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Le grand schisme : la campagne présidentielle est-elle en train d’accoucher de deux droites irréconciliables (et non, on ne parle pas de rivalités personnelles) ?
©Reuters

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Bien que les divisions au sein de la droite française ont toujours existé, celles-ci sont devenues de plus en plus vives, se cristallisant aujourd'hui autour de sujets de civilisation (identité, immigration, rapport à la mondialisation, etc.), remis au goût du jour notamment par des personnalités comme Donald Trump ou Vladimir Poutine.

Jean-Thomas Lesueur

Jean-Thomas Lesueur

Titulaire d'un DEA d'histoire moderne (Paris IV Sorbonne), où il a travaillé sur l'émergence de la diplomatie en Europe occidentale à l'époque moderne, Jean-Thomas Lesueur est délégué général de l'Institut Thomas More

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Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Atlantico : Suite à l'élection de Donald Trump en tant que président des Etats-Unis, Nicolas Sarkozy a affirmé que le vote des Américains exprimait une "volonté de changement (...et) le refus d'une pensée unique qui interdit tout débat sur les dangers qui menacent notre nation", tandis que pour Alain Juppé, la France ne doit pas "s'engage(r) dans la voie de l'extrémisme et de la démagogie. Je ne veux pas que l'avenir ce soit le FN et tous ceux qui sont sont à la remorque de ses idées". Ces derniers propos plutôt en accord avec ceux de François Bayrou pour qui "le changement qu'ils (les Américains) cherchent, ils croient le trouver au travers des excès, des caricatures, des retours en arrière et des rejets. Et c'est là qu'est le danger". Dans quelle mesure ces réactions traduisent-elles les divergences qui existent entre ces trois candidats ? 

Jean-Thomas LesueurLes jugements que portent ces trois dirigeants sur l’élection de Donald Trump témoignent de ce que les thèmes socio-culturels, ou civilisationnels (immigration, islam, transmission, famille, identité, mondialisation), qui ont pris le pas sur les questions purement économiques, sont susceptibles de faire imploser, à terme, la droite française.

Il est évident que, pour une part non-négligeable de l’électorat, ces questions sont devenues majeures et plus engageantes pour l’avenir qu’un point de fiscalité de plus ou de moins. Au final, ce sont ces thèmes qui ont dominé l’élection américaine et la victoire de Trump signe, quoi qu’on pense du personnage, un retour du politique… ou, à ce stade, un désir populaire du retour du politique.

Pour revenir à la France, il faut se souvenir que "la" droite n’existe pas. Il y a toujours eu "des" droites. Or, les sujets civilisationnels tendent les relations entre ces courants, bien davantage que les questions économiques, sur lesquelles il y a un consensus global, malgré quelques nuances. La synthèse entre libéraux et conservateurs, souverainistes et européens, étatistes et décentralisateurs, n’a jamais été simple à réaliser. Mais elle est devenue particulièrement difficile dans la période de "montée aux extrêmes" sociales, politiques, culturelles, internationales, que nous connaissons aujourd’hui.

Jérôme FourquetC'est de bonne guerre, chaque candidat voit dans un événement d'actualité international la confirmation de la validation de ses propres thèses, a fortiori un résultat électoral dans un pays ami. Marine Le Pen va nous dire qu'elle est dans le sens de l'histoire après le Brexit et la victoire de Donald Trump, et que les idées souverainistes de remise en cause de la globalisation, de mise en avant d'un protectionnisme et de dénonciation des élites coupées du peuple sont aujourd'hui prégnantes dans la société. Les trois déclarations que vous citez montrent que chacun y voit l'occasion d'un plaidoyer pro domo. Tout cela fait ressortir, en tout cas en ce qui concerne Nicolas Sarkozy et Alain Juppé, un diagnostic assez divergent de l'état de la société française et de la situation internationale.

Alain Juppé et François Bayrou estiment que la situation est préoccupante et nécessite des réformes en profondeur avec une majorité large et une capacité de rassemblement, sur la logique de l'union nationale. Autre condition pour mener ces réformes et réparer le navire France : il faut tout faire pour ne pas accentuer les tensions entre les différentes composantes de la société française et entre le peuple et ses dirigeants. Il faudrait donc faire le choix de la raison, de la discussion, et résister à toute tentation des sirènes populistes (dénonciation de bouc-émissaires, activation des tensions dans la société française, dénonciation des élites…). C'est le risque qu'Alain Juppé et François Bayrou pointent. Pour eux, il ne faut pas choisir la solution de facilité, mais au contraire travailler tout en ne reniant pas les difficultés.

Nicolas Sarkozy, lui, a un autre diagnostic. Pour lui, il faut sauver la bateau France du naufrage dans lequel il est engagé. Pour cela, il faudrait changer radicalement de cap, et trancher beaucoup plus en profondeur.

On est ici complètement en phase avec tout ce qui a été raconté depuis le début de la campagne de la primaire et le positionnement de ces deux candidats. Positionnement qui met en osmose et en adéquation leur image personnelle, leurs caractéristiques propres, et leurs programmes. Alain Juppé met en avant ses qualités de rassembleur, et ça tombe bien car il a un programme de rassemblement et de renforcement de la société française en essayant de recoudre les plaies. Nicolas Sarkozy, lui, met plus en avant son leadership et sa capacité à trancher sans concession, car la France a selon lui besoin de solutions extrêmement énergiques. Dans ce cadre-là, il faudrait un candidat extrêmement déterminé et tranchant.

Menus de substitution, monopole syndical, fiscalité, assurance-chômage, terrorisme, etc. : nombreux sont les sujets sur lesquels Nicolas Sarkozy et Alain Juppé s'opposent. Quelle est véritablement la nature des divergences observables entre les deux candidats à la primaire de la droite et du centre ? Ces divergences sont-elles telles que l'on ait atteint un point d'irréconciliabilité à droite ?

Jean-Thomas LesueurPour le dire vite, malgré sa filiation avec le mouvement gaulliste et son choix en faveur de Jacques Chirac en 1995, Alain Juppé incarne aujourd’hui le centre-droit – orléaniste, si l’on veut. Alors que Nicolas Sarkozy qui, lui, avait opté pour Edouard Balladur, représente mieux le courant bonapartiste, jouant sur l’énergie, le volontarisme et l’appel au peuple contre les élites. Tout cela est un peu schématique (par exemple, ils sont tous les deux favorables à l’Europe – aucun n’est souverainiste), mais reste valable.

Mais ce qui se joue dans l’électorat de droite dépasse la querelle des hommes et dessine une recomposition à venir autour des questions civilisationnelles. Chacun pressent, à la place qui est la sienne et du point de vue qui est le sien, qui nous vivons une fin d’époque. Les régimes démocratiques sont en crise, les systèmes institutionnels sont de plus en plus inefficaces, les modèles de création et de redistribution de richesses ne fonctionnent plus et nous vivons en Occident, pour des décennies sans doute, sous la menace du totalitarisme islamiste à l’intérieur comme à l’extérieur. Tout cela en même temps !

Je ne sais donc pas si on a déjà atteint le point où les droites seront devenues irréconciliables. Mais il semble bien qu’on y aille…

Jérôme FourquetJe ne pense pas tellement. C'est le propre de toutes les élections primaires que d'aviver les contrastes. Sur un certain nombre de propositions économiques, ils sont assez proches. Du coup, c'est sur le diagnostic sur l'état du pays et sur le style de gouvernance qu'on va appuyer pour se différencier du voisin. Le contexte particulier que nous traversons s'y prête relativement bien.

Si vous restez dans l'exemple américain, vous voyez que nous avons eu des affrontements extrêmement violents pendant les primaires, entre Bernie Sanders et Hillary Clinton d'une part, entre l'appareil républicain et Donald Trump d'autre part. La réconciliation et l'alliance paraissaient très compliquée sur le papier. Il n'empêche que le soir de l'élection, Donald Trump avec 59 millions d'électeurs a manifestement été capable d'aller chercher un nouvel électorat qui ne votait plus, et sans trop souffrir d'un déficit de mobilisation de la base républicaine traditionnelle.

On peut faire ici le parallèle avec la situation française. Beaucoup se sont exprimés en disant qu'ils auraient du mal à voter Trump, mais il y a eu un puissant aiguillon pour eux : la figure répulsive de Hillary Clinton. On peut penser qu'on serait dans le même schéma en France. Nous allons progresser vers une tension maximale avec le troisième débat télévisé, le premier tour puis le deuxième tour, mais une fois que ça aura été fait, les électeurs basculeront vers autre chose. La droite et le centre auront un candidat désigné, qui devra faire en sorte d'écraser la gauche, d'enterrer définitivement le quinquennat de François Hollande, qui là aussi fait figure de repoussoir absolu pour l'ensemble de l'électorat de droite, et enfin de barrer la route au Front national.

Oui, les primaires peuvent mettre de côté des franges d'électeurs qui ne se retrouveraient pas dans le positionnement du candidat désigné car ils ont été chauffés à blanc pendant toute la campagne, mais une fois que le match a eu lieu, on se projette dans une autre compétition, et en général il y a des éléments très puissants pour permettre aux différents segments de se ressouder. On dit souvent qu'on fait l'union ou l'unité contre un adversaire. C'est ce qu'il s'est passé aux États-Unis, c'est ce qui risque de se passer en France.

A plusieurs occasions, Nicolas Sarkozy s'en ait pris à François Bayrou, soutien d'Alain Juppé qui souhaite, selon l'ancien président, en "faire son compagnon d'alternance", rappelant sans cesse que François Bayrou est celui "qui nous y a fait entrer (dans le socialisme), en votant pour François Hollande en 2012". Jusqu'à quel point François Bayrou peut-il cristalliser les divergences entre Nicolas Sarkozy et Alain Juppé ? Face au risque que cela pourrait représenter pour l'unité de la droite, le maire de Bordeaux pourrait-il revoir son alliance avec le maire de Pau ?

Jean-Thomas LesueurComme Donald Trump, François Bayrou sert surtout de révélateur – curieux parallèle d’ailleurs ! Où est le centre de gravité des droites pour constituer une majorité ? Voilà la question. On peut parier qu’il ne se passera rien de significatif sur ce plan d’ici 2017. La victoire semble à portée pour la droite et je ne la vois pas se diviser au point d’imploser dans les prochains mois.

Mais les ambiguïtés demeureront et elles devront bien être levées à un moment ou à un autre. La droite doit-elle oser se tourner vers le FN – ou une partie du FN ? La question fera hurler beaucoup de monde mais bien des électeurs y ont déjà répondu. Doit-elle au contraire demeurer sur sa ligne traditionnelle d’alliance avec le centre ? Ce n’est possible que si ce qui les unit reste plus important que ce qui les divise. Cette question, je l’ai dit, est ouverte, sinon pour demain, du moins pour après-demain.

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