Le hold-up des mots : Nation, politique<!-- --> | Atlantico.fr
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Une photo prise le 11 juin 2020 à Paris montre une statue de Jean-Baptiste Colbert et un drapeau français sur le frontispice du Palais Bourbon.
Une photo prise le 11 juin 2020 à Paris montre une statue de Jean-Baptiste Colbert et un drapeau français sur le frontispice du Palais Bourbon.
©JOEL SAGET / AFP

Bonnes feuilles

Geoffroy de Vries publie « Le hold-up des mots » aux éditions de l’Archipel. Nos sociétés abusent d'une novlangue qui détourne le sens premier des mots. Geoffroy de Vries nous propose de redéfinir, de façon simple, vulgarisée et synthétique, les principaux termes du langage culturel et politique courant, trop souvent dévoyés pour des raisons idéologiques. Extrait 1/2.

Geoffroy de Vries

Geoffroy de Vries

Geoffroy de Vries est avocat au Barreau de Paris et avocat des maires du Collectif des maires pour l'enfance.

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Nation

L’idée de nation, qui semble avoir quasiment dis‑ paru du discours politique, puise son origine dans le latin natio qui suppose la notion de « naissance », puis « d’ensemble d’individus nés en même temps dans le même lieu ».

Nation, dès le XIIe siècle, désigne un ensemble d’êtres humains caractérisé par une communauté d’origine, de langue et de culture, et concurrence le mot « race », qui sera lui aussi un jour frappé d’interdit. La notion moderne n’émerge qu’avec la Révolution française pour devenir une entité politique assimilée et identifiée au tiers état, au peuple révolutionnaire, au point d’être défini par un arrêté du 23 juillet 1789 comme « une personne juridique constituée par l’ensemble des individus composant l’État » sans se confondre avec lui, mais impliquant l’idée de « spontanéité et la volonté de vivre en commun ». Par extension, nation « suppose une détermination spatiale, psychosociologique, économique et culturelle, parfois linguistique et ethnique », selon le Dictionnaire historique de la langue française.

Le mot se confond parfois avec « patrie » et évolue dans ses contenus par l’emploi du mot « national » qui en modifie le sens pour devenir, notamment, « ce qui appartient à l’État, et est géré par lui ». Ces précisions sont d’autant plus importantes qu’un certain flou, voire une suspicion due aux excès d’un nationalisme revanchard brouille le sens réel au profit d’un fantasme. Pour Ernest Renan, lors d’une conférence à la Sorbonne le 11 mars 1882 (« Qu’est-ce qu’une nation ? »), elle est « une âme, un principe spirituel » ainsi que « l’aboutissant d’un long passé d’efforts, de sacrifices et de dévouements ».

Une autre affaire est donc la naissance supposée de la nation française constituée comme un corps auto‑ nome et souverain. Pour certains, son développement embryonnaire apparaît dès le règne de Charles V, pour d’autre sous Louis XI ou sous Louis XIV. Pour beau‑ coup, la nation dans le sens moderne naît à Valmy, où la lutte pour la souveraineté suppose la cohésion d’un peuple conscient de son appartenance à un même corps vivant.

Une nation se constitue lentement, par un jeu d’agrégations, l’ensemble ou presque des peuples formant populations se reconnaissent comme appartenant à une même entité ; ils dépassent leurs appartenances locales, ne sont plus seulement basques, auvergnats, bretons, mais Français, et la nation ainsi formée reconnaît à son tour chaque individu comme une part entière de son identité. Cette double appartenance sup‑ pose une volonté réciproque, et aujourd’hui beaucoup la confondent avec un nationalisme rétrograde.

Cependant, cette collusion marque une faille dans l’acceptation des occurrences, car le nationalisme, comme « exaltation du sentiment national » encensé par Lamartine, devient aussi, avec Proudhon, une « aspiration à l’indépendance, politique, économique, d’une communauté opprimée ». Le nationalisme d’abord révolutionnaire devient populaire, puis bourgeois après 1848 et revendiqué par les partis de droite.

Comment s’étonner alors que son emploi soit de‑ venu aussi suspect ? Car le mot très connoté semble ne plus toujours correspondre à une réalité politique identifiable par tous. Nous pouvons le déplorer, car cette exclusion est le symptôme d’un profond malaise, comme s’il était aujourd’hui honteux d’appartenir à une nation, alors même que celles-ci existent. On parle bien de l’Organisation des Nations unies ! Sans doute les éclaircissements sont-ils aussi nécessaires que la pédagogie, et le rappel de ce que suppose l’existence d’une nation : agrégations, double reconnaissance, intégrations au fil de l’histoire de flux migratoires successifs, communauté de culture sans discrimination, de langue, volonté de vivre ensemble et conscience de former un corps qui garde en héritage de multiples composantes, des valeurs communes, un dessein collectif, un savoir-vivre, des valeurs non exclusives telles que la démocratie et ses exigences, ses vertus… Une nation est à la fois le fruit d’un héritage et une somme d’ajouts, de compatibilités, elle suppose toujours une unité – qui est celle aussi de la République et donc de sa constitution –, une unité dans la diversité, mais régulée par une volonté commune qui suppose assimilation plus que simple combinaison. Les spécificités qui la composent ne sont nullement exclusives, mais supposent bien au contraire une amitié. Et l’identité d’une nation se nourrit, comme en amour, d’un récit et d’un mythe fondateur.

Recourir sans hésitation à ce mot, qui fut si long‑ temps auréolé de fierté, de gloire, n’est pas une faiblesse ou la preuve d’un repli, mais la volonté commune d’une reconnaissance, la permanence d’un corps vivant qui n’aspire aucunement à détruire les autres corps… Lui redonner son lustre revient alors à lui assurer pérennité, avenir, surtout à une époque où la globalisation, la mondialisation, la gestion des flux migratoires semblent être des éléments de dissolution voire de dilution de ce corps.

Politique

Comme adjectif, ce mot qui tire son étymologie du grec polis, la cité, concerne la vie collective d’un ensemble constitué de citoyens. Par extension, il vise et concerne ce qui touche au gouvernement et à l’État. Il s’oppose en cela aux autres formes de vies sociales telles que l’administration, l’art, la justice. On entend par « philosophie politique » l’analyse des différentes formes de pouvoir, des rapports entre pouvoir et citoyens, les différents systèmes de gouvernement ou, dans une acception plus restreinte, la défense d’une conception de l’Histoire et de l’État, comme dans le marxisme.

La forme adjectivale a été rendue célèbre par une des plus fameuses phrases d’Aristote, tirée des Politiques : « L’homme est un animal politique. » Mais il faut l’entendre dans un sens précis. D’abord l’homme ne saurait se suffire à lui-même, et l’absence de vie hors d’un groupe social comme la famille, la cité ou l’État n’est pas supportable pour un être humain puisqu’il n’est pas né pour la solitude. Le philosophe en conclut que la vie en société est le naturel de l’homme. Ensuite, l’homme est un animal qui parle, il est doué de langage et peut ainsi véhiculer des jugements et des valeurs comme le bien et le mal, le juste et l’injuste. Le langage est donc de ce fait la condition de l’organisation d’une communauté. Remarquons au passage qu’une telle conception ne discrédite en rien la parole poli‑ tique ; bien au contraire, puisqu’elle est constitutive de sa nature. Nous sommes fort éloignés de la conception contemporaine du langage politique compris comme un mensonge ou une manœuvre…

Quand « politique » est un substantif féminin, il désigne la science, au sens de savoir, ou l’art de gouverner, mais également l’action politique elle-même, surtout lorsqu’elle vise la conquête du pouvoir. C’est dans ce cas que le sens devient péjoratif d’ailleurs, car il indique l’écart entre l’ensemble des citoyens et ses hommes politiques considérés comme une « élite spécialisée » et avide de ce pouvoir aujourd’hui si décrié… Si l’on en revient à Aristote, la politique n’a pas du tout le même but, puisqu’elle n’est nullement un choix égoïste ou opportuniste, mais une manière appropriée de vivre en société, et qui nous permet d’accomplir notre humanité.

La politique est moins frappée de discrédit que les politiques, dont la parole, justement, est de plus en plus dépréciée, sinon absolument discréditée. Le problème majeur des démocraties modernes se situe justement dans cette torsion entre les paroles et les actes. Raison pour laquelle les citoyens ne supportent plus ni la langue de bois ni l’usage du politiquement correct qui nous vient de la culture anglo-saxonne. Cette déception profonde, voire cette animosité à l’encontre de toute parole politique n’est pas qu’une crise de confiance ou une suspicion à l’endroit de la rhétorique, elle atteste d’un profond malaise, étranger à Aristote comme à Tocqueville ou Rousseau, pour ne citer qu’eux. Sans doute faut-il chercher les causes de ce rejet dans une trop grande suite d’« affaires » ou de dis‑ cours, promesses électorales non tenues, contre-vérités, tactiques politiciennes et oratoires… qui prouvent à celui qui déjà émet quelques doutes que la politique serait dépourvue d’une de ses dimensions essentielles : la morale ou, si l’on préfère, l’éthique, qui renvoie à une responsabilité profonde, une réflexion en vue du « bien agir ». Plus encore d’ailleurs, au sentiment de servir le bien commun et non des intérêts personnels ou particuliers… Et l’éthique renvoie à la morale, deux notions qui entrent en résonnance, notamment en ce qui concerne la politique. La morale, ce sont des principes à respecter. L’éthique, c’est un outil pour définir une méthode, gérer des comportements en vue du respect des principes. La morale, c’est la réponse sans poser la question. Et l’éthique, c’est la question sans la réponse. La morale, c’est le résultat et l’éthique, c’est le moyen.

La seconde moitié du XIXe siècle, jusqu’au général de Gaulle, pour schématiser, a vu à l’œuvre en poli‑ tique des tribuns remarquables pour leur probité, leur intelligence, leur culture, leur sens de l’engagement, portés par une vision d’avenir, qui forçaient l’admiration, même si l’on ne partageait pas leurs opinions. Ils étaient avocats, journalistes, pamphlétaires, des Clemenceau, Jaurès, Hugo… Certains ont payé leur engagement de leur vie. Certes, les « affaires » ne manquaient pas d’éclabousser la classe politique, mais sans doute pas autant qu’aujourd’hui.

Où sont les « grands hommes » aujourd’hui ?

Au lieu de susciter, non sans raison, méfiance, dégoût et rejet – ce qui souligne le mauvais état d’une démocratie –, la politique devrait bien au contraire stimuler le débat, nourrir le désir de partager ses convictions, savoir argumenter, défendre ses positions, un dessein, une vision, dans un langage que chacun pourrait croire et ainsi estimer… En somme, participer pleinement à la politique par une parole sincère, directe, honnête revient à servir un projet en même temps que ses convictions et non une ambition jugée néfaste au bon fonctionnement démocratique.

Extrait du livre de Geoffroy de Vries, « Le hold-up des mots, redonner aux mots leur vrai sens », publié aux éditions de l’Archipel.

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