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Le FN susceptible de séduire un électeur sur trois : que compte donc faire Marine Le Pen de ce réservoir électoral ?
©Reuters

Virage à gauche

Alors que les militants du FN se rassemblent ce 1er mai, un sondage CSA pour BFMTV montre que si le premier tour de l'élection présidentielle avait lieu dimanche prochain, Marine Le Pen accéderait au second tour avec 33% des suffrages contre 67% pour Nicolas Sarkozy.

Guillaume  Bernard

Guillaume Bernard

Guillaume Bernard est maître de conférences (HDR) à l’ICES (Institut Catholique d’Etudes Supérieures). Il a enseigné ou enseigne dans les établissements suivants : Institut Catholique de Paris, Sciences Po Paris, l’IPC, la FACO… Il a rédigé ou codirigé un certain nombre d’ouvrages dont : Les forces politiques françaises (PUF, 2007), Les forces syndicales françaises (PUF, 2010), le Dictionnaire de la politique et de l’administration (PUF, 2011) ou encore une Introduction à l’histoire du droit et des institutions (Studyrama, 2e éd., 2011).

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Atlantico : Le jour du traditionnel rassemblement du Front national en l'honneur de Jeanne d'Arc, le 1er mai, Marine Le Pen engrange les sondages positifs. Un sondage CSA pour BFMTV montre que si le premier tour de l'élection présidentielle avait lieu dimanche prochain, François Hollande ne récolterait que 19% des voix, contre 34% pour Nicolas Sarkozy et 23% pour Marine Le Pen. Le candidat de gauche serait donc éliminé. Cela signifie-t-il pour autant que le FN  séduit majoritairement l’électorat de gauche ? Est-ce que Marine Le Pen progresse également à droite ?

Guillaume Bernard : La sociologie politique a distingué plusieurs facteurs explicatifs du vote. Au sein des variables socio-économiques, ce n’est pas le niveau de revenu mais le patrimoine qui est le plus prégnant. Ainsi, dans chaque catégorie sociale, il y a des personnes qui sont « naturellement » inclines à voter à droite ou à gauche ; ce qui explique le vote à droite, c’est la possession d’un patrimoine (et non les hauts revenus, comme l’illustre le phénomène « Bobo ») : parmi les revenus les plus bas, c’est le cas des agriculteurs ; parmi les revenus moyens, c’est le cas des commerçants ; parmi les revenus les plus élevés, c’est le cas des professions libérales. Il va de soi que le patrimoine n’est pas le seul élément qui détermine le vote, même s’il est puissant : tous les notaires ne sont pas de droite comme tous les ouvriers ne sont pas de gauche. Ce que le populisme a parfaitement compris, c’est que le patrimoine n’est pas seulement matériel, mais aussi immatériel : c’est la culture, la langue, l’histoire. Il est donc capable de rallier des personnes inquiètes non seulement pour leur patrimoine matériel (à travers la question du niveau de vie), mais aussi pour leur patrimoine immatériel (c’est-à-dire pour leur mode de vie). Un parti de type populiste comme le FN peut donc capter des voix non seulement à droite (où l’idée de l’enracinement historique est sans doute plus développée qu’à gauche puisque l’esprit de droite est rétif à l’idée du « progressisme »), mais aussi à gauche : nombre d’électeurs peuvent considérer que, matériellement démunis, ils n’ont comme protection que la patrie et que, face à la mondialisation et au multiculturalisme, leur identité est leur seul bien qui doit être préservé.

Marine Le Pen se présente comme le porte-parole des victimes de la crise. Pour cela, elle n’hésite pas à employer un vocabulaire emprunté à l’extrême gauche. Une stratégie contestée par certains cadres du FN qui préconisent plutôt de faire imploser l’UMP. La stratégie de Marine Le Pen peut-elle s’avérer payante sur le long terme ?

L’une des faiblesses du FN réside dans le fait que son électorat est en partie volatil (la sociologie politique parle d’électorat « flottant ») parce qu’une portion est commune avec l’UMP. Quand les électeurs de droite modérée veulent manifester leur mécontentement vis-à-vis des élus de la droite parlementaire, ils se reportent sur le FN ; mais ils le quittent quand il s’agit de battre la gauche. Le FN a donc, semble-t-il, bâti une stratégie pour conquérir d’autres électorats. De même que Jean-Marie Le Pen a capté une partie de l’électorat du PC, sa fille tente de séduire une partie des forces de gauche, en l’occurrence celle du PS (fonctionnaires et retraités). Plutôt que de chercher à rallier les classes moyennes de droite, elle semble viser celles de gauche afin, bien entendu, de grossir les rangs de ses électeurs mais aussi, et peut-être surtout, d’être moins dépendante de l’UMP. Dans le cadre d’éventuelles négociations, elle serait ainsi plus forte. Si cette stratégie peut illustrer un aspect de ce que j’ai appelé le « mouvement dextrogyre » (puisqu’elle conduirait à grossir le FN et à repousser vers le centre une partie de l’UMP), son incertitude se situe dans la capacité de « convertir » cet électorat à une appréhension de droite des enjeux politiques : il y a le risque d’une distorsion, voire d’une incompréhension, entre certains électeurs (s’ils restent de culture de gauche) et les cadres et élus du FN (s’ils continuent à être de droite). Pour simplifier, la question est savoir si l’électorat de gauche rejoint le FN au nom d’intérêts catégoriels ou en raison d’enjeux nationaux.

Le risque n’est-il pas de désorienter son électorat traditionnel ainsi que les électeurs de la droite classique qui pourraient être tentés par le FN ?

Marine Le Pen, avec peut-être plus de professionnalisme que son père (mais sans doute avec moins de références historico-culturelles), pratique une sorte de segmentation du discours : à travers chaque question, et avec des mots-références, elle tente de s’adresser à une partie spécifique de l’électorat. Cela présente, évidemment, le risque de charrier des contradictions. Cependant, chacun est susceptible d’y trouver son compte, et sans que cela ne provoque nécessairement de rejet. En n’abandonnant pas le discours traditionnel du FN sur l’immigration et l’insécurité, elle tente donc de rendre plus audibles qu’auparavant les positions de son parti sur d’autres thèmes, dont certains peuvent effectivement apparaître comme nouveaux (la défense de la laïcité ou du service public). Mais il ne faudrait cependant pas se laisser prendre, par manichéisme, à un prisme interprétatif déformant : de même que l’anticommunisme du FN des années 1980 ne signifiait pas son adhésion au libéralisme (puisqu’il était déjà favorable au protectionnisme), son actuel rejet (sans doute plus affirmé) du libéralisme ne semble cependant pas pour autant signifier l’acceptation du collectivisme. Pour que l’actuel discours du FN détourne de lui ses électeurs traditionnels ou ceux de la droite classique qu’il tenterait, il faudrait que l’offre électorale soit, par ailleurs, crédible et séduisante : le choix politique est souvent, en fonction de ses critères, celui du « moindre mal ». Le positionnement sur l’échiquier politique et le succès électoral d’un parti dépend, bien entendu, de la qualité (clarté, crédibilité) de son discours, mais aussi de l’environnement dans lequel il agit : si le FN attire c’est que les autres rebutent ou ont déçu.

De manière générale, l’électorat historique du FN est-il traditionnellement ancré à droite ? Quelles peuvent être les conséquences dans un virage de Marine Le Pen à 180 degrés ?

L’électorat du FN s’est construit par sédimentation. Au noyau dur de la droite radicale (d’ailleurs hétéroclite), se sont ajoutées d’autres couches (venues de droite depuis les années 1980 et de gauche à partir des années 1990), plus ou moins friables en fonction des circonstances. L’électorat du FN est, comme pour tout autre parti, à la fois déterminé (serait-il trop caricatural de citer le cas des Pieds-Noirs ?) et flottant. Ce parti a d’abord capitalisé sur le rejet des autres organisations puis s’est consolidé grâce à un phénomène d’adhésion à ses propositions ; il serait illusoire de penser qu’un parti puisse régulièrement réunir entre 10 et 20 % des suffrages, et ce pendant trente ans, en n’étant porté que par un vote exclusivement protestataire. Quant au virage idéologique du FN, il doit être relativisé, même s’il est en partie réel. Ce sont plus les visages qui ont changé que le discours (même si la tonalité ou le style sont quelque peu différents) : par exemple, le FN a été et reste, d’un côté, hostile à l’immigration et à la construction européenne et, de l’autre, favorable à la préférence nationale et au protectionnisme économique. C’est, très certainement, plus que le programme, la motivation intellectuelle de ses nouveaux cadres ainsi que l’état d’esprit interne au FN qui sont en mutation ; ce qui provoque des crispations en son sein. Un républicanisme radical semble se substituer à la dominante réactionnaire d’auparavant. Mais, dans le fond, le sentiment de nouveauté vis-à-vis de son discours vient, sans doute, de ce que les positions du FN sur son thème de prédilection – l’immigration – se sont tout simplement banalisées. Le FN peut donc moins axer sa propagande sur cette question que sur d’autres (qui étaient inexploités ou inexploitables).

Dans un article publié dans le Point, Philippe Peninque, un proche de Marine Le Pen, déclare, « Le vivier électoral de « Marine »  n’est plus à droite, chez les hystériques anti-islams ou anti-immigrés, mais à gauche » y compris au sein de  « la communauté franco-musulmane » majoritairement opposée « au mariage homosexuel des socialistes ». Partagez-vous ce constat ? Marine Le Pen peut-elle vraiment espérer séduire l’électorat musulman ?  

Croit-il vraiment ce qu’il déclare – et d’ailleurs, parle-t-il en son propre nom ou ex cathedra ? – ou s’agit-il, là, d’une pétition de principe ayant pour objectif de signifier que le FN se serait rallié à la théorie du « creuset républicain » ? Il est certain que la direction « mariniste » du FN adhère sans état d’âme aux valeurs républicaines. Mais, la question de la compatibilité de l’islam avec la République est une chose ; celle de sa adéquation avec la France en est une autre. Il y a fort à parier que non seulement l’électorat traditionnel du FN (mais aussi celui venu de la gauche pour des raisons identitaires) considère que la seconde, au moins, est utopique voire indésirable. Il y aurait, par conséquent, une difficile cohabitation entre l’électorat « nationaliste » attaché à l’identité traditionnelle de la France et un électorat « islamique » (qui doit être très nettement distingué d’un électorat « patriote », en l’occurrence de confession musulmane, du type de celui des Harkis). D’ailleurs, pourquoi ce vote « islamique » se porterait-il sur le FN qui dénonce les prières de rue et l’abattage hallal ? Pour se servir de celui-ci afin d’abattre un système socio-culturel qu’il honnit ? Dans ce cas, est-il raisonnable pour le FN de croire que les ennemis de ses adversaires sont d’authentiques amis ? Ne s’agirait-il pas d’un jeu de dupes ?

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

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