladimir Poutine a « ressuscité l’Alliance atlantique » en lui rendant un ennemi identifié et à ses portes. On n’en est plus au temps, pourtant pas si lointain, où un président de la République parlait avec légèreté de la « mort cérébrale » de l’OTAN. Allez dire cela aux Baltes, aux Polonais ou aux Roumains aujourd’hui ! Que cela plaise ou non, la défense de l’Europe passera par l’OTAN pour de nombreuses années encore.

Plus globalement, la situation créée par Vladimir Poutine invite à réfléchir à l’importance redonnée aux systèmes d’alliance dans le monde. En effet, la multipolarité, tant vantée par certains ces dernières années, signifie au vrai désordre et fragmentation du monde, sur fond d’affrontement de blocs. Si, bel et bien, c’est une nouvelle « guerre froide » qui prend forme dans les combats de Marioupol, Kharkiv et Kiev, chacun sera sommé de choisir son camp et les systèmes d’alliances redeviendront cruciaux.

L’attitude de la Chine dans le conflit ukrainien doit à ce titre nous faire réfléchir. Ceux qui la qualifient d’« ambigüe » ou d’« attentiste » ont tort. Elle ne cesse de réaffirmer son soutien à la Russie et, surtout, partage avec elle le dessein géopolitique de l’avènement d’un monde post-occidental. Pour autant, bien plus que Moscou, Pékin travaille-t-il à l’édification patiente d’un réseau d’interdépendances géopolitiques, politiques, économiques qui pourrait porter en germes un futur système d’alliance. Les fameuses routes de la soie, son travail discret mais acharné à bâtir un système alternatif de normes, son activisme dans les organisations internationales (à commencer par l’OMS), le système de paiement interbancaire CIPS, la présence dans le monde entier (y compris en Europe) de la Banque asiatique d'investissement dans les infrastructures (BAII), etc., sont autant de pièces du puzzle en devenir de la domination chinoise. Certains se rassureront en expliquant qu’il y manque l’essentiel : un grand récit et l’attractivité. Voire.

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En tout état de cause, ce que nous vivons en ces lourdes semaines réactualise, nous l’avons dit la question des alliances, en particulier pour nous autres Occidentaux. Nous avons dit un mot de l’OTAN en commençant, n’y revenons pas. De l’Indopacifique au Moyen-Orient, en passant par la Méditerranée et l’Afrique, nous avons besoin d’alliances, de nouvelles à bâtir, d’existantes à renforcer.

Dans la région Indopacifique, il existe le Quad, alliance entre quatre pays (Japon, États-Unis, Australie et Inde), qui devient un acteur incontournable face à la Chine et dont la France devrait travailler à se rapprocher – l’affaire dite « des sous-marins australiens » ayant montré, au-delà de la très mauvaise manière qui nous a été faite, que la France est une puissance secondaire et fragile dans la zone. Au Moyen-Orient, les accords d’Abraham, signés en septembre 2020 entre Israël, Bahreïn et les Émirats arabes unis et prolongé par l’annonce en décembre de la même année d’un accord de normalisation diplomatique entre Israël et le Maroc, ont initié une dynamique fragile mais précieuse face à l’internationale chiite qui s’étend de l’Iran au Liban.

Sur le flanc sud de l’Europe, plusieurs arcs de crise menacent. Rappelons les tensions déjà vives en Méditerranée orientale mais auxquelles risquent de venir s’ajouter les effets de la rivalité pour la domination de la mer Noire, maintenant que la Russie a découvert son jeu. L’attitude de la Turquie sera à surveiller de très près. Au Maghreb, la Libye est devenue un condominium russo-turc aux portes de l’Europe et la Tunisie s’enfonce dans la crise politique. Quant à l’Algérie, l’immobilisme ne saurait occulter l’usure du système politique. Plus au sud, la zone sahélo-saharienne est en passe de devenir un trou noir géopolitique, zone de tous les dangers où aucune solution politique ni locale, ni régionale n’émerge face au terrorisme islamiste et à la décomposition politique.

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Dans ce sud incertain, un seul pays tient : le Maroc. C’est avec lui qu’il faut renforcer l’alliance. C’est ce que semble avoir compris l’Espagne. Madrid vient en effet d’accomplir un acte stratégique important en reconnaissant le plan marocain d’autonomie du Sahara occidental comme « la base la plus sérieuse, réaliste et crédible pour la résolution du différend » qui oppose Rabat à Alger depuis 1976. Désireux de mettre un terme à la crise qui opposait les deux pays depuis avril 2021, l’ancien colonisateur rejoint la France et l’Allemagne dans le camp des soutiens à la solution marocaine.

Cette décision, qui fâche déjà Alger, montre la voie. Le Maroc est le seul pays stable de la région, avec une stabilité politique éprouvée (trois élections législatives et deux alternances depuis 2011, année du Printemps arabe), un développement économique impressionnant (même si la question de la répartition des fruits de la croissance reste ouverte) et la promotion d’un « islam du juste milieu » qui tranche dans un monde musulman travaillé par l’islam politique et l’islamisme. Cette stabilité intérieure contribue à la stabilité géopolitique qui est le dernier aspect de la puissance d’équilibre que s’efforce d’être le pays.

Situé à l’extrême-Occident de plusieurs mondes en crise, on l’a dit, et à l’intersection méditerranéenne de l’Afrique et de l’Europe, le Maroc est tout simplement incontournable. La fermeté de ses positions et la portée de ses alliances (avec les États-Unis, l’Europe mais aussi les Émirats arabes unis, on l’a vu) sont des signaux favorables. Son devenir ne peut nous laisser indifférents : la sécurité et la stabilité de l’Europe, considérée par ses adversaires comme le « ventre mou » de l’Occident, sont en jeu. Tout cela milite pour faire du pays, en passe d’accéder au rang de première puissance régionale, le premier de nos alliés dans la zone.

Jean-Thomas Lesueur, directeur général de l'Institut Thomas More

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