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Le G20 sert-il encore à quelque chose ?
©KAZUHIRO NOGI / AFP

Obsolescence programmée

Alors que le G20 s'ouvre bientôt à Osaka, le sommet, voué à défendre le multilatéralisme, semble bien impuissant à maintenir un ordre mondial stable.

Philippe Fabry

Philippe Fabry

Philippe Fabry a obtenu son doctorat en droit de l’Université Toulouse I Capitole et est historien du droit, des institutions et des idées politiques. Il a publié chez Jean-Cyrille Godefroy Rome, du libéralisme au socialisme (2014, lauréat du prix Turgot du jeune talent en 2015, environ 2500 exemplaires vendus), Histoire du siècle à venir (2015), Atlas des guerres à venir (2017) et La Structure de l’Histoire (2018). En 2021, il publie Islamogauchisme, populisme et nouveau clivage gauche-droite  avec Léo Portal chez VA Editions. Il a contribué plusieurs fois à la revue Histoire & Civilisations, et la revue américaine The Postil Magazine, occasionnellement à Politique Internationale, et collabore régulièrement avec Atlantico, Causeur, Contrepoints et L’Opinion. Il tient depuis 2014 un blog intitulé Historionomie, dont la version actuelle est disponible à l’adresse internet historionomie.net, dans lequel il publie régulièrement des analyses géopolitiques basées sur ou dans la continuité de ses travaux, et fait la promotion de ses livres.

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Atlantico : Le G20, dont le but premier était de favoriser le multilatéralisme en s'ouvrant aux pays émergents peut sembler peu en phase avec l'époque actuelle, terrain de lutte d'influence et de séparations en plusieurs blocs. Le G20 est-il devenu obsolète ?

Philippe Fabry : Il faut d’abord se rappeler comment et pourquoi le G20 a été créé : ses deux grandes étapes de formation ont été des réponses à des crises économico-financières mondiales, avec le souci de préserver l’ordre économique global au temps de l’hyperpuissance américaine, après la chute de l’URSS. D’abord en 1999, avec la création du groupe-même, puis en 2008, année qui a vu pour la première fois l’ensemble des chefs d’Etats des pays membres se réunir, sur le modèle du G8. Le rassemblement dans cette instance des vingt plus grosses économies mondiales permettait d’obtenir une sorte de quorum, une masse représentant l’essentiel de la puissance économique.

A chaque fois, il s’agissait de répondre aux crises par la concertation, le dialogue et l’action coordonnée, pour éviter que ne se reproduisent les réactions ayant suivi la crise de 1929 : le repli, le protectionnisme qui avaient aggravé la contraction économique. Une démarche effectivement multilatérale, donc, qui a pris toute son importance après le séisme de 2008.

Pour autant, on doit constater aujourd’hui les limites du système : quelle est l’actualité la plus importante depuis quelques mois ? Une guerre commerciale qui fait rage précisément entre les deux plus gros acteurs de ces rencontres, la Chine et les Etats-Unis, qui s’affrontent à coups de mesures protectionnistes, exactement ce que le G20 était censé éviter. Il est difficile de voir comment le G20 peut survivre dans ces conditions.

Alors que l'ordre libéral mondial actuel a été défini sous la domination américaine et que les autres puissances semblent peu soucieuses de jouer selon les règles, cette volonté de maintenir un statu quo n'est-elle pas un simple fantasme européen ?

Les Etats-Unis, et plus encore l’Europe, ont en effet pour priorité la stabilité économique et le maintien des échanges. En Occident, et surtout dans l’Europe vieillissante et hédoniste des Etats-providence, le maintien et l’accroissement du niveau de richesse est devenu le seul projet de civilisation, et le G20 répond d’une certaine manière à ce souci.

Le problème, c’est que tous les pays ne pensent pas comme cela. La Chine, l’Inde ou même la Russie ou la Turquie, ont d’autres préoccupations, qu’ils sont capables de placer devant la stabilité économique : devenir ou redevenir une grande puissance, avoir des vassaux, dominer pour être plus souverain que les Etats lambda sont des préoccupations supérieures de ces pays, qui voient souvent l’enrichissement, le dynamisme économique comme un instrument de puissance ordonné à cette fin supérieure, et pas une fin en elle-même, comme dans nos contrées européennes ou chez nous en France, où le projet de civilisation est de sauvegarder un système de retraites.

Les Etats-Unis, contrairement à l’Europe, ont encore un projet de civilisation : celui d’un monde bien ordonné sous leur hégémonie, acquise après trois guerres mondiales et qu’ils entendent maintenir. C’est d’ailleurs pour cela qu’ils sont prêts à encaisser quelques coups économiques pour mater les velléités chinoises de s’imposer comme rival, alors que l’Europe reste pusillanime face à la Chine.

Emmanuel Macron, en rencontrant Shinzo Abe, a cherché l'appui japonais dans ce contexte de rejet des instances internationales. Dans une logique de "blocs" acceptant un recul du multilatéralisme, la position défendue par la France et l'Union Européenne pourrait-elle séduire les pays peu désireux de s'aligner sur les positions américaines ou chinoises ?

Je pense qu’il faut être assez clair sur cette question : il n’y a pas aujourd’hui de troisième acteur à la hauteur des Etats-Unis ou de la Chine pour prétendre à la domination globale. Dans ce contexte, et alors que ces deux pays se dirigent progressivement vers une confrontation de plus en plus forte, choisir de ne pas prendre parti c’est attendre de voir qui sera le maître de demain. Ce qui est parfaitement cohérent avec le fait de n’avoir pas de vision stratégique supérieure, dont je parlais précédemment.

Il est fort possible que se coagule autour de l’Europe, de son attachement à l’ordre multilatéral et de son refus de la confrontation, un front rassemblant des pays refusant de prendre parti. Mais il semble évident que plus la confrontation prendra de l’ampleur, plus ils seront nombreux à choisir un camp.

La position européenne pourrait être défendable si celle-ci avait une véritable volonté de puissance, celle d’être un troisième pôle entre Chine et Etats-Unis, mais ce genre d’ambition ne fonctionne véritablement que dans un cadre national. L’Europe n’étant toujours pas une nation, et état incapable de le devenir avant au moins quelques décennies, il n’y a aucune chance que cela aboutisse.

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