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Le grand paradoxe FN : Marion Maréchal & Marine Le Pen sont-elles vraiment celles que vous croyez ?
©JOEL SAGET / AFP

Histoires de famille

L'une continue à reprendre son parti, l'autre prépare l'avenir.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Le conseil du Front National de Marine Le Pen vient d'entériner le changement de nom décidé lors de son dernier congrès et la formation politique s'appellera désormais Rassemblement national. De son côté, Marion Maréchal est revenue sur la scène médiatique avec la fondation de son école à Lyon, l'abandon du nom de sa mère, et participe, le 31 mai, à une conférence sur le thème : « Débranchons 68 ». Des deux héritiers politique de Jean-Marie Le Pen, lequel des deux porte selon vous le plus l'héritage du projet de rassemblement des mouvements d'extrême-droite ? Marine Le Pen avec son projet politique, ou Marion Maréchal qui s'attelle à « une reconquête culturelle » de la France ?

Christophe Boutin : Vaste question, qui appelle à bien des distinctions. Il faudrait remonter, d’abord, à la création du Front national en 1972. La question est alors celle de la dissolution d’Ordre nouveau, l’un des premiers mouvements politiques à avoir mis en avant la critique de l’immigration, dissout justement suite à son meeting de 1973 sur le rejet de « l’immigration sauvage », manifestation attaquée, entre autres, par les trotskistes de la LCR. ON avait créé auparavant une structure qui était à la fois conçue comme une structure de repli en cas de dissolution et comme devant fédérer, à finalité plus ou moins électorale, d’autres groupuscules d’extrême droite et des nationalistes déçus du gaullisme. La direction en avait été confiée à un ancien député poujadiste, directeur de campagne de Tixier-Vignancour en 1965, et qui dirigeait une maison d’édition de disques, Jean-Marie Le Pen. Y eut-il en 1973 captation d’héritage ou pas ? Toujours est-il que Le Pen autonomisa le Front national sous sa direction – ce qui conduisit certains anciens d’ON à contribuer à la naissance du Parti des Forces Nouvelles, un concurrent qui vaudra à Le Pen de ne pouvoir se présenter aux présidentielles de 1981, faute d’obtenir les 500 parrainages nécessaires. Si donc on peut parler de tentative de « rassemblement des mouvements d’extrême droite », c’est uniquement lors de la création du FN – et encore faudrait-il préciser que l’objectif était plus large. Il s’agira plus, ensuite, de tenter une « alliance des nationaux », terme souvent repris… et de se débarrasser des militants d’extrême droite.

Il faudrait d’ailleurs s’entendre sur ce dernier terme : ce qui est qualifié d’extrême droite en 1973 n’a rien à voir avec ce qui est qualifié d’extrême droite en 2018, 45 ans après. Et pour cause : les anciens de la Charlemagne ou de l’OAS, le vivier collaborateur et celui de l’« Algérie française », tous ces militants unis dans une même détestation de Charles de Gaulle, tout cela a disparu. Quant aux quelques prépubères de 2018 qui, image inversée des pseudo gardes rouges soixante-huitards de la gauche, rejouent dans des arrière-cours de bistrots les derniers combats de Berlin en tendant le bras, s’ils font la joie des médias, ils ne représentent rien. Marine Le Pen pas plus que Marion Maréchal n’aspirent donc à un « rassemblement de l’extrême droite », sauf à entendre ce terme au sens des médias mainstream actuels, bien loin donc de toute analyse d’histoire des idées, c’est-à-dire en y intégrant de manière globale tous les tenants des thèses nationalistes, souverainistes et identitaires… soit en gros le programme du RPR des années 80.

Votre question porte ensuite sur les modalités de l’action : politique et/ou métapolitique ? La « réforme intellectuelle et morale », pour reprendre le titre de Renan, est-elle le préalable indispensable pour parvenir au pouvoir ? On connaît la théorie de Gramsci sur le rôle des intellectuels organiques dans la prise du pouvoir en Europe de l’Ouest, pour permettre la nécessaire préparation de l’opinion publique ; mais on sait aussi, avec Audiard, qu’« un intellectuel assis va moins loin qu’un con qui marche ».

Les deux démarches peuvent en fait sembler complémentaires. La politique n’épuise pas le fonctionnement de la Cité, et l’on voit bien de nos jours comment la société civile, des associations aux entreprises, agit directement sur le fonctionnement de nos démocraties. Pour autant, le politique est nécessaire, car il reste seul légitime pour élaborer une norme commune. Les projets actuels, purement politique – mais non dénué de culture – de Marine Le Pen, et essentiellement culturel – mais n’oubliant pas la vie de la Cité – de Marion Maréchal, peuvent donc contribuer tous les deux à fédérer une droite  assumée.

La différence vient plus de l’analyse faite de l’axe prioritaire du discours à tenir… et donc, sinon des amis, au moins des alliés. Marine Le Pen, qui insiste sur l’aspect souverainiste, n’a visiblement pas perdu tout espoir de rassembler, 13 ans après, la mythique « France du non » de 2005, souverainistes de droite et de gauche mêlés. Marion Maréchal insiste elle sur l’aspect identitaire, ce qui exclut les alliances avec ceux qui ne se poseraient pas la question de savoir par qui doit être composé ce groupe souverain.

Aujourd'hui, quels sont les intellectuels et influences qui sous-tendent leurs actions respectives ?

Au-delà des influences supposées de tel ou tel intellectuel sur ces deux femmes politiques, il ne faut pas négliger, d’abord, que nous avons ici deux fortes personnalités qui se sont forgées dans les épreuves : épreuves familiales pour les deux, et, sur le plan des choix politiques, cette épreuve qu’a été la stigmatisation de leur père et grand-père. Bien que très différentes, ni l’une ni l’autre ne sont donc des pantins manipulables. J’ai déjà évoqué, ensuite, influence des lectures ou de leurs conseils, ce qu’il en est de leurs choix prioritaires, souveraineté ou identité.

Il y a enfin une influence que l’on aurait tort de négliger, c’est celle qui vient de leur différence de génération. Marine Le Pen est née à la politique en regardant son père, dans les années 80 et 90. Sa stratégie de dédiabolisation a certes conduit à se débarrasser d’abord d’anciens amis encombrants de celui-ci, puis de son père lui-même, mais elle reste imprégnée du mode d’engagement de l’époque : maîtriser un parti politique ; établir un programme ; débattre ; éviter les dérapages et les stigmatisations médiatiques. Elle reste cette droite qui releva le défi de la lutte contre la « propagande marxiste », elle s’amuse à être encore quelque part, comme aimait à le dire son père, « la bête immonde qui monte, qui monte… ».

Marion Maréchal est née elle à la politique avec la génération de la « Manif pour tous ». Une génération qui a le plus grand mépris pour la classe politicienne, de droite comme de gauche, qui a mis le pays à bas en quarante ans. Une génération qui n’entend se faire imposer aucun diktat par des médias mainstream auxquels elle ne reconnaît aucune légitimité. Une génération qui souhaite pouvoir dire, lire et penser ce qu’elle veut, et sur laquelle la propagande n’a aucun effet, comme le prouve l’échec du lavage de cerveau qu’elle a subi dès sa petite enfance. Une génération enfin qui entend agir politiquement différemment de la précédente, en usant par exemple des nouveaux médias ou des mouvements associatifs.

Marion Maréchal est souvent perçue comme la personnalité d'extrême-droite qui a le mieux réussi sa stratégie de dédiabolisation. On cite notamment l'abandon du nom de son grand père comme une stratégie de prise de distance avec les vieilles lunes de son parti. Est-ce juste selon vous ? S'est-elle plus "dédiabolisée" que sa tante ?

Je ne reviendrai pas sur le qualificatif « d’extrême droite » et son caractère ambigu. Quant à l’abandon du nom, elle s’en est expliqué : elle a choisi d’accoler le nom de son grand-père à celui de son père lorsqu’elle s’est lancée en politique, à la fois pour être ainsi plus vite identifiée et, au vu de la circonscription, pour laver ce nom – mais l’on n’aura garde d’oublier en sus le plaisir du geste de défi. Elle estime maintenant que, cette page politique tournée, elle peut, plus simplement, en revenir au seul nom de son père. Machiavélisme pour éviter la stigmatisation de « l’école Le Pen » ? On peut en douter, d’une part parce que ce serait inutile, d’autre part parce que baisser pavillon ne semble pas être son style.

Si « dédiabolisation » supérieure à celle de sa tante il y a, c’est peut-être aussi et surtout à cause de la différence de style induite par la différence de génération que j’évoquais. Pour de multiples raisons, les critiques ou les caricatures qui en sont faites semblent n’avoir que peu de prise sur l’opinion, si l’on en croit des sondages qui la placent maintenant de manière récurrente parmi les personnalités politiques préférées à droite. Mais elle affirme souhaiter pour l’instant se consacrer prioritairement à son projet professionnel et, là encore, il est très vraisemblable que ce soit un choix réel et non une manœuvre.

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