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Le gouvernement en marche vers le mirage d’un référendum salvateur
©Grant HINDSLEY / AFP

QCM

Si l’idée d’un référendum à questions multiples comme semble l’envisager le gouvernement est habile pour éviter un contre-plébiscite, le choix des sujets à soumettre aux Français contient de nombreux dangers masqués.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico: Selon des confidences de proches du chef de l'Etat rapportées par le JDD, Emmanuel Macron serait prêt à convoquer un référendum à questions multiples le jour des élections européennes le 26 mai pour s'extraire de la crise des Gilets jaunes. Même si cela paraît habile, car devrait permettre -si fait intelligemment- d'éviter la transformation du référendum en sanction pour la politique du chef de l'Etat, n'est-ce pas tout de même dangereux dans le sens où l'instrumentalisation de ces outils censés permettre d'apporter « plus de démocratie » pourrait, à terme, se retourner contre ceux qui les pratiquent dans la mesure où le but recherché n’est pas de permettre plus de démocratie mais de faire semblant ?

Christophe Bouillaud: Vous avez raison : il existe une contradiction de fond dans l’épopée présidentielle d’Emmanuel Macron, que ne pourra qu’accentuer une telle démarche, contradiction entre sa volonté de renforcer la « verticale du pouvoir » et l’obligation,liée à la crise des « Gilets jaunes », d’une prise en compte renouvelée de la « volonté générale », entendue comme la volonté de chacun et chacune.

D’une part, il est sans l’ombre d’un doute le représentant français d’une tendance présenteà l’échelle mondiale qui veut que pour résoudre les problèmes d’un pays, il faut vraiment un exécutif fort pouvant imposer des décisions, nécessairement difficiles, contre toutes les réticences, résistances, conservatismes des populations et des groupes représentants des intérêts particuliers.  Emmanuel Macron l’a dit lui-même à maintes reprises : il sait exactement ce qu’il faut faire pour remettre la France sur la bonne voie – par exemple supprimer l’ISF ou pérenniser le CICE -, il dénonce tous ceux parmi ses prédécesseurs qui n’ont pas eu le courage de « réformer », c’est en quelque sorte sa marque de fabrique. Fort logiquement dans ce cadre, la réforme constitutionnelle, portée par Emmanuel Macron, dont la discussion a été arrêtée l’été dernier par l’affaire Benalla, s’inscrivait dans cette tendance lourde à la montée en puissance, partout dans le monde, d’une voie « néo-autocratique » de la résolution des problèmes.   Avec la réduction du nombre de parlementaires et la maitrise encore plus totale du travail législatif par l’exécutif, elle faisaitbien plus que rationaliser le parlementarisme, elle commençait à le liquider comme un legs inutile du passé. Il est donc douteux que, parmi les modifications institutionnelles éventuellement soumises au vote des Français dans les mois à venir, ce même esprit de renforcement du pouvoir exécutif – au nom de la solution des problèmes et de la rapidité d’exécution – ne se retrouve pas. On peut même y ajouter d’ailleurs, par rapport à la réforme constitutionnelle proposée l’été dernier, les rumeurs faisant état d’une volonté présidentielle de réformer le Sénat – cible trop facile de tous les antiparlementarismes, mais surtout obstacle dans l’établissement le plus rapide possible de la législation par l’exécutif et contre-pouvoir effectif comme ne l’a montré que trop sa commission d’enquête sur l’affaire Benalla.

D’autre part, les populations de la plupart des pays, en particulier des pays développés, sont de plus en plus éduquées et informées. Elles veulent donc juger par elles-mêmes et elles se sentent de plus en plus en droit de décider de qui les concerne. Elles ont en conséquence de moins en moins confiance dans les hommes et les femmes politiques. La revendication exprimée par le mouvement des « Gilets jaunes » de l’introduction d’un « Référendum d’initiative citoyenne » (R.I.C.) sur tous les sujets de la vie collective dans notre Constitution s’inscrit bien dans cette seconde tendance, tout comme toutes les revendications de « démocratie participative » ou de « démocratie délibérative ». Par définition, toutes  ces revendications « néo-basistes » mettent en cause l’autocratisme de l’exécutif « éclairé »  que cherche à instaurer un Emmanuel Macron pour le bien même du pays.

Comment concilier alors dans des réformes institutionnelles ces deux tendances ? « Tout le pouvoir au Tsar » ? Ou « Tout le pouvoir aux soviets » ? Dans la mesure où c’est l’exécutif lui-même qui choisira les réformes institutionnelles à soumettre au vote des Français, il serait tout de même bien étonnant que la balance ne penche pas vers celles destinées à le renforcer.  Il devrait jouer à fond la carte de l’antiparlementarisme, ce qui ne manquera pas d’entrer en contradiction avec sa défense de la démocratie représentative. En effet, cette dernière ne vaut que par l’existence d’une pluralité de représentants qui discutent entre eux dans ce cadre irremplaçable à ce jour que sont les parlements.

D'autant plus en considérant que les vraies décisions de fond sur le modèle économique ou les questions internationales (Europe, ouverture des frontières,etc.) ne seront certainement pas dans la posées ?

En fait, si Emmanuel Macron utilise la possibilité référendaire qui lui est donné par l’article 11 de la Constitution, il peut soumettre à approbation des électeurs « tout projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d'un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions.». C’est en fait extrêmement large, bien plus large que la possibilité de l’article 89 qui ne porte que sur des révisions constitutionnelles. Il faut bien souligner que c’est un projet de loi qui est soumis au vote, donc quelque chose de précis et circonstancié, donnant lieu d’ailleurs à un débat sans vote dans le cadre des deux assemblées : « Lorsque le référendum est organisé sur proposition du Gouvernement[ce qui correspond à l’initiative présidentielle de fait], celui-ci fait, devant chaque assemblée, une déclaration qui est suivie d'un débat. » Cela laisse donc toute latitude au Président de la République de choisir le degré de risque qu’il veut assumer. La rédaction actuelle de cet article 11 résulte d’une réforme constitutionnelle prise en 1995, puis en 2008, visant à permettre à l’exécutif de jouer la majorité des électeurs contre d’éventuelles résistances sectorielles. Déjà, en 1995, il s’agissait de pouvoir faire passer ainsi des « réformes ». On pourrait ainsi imaginer qu’Emmanuel Macron fasse appel à cet instrument pour valider sa réforme des retraites ou bien ses choix en matière de fiscalité, ou que sais-je encore. La Constitution lui donne le droit de jouer sa Présidence sur tout sujet ou presque, mais, après, il peut perdre…  Donc tout dépend de l’usage qu’Emmanuel Macron veut faire de cet article. Souhaite-t-il ou non prendre des risques ?

Ne peut-on pas considérer que ce type de pratiques vient dans la continuité de l'obsession naïve qui se développe en France depuis des années sur des sujets comme, par exemple, le cumul des mandats, la moralisation factice et autres serpents de mer des réformes n’a cessé de participer à Ia crise de défiance en donnant l’illusion que c’était plus démocratique, mais en ne résolvant jamais aucun problème de fond, se contentant de modifier un peu la forme ? Au final Emmanuel Macron ne prend-t-il pas un grand risque avec ce référendum ?

S’il ne s’agit que de renforcer encore l’exécutif  face au législatif ou de modifier les règles du jeu politique comme avec le cumul des mandats ou la modification du rôle du Sénat, cela sera essentiellement une digression. S’il s’agit, par miracle, de donner vraiment plus de moyens aux électeurs d’intervenir directement sur la législation qui les concerne, par exemple avec un référendum abrogatoire des lois comme en Italie, cela rendra le système politique plus ouvert, et cela mènera sans doute à terme à une meilleure prise en compte des attentes des citoyens.

En revanche, si Emmanuel Macron tente sa chance sur des questions économiques, sociales ou environnementales, il est possible qu’il touche là des problèmes de fond. Pour ses partisans, il les aura ainsi enfin résolus s’il gagne, et il les aura bloqués pour longtemps s’il perd.

Plus généralement, quelque que soient les questions posées, du fait même qu’elles correspondraient à des projets de loi du gouvernement ou à une réforme constitutionnelle voulue par le pouvoir, il me parait évident que tous les opposants tenteront de provoquer l’échec du pouvoir, ou, au cas où la victoire du pouvoir serait trop certaine sur une question, sa neutralisation.

En fait, je vois mal comment, s’il y avait plusieurs questions référendaires, l’une au moins d’entre elles ne deviendrait pas le lieu de l’affrontement pour ou contre le pouvoir en place. Et, si ces possibles consultations ont lieu le même jour que l’élection européenne, il me semble que les oppositions diront que le vote européen tient lieu de vrai référendum pour ou contre Macron. Du point de vue de l’élection des députés européens, ce binôme élections européennes/référendums français le même jour pourrait d’ailleurs être vu comme une grave confusion des genres, ou bien comme la preuve que tous les problèmes français sont liés à l’Europe…

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