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Le grand écart économique : maxi profit chez les géants, carnage chez les TPE-PME
©000_1QU5VC Ludovic Marin / AFP

RELANCE ÉCONOMIQUE

La rentrée s'annonce complexe pour le Gouvernement. À qui vont profiter les diverses annonces du plan de relance ? Le point avec Pierre Bentata et Gilles Saint-Paul.

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul est économiste et professeur à l'université Toulouse I.

Il est l'auteur du rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) intitulé Immigration, qualifications et marché du travail sur l'impact économique de l'immigration en 2009.

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Pierre Bentata

Pierre Bentata

Pierre Bentata est Maître de conférences à la Faculté de Droit et Science Politique d'Aix Marseille Université. 

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Atlantico : Quelle est la situation réelle face à l'impact économique de la crise du Covid-19 entre les grandes firmes et les petites et moyennes entreprises ? Comment expliquer ces différences entre les grands groupes et les petites entreprises ? 

Pierre Bentata : D'abord il faut noter que certains grands groupes sont particulièrement touchés par la crise, notamment ceux qui opèrent dans les secteurs de l'aéronautique et du tourisme. De même, on a vu en France plusieurs grandes enseignes déposer le bilan ou se trouver en redressement judiciaire suite au confinement. Il convient donc de nuancer un peu l'opposition grandes et petites entreprises. 

Il se trouve que deux secteurs ont particulièrement bénéficié de la crise et surtout des stratégies de confinement: la grande distribution et les entreprises de services en ligne. La première a fait face à une demande croissante en raison de la fermeture des petits commerces et du fait que la plupart des gens étaient davantage chez eux, devant donc cuisiner plus souvent et ayant davantage de temps pour s'occuper de leur maison ou le cas échéant de leur jardin. Les secondes ont profité à plein de l'explosion du télétravail et de la dématérialisation de la plupart des activités économiques. Or, dans ces deux secteurs, des géants possèdent une grande part du marché, ce qui donne l'impression que toutes les grandes entreprises ont gagné durant la crise.

Pour autant, il est clair que les grandes entreprises possèdent deux avantages pour bénéficier de l'ensemble des mécanismes d'aides et de soutiens publics. D'abord, elles ont les moyens de se faire entendre et donc d'attirer les aides. Ensuite, elles ont davantage de moyens humains pour comprendre et répondre aux contraintes administratives et légales qui conditionnent l'octroi des aides publiques. Un dirigeant de petite entreprise, au coeur de la crise, n'a souvent pas les capacités ni le temps de se renseigner pour savoir ce à quoi il a droit et comment l'obtenir. En ce sens, il est clair que les petites et moyennes entreprises ont moins profité des mesures de soutien. 

Enfin, il faut ajouter que la mise à l'arrêt de l'économie a eu pour conséquence de réduire les flux de trésorerie des entreprises à néant, ou à presque rien lorsqu'elles ont pu ouvrir. Et pour survivre sans flux de trésorerie, il faut déjà avoir une trésorerie importante, ce qui n'est pas le cas de la plupart des petites entreprises. Voilà pourquoi ces dernières sont les plus exposées, et voilà pourquoi il est prévisible que la plupart des faillites toucheront ces mêmes entreprises.

Gilles Saint-Paul : Les différences sont avant tout sectorielles. Les secteurs qui souffrent le plus sont ceux les plus vulnérables aux mesures de confinement et de quarantaine : aéronautique, transport aérien, tourisme, hôtellerie, culture, services à la personne. D’autres tels que le commerce en ligne profitent de la crise, tandis que les activités moins « présentielles» comme la banque ou l’assurance connaissent une contraction limitée de leur activité. Cela étant, la crise a un effet plus fort sur les petites entreprises que sur les grandes entreprises. Cela tient à plusieurs facteurs. Premièrement, certains secteurs parmi les plus touchés comme la restauration sont essentiellement composés de petites entreprises. Deuxièmement, les petites entreprises ont un accès moindre au crédit et aux facilités financières, et ont donc plus de chances de disparaître fautes de liquidités. Troisièmement, de par leur petite taille elles consacrent moins de ressources aux coûts fixes tels que le management organisationnel ou le back-office, et sont donc généralement plus vulnérables à la prolifération de réglementations de tout ordre, auxquelles il leur est plus difficile de s’adapter. Enfin, il leur est plus difficile de faire valoir leur point de vue auprès du politique, ce qui est crucial pour accéder à la manne des fonds publics financés par la création monétaire, que les gouvernements ont mis en place pour compenser leur gestion économiquement suicidaire de la maladie. Ainsi, aux Etats-Unis, près de la moitié des entreprises de moins de dix salariés étaient fermées en juillet, et 38 % d’entre elles s’attendaient à l’être encore en décembre.

Quelles peuvent être les conséquences économiques et politiques de cette crise pour cette rentrée si particulière ? 

Pierre Bentata : Des faillites en cascade qui donneront lieu à une instabilité politique forte. C'est cela le plus probable. Les mesures mises en place par le gouvernement s'apparentent à une mise sous tutelle des entreprises et à une nationalisation des salaires. Or, une telle situation n'est pas durable. Dès que les aides diminueront, que les entreprises devront à nouveau payer leurs charges, beaucoup d'entreprises seront en défaut de paiement et contraintes de déposer le bilan. Dans notre pays, sans ces petites entreprises, l'industrie et la plupart des grandes entreprises manqueront de fournisseurs de biens intermédiaires, ce qui provoquera un ralentissement supplémentaire de l'économie. 

Face à des faillites concernant majoritairement des petites entreprises, le sentiment d'un abandon des classes moyennes et populaires se renforcera, nourrissant le populisme et la haine des élites politiques. 

Gilles Saint-Paul : Les conséquences sont multiples. Premièrement, la création monétaire va prendre le pas sur la fiscalité et sur la détention de titres par le secteur privé comme principale source de financement des dépenses publiques. Il s’agit là, d’une part, d’une bombe à retardement inflationniste, d’autre part, d’un transfert de souveraineté des gouvernements nationaux au profit de la BCE et de la Commission Européenne, entités non élues et désormais habilitées à dicter leur politiquebudgétaire aux états et à effectuer entre eux des transferts discrétionnaires de ressources. Deuxièmement, nous allons assister à la montée d’une « plèbe » de déclassés frappés par l’effondrement de leur secteur d’activité, tandis que l’ensemble de la population verra le coût de la vie augmenter du fait de la démondialisation et des nouvelles entraves à la production imposées par les états. Troisièmement, on peut s’attendre à un clivage croissant entre « insiders » ayant un accès privilégié aux aides et « outsiders » faisant les frais de l’austérité budgétaire qui frappera inévitablement certains secteurs—la disparité entre grandes et petites entreprises étant un exemple de ce clivage. Avec à la clé une grande incertitude sur qui seront les gagnants et les perdants de ce jeu à somme nulle. Par exemple, le gouvernement tentera-t-il de préserver sa stabilité politique en maintenant le pouvoir d’achat des fonctionnaires ou, comme ce fut le cas en Grèce, se verra-t-il contraint de les soumettre à une thérapie de choc en réduisant considérablement leur salaire ?

Vers quoi ce grand écart peut nous amener économiquement ET politiquement ?  

Pierre Bentata : On peut imaginer un retour des gilets jaunes ou une nouvelle manifestation du populisme qu'ils incarnent. Quelle que soit la forme, il sera difficile de balayer leurs revendications d'un revers de la main. D'abord parce qu'ils auront raison de considérer que la crise économique n'a pas été correctement gérée. Ensuite, parce qu'après avoir dépensé des dizaines de milliards d'euros que nous n'avons pas, il sera impossible d'expliquer que certaines revendications ne peuvent être satisfaites faute de moyens. 

Au fond, le grand écart ne se situe pas entre les grandes et les petites entreprises, mais entre les décisions politiques qui ont été prises et les orientations économiques qu'il aurait fallu prendre.

Gilles Saint-Paul : La situation est tellement incertaine que l’on ne peut que formuler des scénarios. Ainsi, il est possible que la création excessive de monnaie dégénère en hyperinflation, peut-être déclenchée par une dislocation de la zone euro à la suite d’un refus allemand de monétiser les déficits excessifs des autres états, ou que la multiplication des faillites engendre une crise bancaire et une ponction sur les dépôts, ainsi qu’un rétablissement des contrôles de capitaux entre états membres de l’Union européenne. Le précédent de Chypre montre qu’un tel scénario n’a rien d’impossible. Il se peut aussi que les gouvernements, prisonniers de leurs propres contradictions, tentent de pallier les conséquences de leurs propre choix désastreux en imposant toujours plus de contraintes. Ils pourraient, par exemple, imposer des contrôles de prix pour éviter que l’inflation ne dérape, puis mettre en place des mécanismes de rationnement pour gérer les pénuries inévitablement créées par ces contrôles, et enfin réquisitionner une partie de la population pour les forcer à travailler, puisque par ailleurs ils n’auraient plus aucune incitation à le faire en raison des nouveaux mécanismes d’aides financés par la BCE, tels que revenu universel, mis en place pour contenir la grogne de la nouvelle plèbe. Nous nous retrouverions alors dans un régime de type communiste, avec une chute drastique du niveau de vie ainsi que des libertés. Au vu de la docilité avec laquelle les populations occidentales ont accepté deux mois d’assignation à résidence et, depuis, des entraves à des fonctions aussi essentielles que la respiration et la communication faciale, on peut penser que les abus de pouvoir seront tentants. Les mises en garde d’Hayek dans La route de la servitude sont plus que jamais d’actualité.

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