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Le Japon à la croisée des chemins
©Kazuhiro NOGI / AFP

Le point de vue de Dov Zerah

Alors que les perspectives économiques de la Chine s'annoncent encourageantes pour l'année 2021, la situation du Japon semble plus fragile. Dov Zerah revient sur les spécificités de ce pays qui pourrait tenir tête à la Chine.

Dov Zerah

Dov Zerah

Ancien élève de l’École nationale d’administration (ENA), Dov ZERAH a été directeur des Monnaies et médailles. Ancien directeur général de l'Agence française de développement (AFD), il a également été président de Proparco, filiale de l’AFD spécialisée dans le financement du secteur privé et censeur d'OSEO.

Auteur de sept livres et de très nombreux articles, Dov ZERAH a enseigné à l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences Po), à l’ENA, ainsi qu’à l’École des hautes études commerciales de Paris (HEC). Conseiller municipal de Neuilly-sur-Seine de 2008 à 2014, et à nouveau depuis 2020. Administrateur du Consistoire de Paris de 1998 à 2006 et de 2010 à 2018, il en a été le président en 2010.

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Mes dernières chroniques ont porté sur l’affirmation continue de la Chine, accentuée depuis le déclanchement de la pandémie. La question est de savoir quel pays ou groupe de pays arrêterait ou envisagerait d’arrêter l’Empire du Milieu, quelles circonstances contrarieraient Pékin ?

Ce questionnement conduit à s’interroger sur le rôle du Japon. Mais, il est aujourd’hui confronté à de nombreuses contradictions. La première d’entre elles est que la défense de l’archipel nippon est assuré par les États-Unis alors qu’ils ont engagé depuis plus de dix ans une politique de repli, ce qui atténue considérablement sa crédibilité. En 1919, sur 1 917 Md$ de dépenses militaires de par le monde, 732 Md$ ont été assurés par les Américains, 261 par la Chine, 71 par l’Inde, 65 par la Russie…, et 47,6 par le Japon. Il aura d’extrêmes difficultés pour se protéger s’il ne remet pas en cause le fameux article 9 de sa constitution d’après-guerre et ne s’engage pas dans un intense programme de réarmement, comme il l’a fait dans les années trente au siècle dernier.

Or, depuis de nombreuses années, Pékin multiplie les incursions dans les eaux territoriales japonaises des îles Senkaku où habitent 50 000 personnes. Pour faire face à cette expansionnisme militaire, Tokyo a déployé sur l’île la plus méridionale, Ishigaki, des Forces terrestres d’autodéfense (FAD), nom donné en 1947 à l’armée japonaise, car le pays ne peut avoir de forces offensives selon les termes de sa Constitution pacifiste. Mais l’Empire du soleil levant ne fait pas le poids face à la Chine. Au-delà de cette faiblesse vis-à-vis du grand voisin, il s’est économiquement mis dans un état de dépendance à son égard, proportionnelle au volume des échanges commerciaux.

Par ailleurs, le Japon a du mal à solder les comptes de la seconde guerre mondiale. De ce fait, il a des relations difficiles avec ses voisins.

Il n’a toujours pas signé de traité de paix avec la Russie clôturant la seconde guerre mondiale à cause de l’archipel volcanique des îles Kouriles constituant un arc de cercle de1 176 km commençant au large de l'extrémité est de l'île japonaise d’Hokkaido et s’achevant à proximité de la péninsule de Kamtchatka.

Les relations entre le Japon et la Corée sont tumultueuses de longue date, notamment à cause de la colonisation japonaise de 1905 à 1945, et de l’affaire des « femmes de réconfort ». Durant la seconde guerre mondiale, 200 000 femmes principalement coréennes, mais également chinoises ont été forcées de satisfaire des militaires japonais. Il a fallu attendre 1965 pour que des relations diplomatiques s’établissent entre Tokyo et Séoul. Cette affaire empoisonne les relations entre les deux pays :

  • En 2012, douze d’entre elles ont déposé plainte contre Tokyo devant une cour coréenne qui leur a donné satisfaction en imposant au gouvernement japonais de les indemniser.
  • Le sujet paraissait clos lorsqu’en 2015, sous les auspices de Washington et notamment du vice-président Joe BIDEN, les deux gouvernements ont conclu un accord aux termes duquel, Tokyo a présenté « ses sincères excuses » et versé 1 Mdyens (7 M€) à une fondation susceptible d’aider ces femmes toujours vivantes.
  • Mais le changement de majorité à Séoul en 2017 a fait ressurgir le sujet ; en 2018, alors que la moitié du milliard était versée, la Corée du Sud arrête tout le processus. Ce revirement coréen a créé un profond climat de méfiance entre les deux pays. Cette situation s’est dernièrement détériorée avec une nouvelle décision de la justice coréenne demandant 74 000 € pour chaque plaignante et une menace de blocage des avoirs japonais en Corée du sud.

Il faut espérer que la nouvelle administration BIDEN joue à nouveau les intermédiaires pour calmer le jeu et reconstituer un front uni face à la Chine.

Au-delà de ce contexte géopolitique, le Japon doit faire face à ses contradictions économiques. Avec la révolution du MEIJI au XIXème siècle, l’archipel a été le premier pays asiatique à s’ouvrir à la civilisation européenne, à la copier, et à effectuer son décollage économique. Après la défaite et la catastrophe des deux bombes atomiques, l’immédiat après-guerre a été marqué par une volonté de rattrapage économique. S’ensuivit une période de croissance et de plein emploi, favorisée par un capitalisme centralisé, planifié. Parallèlement, le monde économique s’est organisé sur la base du « toytotisme » qui repose sur un consensus social, voire sociétal, sur un accord tacite entre le patronat, les syndicats et l’Etat

Les deux décennies soixante-dix et quatre-vingt, ont vu l’affirmation de la puissance économique japonaise ; c’est son âge d’or, malgré une baisse de niveau de croissance après le premier choc pétrolier de 1973. Le planisme dirigiste a progressivement été abandonné dans les années 1980 et 1990, avec l’alignement de Tokyo sur les normes commerciales internationales.

Inquiets de leur déficit commercial croissant avec le pays du soleil levant, les États-Unis ont imposé, lors des accords du Plazza du 22 septembre 1985, une brutale appréciation du yen par rapport au dollar, + 56 % sur les onze mois qui ont suivi. Ce choc a entrainé une récession qui a duré plus de 10 ans. Après l’âge d’or, ce fût la décennie perdue. Au sortir de la crise, le Japon est toujours le premier créancier mondial, le premier détenteur mondial de devises. Mais, il a eu du mal à retrouver son rythme de croisière notamment à cause de la crise des subprimes de 2008-2009 et des conséquences de l’incident de Fukushima en 2011, sans négliger l’impact psychologique depuis 2010 avec la perte de la deuxième place mondiale au profit de la Chine.

Le gouvernement a dernièrement pris l’engagement de réduire les émissions de gaz à effet de serre à zéro d'ici 2050 pour viser une société neutre en carbone ; il mise sur l'importance de la technologie, l'innovation. Le Japon va promouvoir les batteries solaires de nouvelle génération, ainsi que l'utilisation des énergies renouvelables sans tourner la page de l'énergie nucléaire.

Mais le pays est confronté à une dette astronomique. 10 000 Md€, plus de 266 % du PI B, une dette détenue à plus de 40 % par la Banque centrale et par les agents économiques nationaux, banques, fonds de pension, ménages. Même si moins de 10 % sont détenus par des opérateurs étrangers, son niveau et son augmentation constante, surtout avec les dernières mesures pour lutter contre la pandémie, commencent à inquiéter.

Malgré cette dette, le gouvernement a adopté un programme de soutien à l'activité économique de près de 600 Md€ pour financer des investissements publics, des prêts à des institutions ou des entreprises, la digitalisation de l'administration, subventionner la décarbonisation de certains secteurs ou pour mettre en place des mesures de lutte contre la pandémie qui n'a eu, pour l'instant, qu'un impact sanitaire limité (330 610 contaminés et 4 524 morts à ce jour). Il a également approuvé pour l’exercice 2021/2022 un projet de budget pour 2021 d’ampleur inédite financé à plus de 40 % par l’endettement. De nombreux responsables mettent en avant les faiblesses de la structure du budget dont un tiers est consacré aux dépenses sociales, un quart au remboursement de la dette, ce qui laisse une faible part aux infrastructures et investissements d’avenir. Le Japon doit faire des choix déchirants et définir de nouvelles priorités publiques ; il ne peut plus s’appuyer sur la facilité de l’endettement, au motif qu’elle n’est pas attentatoire à l’indépendance du pays parce que souscrite et détenue par des nationaux.

Le pays du soleil levant est aussi confronté, va être confronté à un choc démographique. Le nombre d’habitants japonais ne cesse de diminuer, 128 millions en 2010, 126 en 2020, et devrait être de 106 en 2040, et passer sous la barre des 100 en 2050. L'impact du déclin démographique menace la société et l’économie :

  • La diminution de la population active entraînera une baisse du taux de croissance potentielle et, à plus ou moins brève échéance du PIB.
  • Le déclin économique fragilisera la capacité d’endettement du pays et risque d’entrainer l’économie japonaise dans une spirale négative.
  • Après la remise en cause de l’emploi à vie, le système de retraite ainsi que d’autres services de protection sociale risquent d’être soumis à des modifications.
  • Au-delà des impacts économiques et sociaux, le dépeuplement et la dénatalité affectera l’aménagement du territoire, et plus particulièrement les zones rurales.

Il est impératif que les autorités agissent pour redresser l’indice synthétique de fécondité (ISF) de 1,43 à 2,7/2,8 pour maintenir une population est de 2,7 à 2,8. À défaut, le Japon risque de devenir un maillon faible et une proie à toutes les tentations.

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